Jour 22, dimanche 5 août, plein route vers l’Est, 74km, 238m de dénivelé
Aujourd’hui, c’est dimanche, et que fait-on en Pologne ? On va à la messe. Mais pas nous, puisque nous faisons un grand tour à vélo de Varsovie, avant d’aller à la gare direction l’Est.
Notre tour de Varsovie, s’il est sympathique, puisque nous découvrons un parc puis que nous suivons les rives de la Vistule, échoue à convaincre Victor de l’intérêt de Varsovie. Ce n’est pas grave, nous prenons le chemin de la gare pour monter dans un train, direction Siedlce, ce qui va nous permettre d’éviter les faubourgs et les zones industrielles de Varsovie pour trouver des paysages plus sauvages.
Nous sommes désormais à 80 km de Varsovie, et nous filons sur des belles routes goudronnées avec peu de voitures. Nous trouvons un petit bivouac agréable dans un champ, en nous promettant de partir tôt pour éviter les grosses chaleurs. Par contre, sur les rives de la Boug (ou Bug en polonais) nous sommes assaillis par des hordes de moustiques !
Jour 23, lundi 6 août : Paris Dakar sur la Green Vélo, 88,6 km, 343m de denivelé
La promesse du réveil matinal est tenue ! Nous prenons le chemin de Bialowieza et de sa forêt primaire. La route est très agréable, nous circulons d’abord sur une longue route goudronnée très arborée, parsemée de petites maisons en bois. Nous avions imaginé les frontières polonaises avec la Biélorussie pauvres et un peu glauques, mais pas du tout. Nous avons plutôt l’impression d’être dans des lieux de villégiatures constitués de résidences secondaires en bois où les polonais viennent trouver un bon bol d’air frais. Nous sommes surpris de découvrir autant de petites maisons de vacances et nous nous interrogeons. Est-ce une particularité polonaise et tchèque d’avoir autant de petites résidences secondaires ? Est-ce que cela tient au fait que durant la période soviétique, ces petites datchas représentaient les vacances – et représentent toujours –, quand on ne pouvait pas partir plus loin ? Si un de nos internautes avait des informations sur le sujet, nous sommes toutes ouïes.
De jolies cigognes pas farouches nous rappellent l’Alsace!
Le long de la rivière Bug, il n’y a pas beaucoup de ponts, ce qui nous oblige à un grand détour, mais le GPS et la carte nous indiquent que nous pouvons en fait traverser la rivière à l’aide d’un bateau. Nous n’en sommes pas très certains, faute d’information, mais nous tentons quand même notre chance pour un bateau : si nous avons tort, pourtant, nous sommes bons pour un détour de 25 km. Un monsieur polonais sur la route nous salue et nous rassure : il y a bien moyen de traverser. Quand nous lui disons, en anglais, « ferry boat », il nous répond « yes, yes, free boat ». En plus c’est gratuit, allons-y. Nous filons sur une belle route dans la forêt, et ce serait presque parfait si, à un moment, Victor, guidé par Osmand, son GPS, ne voulait pas absolument prendre une petite route de sable cabossée qui coupe à travers la forêt. Je lui oppose que si des voitures, comme on nous l’a dit, prennent le bateau, elles ne passent certainement pas par cet étrange chemin. Il ne veut pas accepter mes arguments, et m’enjoint de faire confiance à Osmand.
Osmand est en fait un peu con, puisqu’il nous amène sur une piste hors d’âge vers un embarcadère qui ne dessert plus grand-chose depuis au moins 30 ans.
Pour nous sortir de là, nous prenons une autre piste, mais elle est presque uniquement faite de sable. Impossible d’avancer, nous nous enfonçons et nous devons pousser les vélos. Victor, un peu pour se rattraper, s’émerveille timidement de la tranquillité des lieux et de la finesse du sable.
Après une heure à pédaler doucement et à désensabler nos vélos, nous arrivons à l’embarcadère. En fait, il ne s’agit pas d’un ferry du tout (ce serait inutile d’ailleurs, la rivière fait à peine 30 mètres de large) mais d’un radeau, déplacé à la force des bras par deux marins (ou riviérains?) le long d’un câble en acier. C’est très lent, mais aussi très chouette, et aux vélos s’ajoutent même des voitures qui traversent aussi grâce au radeau.
Après cette traversée, nous prenons une grande piste cyclable dite Green Vélo, qui emmène les cyclistes du Sud au Nord de la Pologne jusqu’à Gdansk. Il y a lieu de s’interroger sur l’appellation de la piste cyclable : au lieu de « green » (vert, en anglais), nous proposons plutôt jaune, jaune sable plus précisément. En effet, le goudron se termine bien vite pour laisser place à des routes de sable, dans lesquelles faire du vélo relève de la gageure. On dévie, on tangue, on s’enfonce, c’est horrible ! C’est à se demander, avec tout ce sable, pourquoi le sport national de la Pologne n’est pas le beach volley. Ça ne coûterait pas très cher en infrastructures pourtant : on plante deux poteaux, un filet, on arrache quelques herbes et hop c’est parti !
Nous ne sommes pas les seuls dans ce calvaire qui nous fait penser au Paris Dakar. Venant dans l’autre sens, nous croisons un couple de français venus de l’Indre, qui fait un grand périple à travers la Pologne et notamment sur la Green Vélo.
Ils suscitent le grand respect de Victor ; ils ont déjà fait 78 km alors que nous n’en sommes qu’à peine à notre cinquantième kilomètre ! Ils nous conseillent un superbe spot de bivouac à une trentaine de kilomètres de là, qui nous donne très envie. Ensuite, nous croisons d’autres malheureux cyclistes ensablés : l’information sur les kilomètres qu’il reste à parcourir est précieuse, et permet les discussions. Après presque 20 km (le tout réuni) de ce calvaire qui pompe toute notre énergie, nous sommes enfin extraits du désert pour retrouver un sol plus palpable.
Nous trouvons le ravissant spot de bivouac conseillé, qui est à la hauteur des descriptions. Nous nous faisons un bon repas bien roboratif (un chili con saucisse polonais, une merveille) : nous avons fait 88 km, mais nous ressentons la même fatigue dans le corps que si nous en avions fait 120.
Nous nous rassurons en nous disant que demain, c’est une petite journée, puisque nous nous sommes bien rapprochés de Bialowieza, et de sa forêt primaire peuplée des plus étranges créatures qui soient : les bisons.
Jour 24, mardi 7 août : Bialowieza et la promesse des bisons, 40km
Nous nous levons bien reposés dans notre magnifique spot de bivouac avec vue sur le lac et eau courante, pour notre petite journée vers la forêt primaire.
Surprise agréable : nous en avons fini avec les routes sablonneuses ! Nous roulons d’abord le long d’une route importante, mais dotée d’une piste cyclable, puis nous traversons des forêts sur des pistes de terres où, ô miracle, on ne s’enfonce pas. Nous arrivons bientôt en vue de Bialowieza, et quelques indices nous mettent déjà sur la trace des bisons : un panneau, ainsi que des excréments forts évocateurs.
Un observatoire nous permet d’avoir une belle vue sur une plaine herbeuse, qui donne sur la forêt primaire. C’est un très beau coin, le vent s’engouffre dans les hautes herbes, et les fait onduler comme des vagues. Pas de bison en vue, mais nous voyons quelques rapaces.
Nous continuons notre route et nous arrêtons pour pique-niquer quand nous faisons face à un véritable miracle ! C’est magnifique, c’est incroyable et si inespéré : nous avons trouvé du bon fromage ! Un subtil mélange entre le comté et le parmesan qui ravit nos papilles de franchouillards. Il est fait ici ; serait-il à base de lait de bison ?
Une fois installés dans un camping, situé dans le jardin arboré d’une petite mamie qui baragouine de l’allemand à qui veut l’entendre, nous nous rendons dans le centre de Bialowieza, à la pêche aux informations sur les gros bisons ou Zubr, stars du coin à en juger tout ce qui est à leur effigie : hôtels, associations naturalistes, bières, vodka (la célèbre Zubrowka, la vodka du bison !).
L’office de tourisme nous apprend qu’une partie de la forêt, son cœur, n’est visible qu’avec un guide : il emmène des petits groupes en forêt au crépuscule ou à l’aurore, pour voir la flore et la faune. Mais ses tarifs sont prohibitifs, hors budget, et nous n’avons pas l’assurance de pouvoir avoir une visite en français ou au moins en anglais. Il reste la solution des braves, se rendre soi même en forêt pour espérer croiser des bisons sauvages, en restant aux abords du cœur de la forêt primaire. On nous indique qu’ils sont aussi visibles depuis les observatoires, au petit matin quand le jour se lève, c’est-à-dire ici, à 4h. Il est paraît-il, plus facile de les voir l’hiver, puisqu’ils rejoignent des points de nourrissage, alors que l’été, ils se terrent dans la forêt à cause des grosses chaleurs et en sortent qu’au petit matin. Nous décidons de tenter l’observatoire demain matin aux premières lueurs, en revenant sur nos pas, puis, si nous ne voyons pas de bisons, nous irons explorer la forêt.
En ouvrant nos oreilles au bar de la place centrale, nous en apprenons plus sur les bisons. Les coins à bison sont un peu comme les coins à champignons : les professionnels restent évasifs à leur sujet, mais les amateurs de passage qui ont été chanceux sont plus diserts. Un français assis pas loin de nous a justement fait la rencontre avec le Zubr ! Il se baladait innocemment à vélo en plein après-midi, quand, à l’occasion d’une pause, un énorme mastodonte a croisé son chemin. Incroyable, mais le cycliste a eu la présence d’esprit ou le réflexe de filmer la scène, dans une vidéo ici virale ! Tout d’abord on ne voit rien mais la forêt s’agite, et le cycliste français explique avoir entendu un gros boucan de feuilles froissées et de branches cassées. Puis, à une quinzaine de mètres, l’animal surgit et se fige. S’ensuivent quelques secondes où l’homme et la bête se toisent, ni l’un ni l’autre n’osant bouger. Enfin, c’est la bête qui, du haut de ses 1,80 mètres au garrot pour une tonne, prend courageusement ses jambes à son cou (qu’il a énorme).
Le petit chanceux (qui en tremble encore un peu) nous donne son coin à champignon, enfin, à bison, et nous décidons d’y passer le lendemain nous aussi, des fois que l’animal soit encore dans les parages.
Jour 25, mercredi 8 août : à la cueillette du bison
Chose dite, chose faite, l’aurore nous trouve habillés de multiples couches de vêtements pour grimper à l’observatoire. Pas bête, nous nous trimballons aussi un thermos de thé et de quoi petit déjeuner : lors des planques, l’attente peut être longue. Nous ne sommes pas les seuls à avoir eu la même idée, dans l’observatoire, il y a déjà deux jeunes qui ont visiblement passé la nuit là-haut, et un photographe équipé d’un énorme appareil photo, qui, tout comme lui, a revêtu une tenue camouflage. C’est très beau, la plaine est recouverte de brume, seuls quelques grands arbres en sortent, c’est calme.
C’est très beau mais c’est aussi très long. Pour vous faire patienter, je peux vous en dire un peu plus sur les bisons. Sachez qu’en France, ils ont disparu dès le 8ème siècle, chassés par l’homme, mais ils ont survécu jusqu’au 20ème siècle dans la forêt de Bialowieza. La zone était plus ou moins protégée, puisqu’il s’agissait d’une réserve de chasse du tsar et de la noblesse, qui aimaient à chasser ces grands animaux. Il ne reste déjà plus beaucoup de bisons, quand, lors de la première guerre mondiale, l’armée allemande envahit la forêt et les abat pour faire manger ses soldats. Elle fait si bien que c’est un peu après la guerre que le dernier bison d’Europe est abattu, en 1919. Ne subsistent alors que les bisons des zoos et des parcs privés, mais ils sont assez nombreux pour que, patiemment, il soit possible de repeupler la forêt de Bialowieza, en prenant bien gare à éviter les consanguinités. Il y en a désormais environ mille entre les bisons de Pologne et de Biélorussie, tous issus de croisements entre les bisons des plaines et du caucase, et qu’il ne faut pas confondre avec le bison d’Amérique. S’ils sont autant, nous devrions bien arriver à en voir au moins un, un mâle, énorme animal d’une tonne pour 3 mètres de long et presque 2 mètres de haut, ou une femelle, deux fois plus petite.
Pendant que je vous cause, le soleil se lève progressivement et éparpille peu à peu la brume.
Les contours des arbres et des bosquets se dessinent lentement, et nous nous attendons à tout moment à voir émerger un petit troupeau de bisons, occupés à se rassasier de ces hautes herbes qui poussent à perte de vue.
Un râlement rauque se fait entendre… Mais malheureusement ce n’est pas un bison, mais un bidon, le mien, qui gronde et se révolte d’être aussi vide. Heureusement que Victor a prévu les victuailles, mais pour l’instant, nous essayons de faire le moins de bruit possible pour ne pas effrayer les animaux. Nous assistons à un très beau lever de soleil, malheureusement, les bisons ne sont toujours pas là.
S’ils ne viennent pas à nous, alors nous viendrons à eux !
Après un petit déjeuner, nous nous enfonçons donc à vélo dans la forêt tels des petits Buffalo Bill. Nous sommes tout d’abord très fébriles, le moindre craquement entendu, ou le moindre bosquet plus ou moins marron que nous discernons nous fait nous arrêter, écouter, guetter. Il n’est pas facile de progresser sur la route, dont les arbres tombés nous obligent à quelques acrobaties, mais ceci renforce notre conviction que nous approchons du but.
Un peu plus loin, toujours pas de bisons… Après avoir observé des chênes centenaires, nous descendons des vélos pour suivre le « chemin du tsar », sans doute son ancien lieu de chasse, dans un espace si préservé que les vélos sont interdits. A pied, nous verrons plus aisément les bisons, que nous ne risquons pas d’effrayer… Pourtant, la cueillette aux bisons se révèle aussi ardue que la cueillette des cèpes… Ils ne font pourtant pas vraiment la même taille, me direz-vous ! Certes, mais ils savent très bien se cacher et la forêt est grande. Au bout de plusieurs heures de recherche et sans doute déjà au moins 30 km de parcourus, nous prenons plaisir à les imaginer se planquer derrière les arbres en rentrant le ventre, dès que nous approchons. Nous en avons un peu marre, surtout que nous ne voyons rien d’autre, ni bestiaux, ni volatiles, ni même êtres humains, mais nous continuons. De toutes façons, nous n’avons pas le choix, nous sommes au milieu de la forêt.
Chemins après chemins, nous sommes bredouilles. Alors que la fatigue et la faim commencent à m’affaiblir, j’en viens à me demander si la vidéo du français rencontré hier n’était pas un canular, comme la soi-disant photo du monstre du Lock Ness. Si ça se trouve, ce n’était pas un bison, mais seulement une grosse vache en pullover. Victor mène de son côté les mêmes réflexions : le parc engage peut être un ressortissant de chaque pays pour aller montrer des vidéos de bisons aux touristes afin de leur mettre l’eau à la bouche, alors qu’en fait le bison est aux polonais ce que le dahu est aux français.
Au bout de huit heures de recherche, nous abandonnons quand soudain ! … Nous perdons espoir et nous nous rabattons sur une petite réserve fermée où quelques bisons et autres animaux du coin (loups, élans, wapiti, sangliers) vivent en semi-liberté, dernier espoir pour les chercheurs de bisons bredouilles. Comme cela correspond à notre situation, nous y allons. Le lynx enfermé dans 80 mètres carrés de pelouse pourrait avoir des choses à redire sur le côté « semi-liberté » de son enclos, mais voilà donc quelques photos des fameux zubr !
Il y a aussi un croisement de vache et de bison, le zubron (bisonson ou vachson en français, j’imagine), une énorme bête assez moche, plus grosse encore que le bison, mais qui semble très pataude et pas vraiment faite pour gambader dans les bois.
Bilan des opérations : levé à 4h du matin, 50km et 8h de recherche pour un lever de soleil et une balade en forêt ! On a connu journée plus productive. Allez demain, nous mettons le cap plein Nord, direction la Lituanie.
5 réflexions au sujet de « Jour 22 à 25: vers l’Est polonais, sur la Green vélo à la rencontre des derniers bisons d’Europe »
Un petit bonjour du couple de français croisé sur la piste en sable entre Mielnik et Bialowesa sous un soleil de plomb.
Nous vous suivons jour après jour; bravo pour les photos magnifiques et le récit passionnant qui nous fait vivre à distance votre beau voyage à vélo.
Pour nous c’est déjà le retour en France hélas. Nous sommes allés jusqu’à Terespol et avons ensuite pris le train pour Varsovie.
Bonne route, bon voyage et continuez à nous faire partager vos émotions. Grâce à vous nous continuerons de voyager par procuration.
Martine & Joel de La Chatre
Joel et Martine
Bonjour Martine et Joël,
Merci pour le commentaire et les nouvelles via le blog. A noter pour vos prochains voyages : Estonie, Lettonie et Lituanie aussi aiment bien les chemins en sable! Ou en terre! Mais finalement la Pologne reste une de nos destinations préférées pour le vélo. Depuis que nous nous sommes croisés, le temps n’a pas arrêté de péricliter, vous étiez au bon moment sur la Green Vélo. Nous sommes à Tallinn et prenons demain la route de la Russie.
WorldLiebe
Bonjour à vous,
de retour à la maison nous continuons à vous suivre à distance, c’est notre moyen de voyager immobiles (même si nous continuons à rouler à vélo).
Nous avons déjà fait l’Estonie et la Lettonie de Riga à Tallin par les iles, les pistes et les petits chemins il y a quelques années.
Vos photos de Riga nous rappellent de bons souvenirs.
Bravo pour les photos et le récit vraiment très vivant, quelle plume !
Continuez à nous faire vivre votre voyage.
Bonne route.
Martine & Joel
En france nous avons aussi notre Bison futé qui voit rouge ou noir et devient bien visible… Heureusement qu’ en Pologne ils se cachent dans les parcs .
Récit toujours bien agréable
Bill & Anne
Merci! Nous sommes bien content que ça vous plaise! Pour notre part, nous prenons plaisir à raconter nos petites aventures, mais cela est toujours mieux quand on sait qu’on est lus!
WorldLiebe