Parvenus au cœur de la jungle, il faut désormais nous en sortir pour atteindre Luang Prabang, où les parents de Victor doivent nous rejoindre pour les fêtes. Pour arriver jusque-là, il nous faut encore parcourir des montées et des montées, dans ce chaos vert qu’est la montagne du Nord Laos. Nous prévoyons, à l’issue de trois jours de route, une nouvelle pause dans le gros bourg de Nong Khiaw, un îlot de tranquillité posé sur les rives de la Nam Ou.
Jour 152, jeudi 13 décembre, 49km, 1063m de dénivelé : « Regonflés à bloc ! »
Ce jeudi matin de la mi-décembre, nous quittons Vieng Thong de bon matin et de bonne humeur, bien reposés pour affronter de nouveaux dénivelés. Et ils commencent dès la sortie de la ville, mais curieusement, ils passent bien mieux que les jours précédents. Nous constatons avec surprise que nos corps ont gardé la mémoire des efforts effectués, et qu’ils se sont endurcis, renforcés. Les mêmes montées qu’auparavant nous paraissent désormais plus faciles, et ne sont plus la source de souffrance ou d’épuisement. C’est fou cette capacité d’adaptation du corps humain ! Il faut dire aussi que nous avons enfin regonflé nos pneus, ce que nous repoussions toujours au lendemain.
Je précise quand même pour ceux qui se diraient – avec quelque raison certes – que nous sommes un peu idiots d’avoir tardé à sortir la pompe : nos pneus étaient évidemment loin d’être à plat. Mais des pneus surgonflés par rapport à des pneus simplement gonflés font toute la différence dans les montées.
Gonflés à bloc tout autant que les pneus, nous montons donc allégrement dans la montagne, et nous avons assez d’énergie pour discuter entre nous et nous raconter des histoires, renouant ainsi avec une tradition de notre voyage. Et le temps de cette manière, passe beaucoup plus vite !
Nos discussions sont également rendues possible par le fait que sur la route que nous avons empruntée, il n’y a presque pas de circulation : nous voyons ainsi seulement une demi-douzaine de véhicules par heure, quelques 4×4 blancs de temps en temps et deux ou trois bus par jour qui vont de grandes liaisons. Si les 4×4 sont souvent neufs, les bus sont pour leur part dans un état de délabrement avancé et sont brinquebalés de tous côtés sur un goudron troué comme du gruyère : à les voir cahoter sur les routes, nous leur préférons largement nos montures.
A ceci s’ajoutent des scooters, qui le plus souvent font seulement des trajets entre deux villages. Ils ne transportent presque jamais un seul conducteur, mais sont plutôt des véhicules familiaux, qui supportent jusqu’à quatre ou cinq personnes, des adultes et des enfants intercalés, ou d’incroyables charges (des sacs de légumes, de ciment, des caisses, de l’électroménager, des chèvres, des porcs ou encore une fois, un scooter chargé sur un scooter !). La plupart des enfants, surtout les tous petits jugés à l’avant entre les bras de leurs parents, nous font d’adorables coucous de la main quand ils s’aperçoivent que nous sommes des étrangers. L’utilisation des scooters dans la montagne n’en finit jamais de nous surprendre : parfois les conducteurs sont extrêmement jeunes, une douzaine d’années tout au plus, et d’autres fois, les passagers font même la sieste ! Nous croisons par exemple, dans une montée sinueuse, un jeune homme dont la passagère, sa femme probablement, dort dans son dos, tandis que lui-même soutient d’un bras sa petite fille endormie tout en conduisant de l’autre.
Sur la route, nous voyons aussi beaucoup de piétons, souvent des groupes d’enfants, dont on se demande parfois ce qu’ils font là, tout seuls dans la montagne. Si un scooter n’a pas de passagers, il peut s’arrêter et prendre derrière lui quelques enfants pour les déposer au village suivant. Nous sommes surpris par la grande autonomie des jeunes enfants, il n’est pas rare de voir des petites filles surtout transporter par la route des charges d’eau ou de bois dans un panier suspendu contre leur dos grâce à un bandeau qui leur ceint le front. Nous ne parvenons toujours pas à bien comprendre si les enfants vont à l’école, et quelles sont les horaires de celle-ci, puisque nous en croisons à tout heure du jour sur les routes ou dans les villages. Nous apprendrons plus tard par un guide que dans la montagne un instituteur se partage entre plusieurs villages : il ne peut donc faire cours que quelques jours par semaine dans une seule et même école. Ce même guide explique aussi que l’école n’est pas nécessairement une priorité pour les parents : l’éducation n’est pas considérée comme ce qui fait bouillir la marmite, au contraire du travail des champs ou des forêts (chasse et cueillette).
A la pause midi, nous trouvons une éminence rocheuse sur laquelle grimper pour pique-niquer d’une sorte de bo-bun réalisé avec la fin de nos réserves de riz, de la salade de la jungle, des cacahuètes et des crevettes réhydratées, souvenir de notre passage sur un marché chinois. Ceci rehausse un petit peu l’habituel, notamment grâce aux condiments que nous transportons dans notre kit de cuisine (ail, épices, soja) et nous repartons ragaillardis. L’après-midi aussi passe vite, dans des paysages d’une jungle dense et magnifique, et dans des villages dont chaque devanture de maison ou presque est dotée de son métier à tisser.
En fin d’après-midi, après quelques essais infructueux, nous trouvons même pour la première fois depuis longtemps un spot de bivouac tout à fait convenable, dans un petit chemin. Nous suivons celui-ci pour savoir si nous risquons d’être surpris par des villageois revenant de la forêt, mais il n’en est rien puisqu’il se termine par une barrière, et permet ensuite d’aller jusqu’à une rivière. Alors que nous descendons vers celle-ci, des vaches que nous surprenons en train de brouter détalent en galopant.
Le soir, alors qu’il fait noir et que nous sommes assis devant notre tente à manger notre repas, les mêmes vaches, qui ont dû, d’une manière ou d’une autre, contourner la barrière, s’amassent à quelques mètres de nous, hésitantes. Elles veulent passer par le chemin pour rejoindre la route, mais craignent de nous approcher. Nous les discernons à peine mais nous entendons leurs petites cloches qui résonnent dans leur collier de bambou, et nous voyons leurs yeux briller dans la lumière de nos lampes frontales. Pendant quelques instants un peu angoissants, nous craignons que par peur elles finissent par forcer le passage, en fonçant et piétinant notre tente, et pourquoi pas nous avec. Mais heureusement, elles sont si peureuses qu’elles optent pour un détour par le bois de bambous qui nous entoure, et nous les entendons sans les voir passer longuement à quelques mètres de nous en bousculant les bambous et en faisant craquer le bois mort.
Pour notre premier bivouac laotien, tout se passe bien et nous dormons comme des loirs. Il faut dire que nous avons réussi à relativiser nos appréhensions premières vis-à-vis du bivouac dans la jungle. Nous avons en effet cessé de craindre la présence des prédateurs effrayants comme les tigres, parce qu’à priori c’est la grosse bête qui a peur de la petite, mais aussi des bombes qui restent disséminées un peu partout au Laos depuis la guerre du Vietnam, mais qui ne se trouveraient pas sur les chemins. Reste la crainte des scorpions, serpents et araignées venimeuses… Hé bien disons que nous fermerons précautionneusement la moustiquaire !
Jour 153, vendredi 14 décembre, 73km et 1391m de dénivelé, jusqu’à Vieng Kham
Le lendemain matin, nous partons de notre agréable bivouac par temps gris, mais heureusement sans pluie. Comme la veille, et malgré un gros dénivelé à faire, nous ne rencontrons pas de difficultés dans la matinée.
Nous traversons des villages de tisserandes où des pelotes de fils colorés sèchent suspendus à des crochets. Le tissage semble être une affaire de femme, c’est en tout cas exclusivement elles que nous voyons assises devant les métiers à tisser face à de complexes écheveaux de fils de toutes les couleurs. Les hommes semblent être plutôt spécialisés dans la chasse et dans la vannerie ; nous les observons souvent occupés à tresser des paniers. Et chose intéressante que nous n’avions vu dans aucun pays auparavant, ce sont souvent les hommes qui portent les bébés dans leur dos !
Nous parvenons en haut d’un col sans trop souffrir, et découvrons une ambiance festive sur la route des crêtes : nous l’avions oublié, mais nous sommes à nouveau vendredi, et le vendredi, c’est la fête! Les gens déplacent à moto ou en camion des chaises en plastique et des sonos, et se regroupent pour écouter de la musique. Un de ces groupes nous arrête même dans notre route pour nous proposer, par l’intermédiaire de l’instituteur du village déjà un peu éméché, un ou deux verres de bière. Ce dernier s’adresse de préférence à Victor, comme la plupart des hommes en Asie du Sud-Est, et pendant ce temps les enfants nous observent avec de grands yeux et un vieux pépé tripote nos vélos en souriant de toutes les dents qui lui restent.
Le petit groupe nous observe avec curiosité, il faut dire que depuis notre départ de Vieng Thong, nous n’avons pas croisé un seul étranger, ni à vélo, ni à moto, ni même arrêté sur le bas-côté. La semaine précédente, de Sam Neua à Vieng Thong, nous n’avions vu en tout et pour tout qu’une demi-douzaine de voyageurs à moto ; autant dire qu’on ne se marche pas dessus dans le coin. Et du coup, les gens sont assez curieux des étrangers qui passent dans leur village, à plus forte raison quand c’est sur d’étranges et gros vélos. Après quelques verres gentiment offerts dans le gobelet en plastique commun du groupe, nous expliquons que nous avons de la route et les laissons à leur fête.
Au fur et à mesure de notre voyage, nous notons une différence entre les villages de la vallée et ceux des crêtes. Ces derniers sont accrochés à la montagne et dotés d’une impressionnante vue à 360° mais ils semblent plus modestes que leurs cousins des vallées, et nous avons vu plusieurs adultes affligés de déformations faciales impressionnantes. L’accueil que l’on nous fait varie de villages en villages, mais la plupart du temps, il est très joyeux : les enfants nous disent bonjour en agitant le bras, parfois morts de rire, et certains cherchent même à nous taper dans la main. Parfois, les adultes s’y mettent aussi, ils lèvent le pouce et y vont d’une petite boutade en nous disant bonjour en verlan : sabaïdi devient sabidaï, et ça fait bien rigoler tout le monde. De temps en temps, l’accueil qui nous est fait est plus contemplatif : les gens nous regardent passer avec une curiosité un peu froide, et les plus petits enfants peuvent se sentir un peu effrayés.
Échouant à trouver un endroit où pique-niquer, nous nous installons sur le bas-côté de la route à la sortie d’un village. Avec le peu de passage qu’il y a, de l’ordre d’un à deux véhicule par heure, nous ne risquons pas de nous faire renverser ! Après la pause du midi, les choses se gâtent, car nous devons faire encore beaucoup de dénivelé, et la route est très abîmée. De nombreux glissements de terrain l’ont endommagée, et le goudron a disparu au profit de cailloux et de terre sèche.
Nous devons même à un moment donné passer sur une route sur laquelle des pierres petites et grosses sont encore en train de rouler, et nous zigzaguons entre les obstacles. Dans ces circonstances, il est plus dur de grimper les côtes, et de toutes façons la route est souvent interrompue par des travaux.
Et quand il y a des travaux au Laos, il ne faut pas s’attendre à voir un panneau pour l’indiquer ou une déviation pour la contourner ; de toute façon, il n’y a qu’une route. A la place, une ou deux pelleteuses et un camion benne surgissent, coupent la route et commencent à creuser, tandis que les motos, camions et cyclovoyageurs attendent sagement dans la poussière qu’on les laisse passer. Dès qu’une benne est pleine, on libère un mince espace où il ne faut pas lambiner à se faufiler entre une flopée de camions et de motos, puis les travaux reprennent.
Même avec cette route au goudron en véritable passoire, nous parvenons finalement au bout de nos 1400 mètres de dénivelé, et redescendons vers une vallée plus peuplée.
Dans un gros village étendu tout en longueur le long d’une rivière, nous trouvons une guesthouse attenante à une station essence. Le petit bâtiment est fermé car il n’a aucun client, mais nous nous renseignons sur les prix et la prestation auprès de la pompiste de la station essence, qui semble aussi assurer ponctuellement le poste de réceptionniste. Il nous faut négocier allégrement les tarifs, que l’on nous propose bien trop élevés pour le niveau de prestation : une chambre pas très propre, sans fenêtre, et sans eau chaude. Je propose à Victor d’aller un peu plus loin chercher un autre hébergement, mais il insiste curieusement pour que nous nous arrêtions précisément dans cette guesthouse. S’il est si motivé à rester, c’est qu’il a repéré avec son œil de lynx une vendeuse de brochettes un peu plus haut, et ne peut plus penser qu’à ça, tout désireux qu’il est de varier un peu notre quotidien alimentaire.
Alors qu’on nous donne les clefs de la chambre, une camionnette débarque et les trois jeunes qui en descendent semblent se disputer avec la pompiste. Nous espérons que ce n’est pas en rapport avec le prix négocié au rabais de la chambre, car nous avons déjà déchargé nos sacoches, mais en fait, ils la réprimandent car elle nous a donné une chambre dans laquelle le ménage n’avait pas été fait. Les voilà donc qui entrent, changent les draps, balayent, nettoient la salle de bain… Tout de suite, le lieu nous paraît plus sympathique, d’autant qu’un des jeunes parle quelques mots d’anglais. Nous en profitons pour lui demander de l’aide afin d’obtenir de l’essence. Quand nous en avons demandé à la pompiste en lui montrant notre bouteille en plastique, elle a refusé de la remplir, semblant redouter que nous voulions en boire le contenu. Les jeunes aussi sont perplexes devant nos demandes d’obtenir de l’essence pour cuisiner : selon eux, il y a quand même meilleure manière d’allumer un feu. Après plusieurs quiproquos assez amusants avec le recul, et grâce à une démonstration du fonctionnement de notre réchaud à essence, nous obtenons enfin le précieux liquide, qui est ici rose ; la tâche fut moins ardue qu’en Chine !
Une fois installés, nous sortons donc acheter les sacrosaintes brochettes de Victor, et trouvons même un ananas et ce qui ressemble de très près à du pain : c’est peu de choses, mais après plus d’une semaine de la même pitance monotone, ça fait très plaisir !
Jour 154, samedi 15 décembre, 48km et 1058m de dénivelé : arrivée à Nong Khiaw
Nous nous réveillons après avoir plutôt bien dormi dans notre petite guesthouse de bord de route, car, même si le cadre était loin d’être idyllique, au moins, les karaokés du vendredi soir étaient éloignés ! Alors que nous remballons nos affaires et préparons notre énième bo-bun du voyage aux nouilles de riz et cacahuètes, cette fois-ci cependant agrémenté de bouts de brochette de notre repas de la veille, nous attirons la curiosité du pompiste d’à côté. Visiblement, celui-ci s’ennuie un peu à sa station essence où ne passe pas grand monde (il faut dire qu’il n’y en a pas moins de trois ou quatre dans le village, une tous les 500 mètres, ce qui fait une sacrée concurrence) et passe donc plusieurs fois nous rendre visite. Et voilà le papi pompiste qui ouvre nos sacoches pour en voir le contenu, soulève le couvercle de notre casserole pour observer l’eau qui boue, et je finis par demander à Victor de fermer la porte de notre chambre quand je sens qu’il est à deux doigts de venir s’asseoir sur le lit pour nous regarder nous habiller.
Une fois prêts, nous revoilà partis sur les routes, et heureusement, le goudron, même s’il est encore troué comme un gruyère, a fait son grand retour. Grâce à notre entrainement et à nos bavardages qui nous occupent l’esprit, nous avalons notre dernier gros dénivelé, un peu plus de mille mètres, presque sans nous en rendre compte. Nous nous apercevons en arrivant au col que nous n’avons même pas encore fait de pause digne de ce nom, et nous nous installons un peu en contrebas d’un village, dans le fossé de la route, pour faire notre pique-nique. Nous voyons pour la première fois deux couples de touristes en scooter, qui ont fait le trajet entre Nong Khiaw, la ville où nous nous rendons, et le col, puis redescendent. Leur présence atteste que nous ne sommes plus très loin de notre but, mais inquiète aussi Victor. Il est un peu réticent à abandonner la tranquillité des montagnes si c’est pour tomber dans un nid à touristes sans intérêt, mais la suite lui donnera tort.
Après manger nous avons droit à une très belle descente qui nous fait quitter les paysages de montagne pour entrer dans une vallée plus large dominée par d’impressionnants pics karstiques. Nous nous avisons que nous en avons enfin fini avec la jungle montagneuse, et que nous pénétrons dans un autre décor, fait de rivières, rizières et éminences rocheuses abruptes.
Nous arrivons ensuite à Nong Khiaw, et découvrons un petit bourg plutôt tranquille coupé en deux par la Nam Ou, une large rivière qui se jette un peu plus loin dans le Mékong, et que les gens utilisent comme axe de communication. Comme nous ne sommes pas très loin de Luang Prabang, un des hauts lieux du tourisme laotien, il y a beaucoup plus d’occidentaux que nous n’en avons vu depuis longtemps, mais la dimension touristique de la ville n’en détruit pas le charme tranquille. Même si l’on sent que tout est fait pour que le voyageur occidental (ici un backpacker ou voyageur en sac à dos le plus souvent) se sente à l’aise, la ville n’est pas défigurée par les infrastructures de tourisme, qui sont restées de petite taille, en bois ou en bambous et se fondent dans le paysage.
Le maître mot des lieux est la tranquillité : pour preuve quand nous nous arrêtons au centre-ville, personne ne nous saute dessus pour nous proposer un hébergement, mais nous saluons une grand-mère, installée à son échoppe devant une guesthouse, et lui demandons une chambre. Nous ne le savons pas encore, mais elle nous donne alors les clefs de ce qui sera notre première « maison » durable du voyage, une chambre à l’étage d’un petit bâtiment, ouverte sur une terrasse dotée d’une belle vue, d’une table basse, de chaises et d’un hamac : le grand luxe !
Jours 155 à 160 : « Au repos dans nos hamacs à Nong Khiaw »
A Nong Khiaw, nous profitons d’un repos bien mérité, et une fois reposés, hé bien, nous nous reposons encore, et redevenons complètement sédentaires pour presque six jours.
Nous sommes comme des coqs en pâte sur notre petite terrasse de la guesthouse, qui fait, nous nous en apercevons vite, la meilleure cuisine du coin. Il faut être un peu patient car la cuisinière, la fille de la grand-mère qui nous a accueillis, fait tous les plats à l’assiette, mais nous découvrons avec délices les spécialités du Laos : Lap (salade de viande ou de poisson finement assaisonnée aux herbes), tomyum (soupe de poisson ou viande aux légumes, gingembre et coco) ou encore différents délicieux curry vert, rouge ou jaune. Même le « petit déjeuner lao », du sticky rice (un riz collé mais pas gluant, n’en déplaise à la traduction française des guides touristiques) avec une sauce tomate, des légumes vapeur et une omelette est un vrai délice, qui a aussi pour intérêt de nous rassasier pour toute la journée.
Comme nous avons le gîte et le couvert réunis au même endroit, nous passons beaucoup de temps sur le balcon, à se reposer dans notre hamac ou à travailler sur le blog. Nous développons des rapports de voisinage avec les autres chanceux clients de l’hôtel, de passage pour un ou plusieurs jours dans le coin. C’est d’ailleurs par l’intermédiaire de notre voisine hollandaise de droite que nous rencontrons Muriel et Julie, deux cyclovoyageuses suisses qui, chose incroyable, ont fait presque exactement le même périple que nous ! Nous ne nous sommes pourtant jamais croisés, car nous avions toujours quelques jours voire quelques semaines de décalage, mais nous sommes bien contents de nous rencontrer au Laos.
Nous sympathisons aussi avec notre voisine de gauche, Clémence, une française en vacances pour six semaines en Laos et en Thaïlande, et avec qui nous boirons quelques coups en terrasse, avant de la retrouver à Luang Prabang. Après des semaines de voyage durant lesquels nous étions relativement seuls, comme en Chine ou au Laos (à part notre rencontre avec Fernando, le cyclo mexicain), c’est très agréable de rencontrer tout ce monde, beaucoup de filles qui voyagent en solo, et de pouvoir échanger plus que trois mots d’anglais deci-delà. Finalement, on a beau dire, les lieux touristiques ont aussi leur avantage…
Gagnés par une torpeur propre à Nong Khiaw, nous ne sommes pas les plus actifs des touristes pendant notre séjour, mais nous réussissons quand même à grimper vers un point de vue qui offre une sacrée vue sur la vallée, ou à nous décider à partir en excursion vers un autre village à la réputation encore plus chill (tranquilou) que Nong Khiaw : Muang Ngoy. Ce village-ci n’est accessible que par la rivière, qu’il faut remonter en bateau pendant une heure, et est le point de départ de randonnées vers des villages isolés de tisserands ou de potiers.
Nous nous y rendons un matin, puis nous lançons dans une balade qui nous mène à travers trois villages dans une belle vallée dominée par les rizières.
Mais ce tourisme « ethnique », qui consiste pour beaucoup de gens à aller observer les villageois comme des bêtes curieuses et les prendre en photo sans leur accord, nous met mal à l’aise, surtout quand les villageois ont eux-mêmes l’air franchement gonflés par l’afflux des curieux. Cependant, nous décidons quand même de dormir dans un de ces villages, car, peu prévoyants, nous n’avons plus assez d’argent pour pouvoir nous payer une chambre dans le gros bourg de Muang Ngoy (où il n’y a ni banque ni de distributeur de billets). Les hébergements des villages sont beaucoup moins onéreux, et de plus, selon Victor, contribuer un peu à leur économie atténuera le côté intrusif de notre présence.
Et puis, il faut reconnaître que notre hôte du soir, Samsanouk, une petite madame qui loue une ou deux chambres (un matelas aux draps jamais changés sous une moustiquaire trouée) dans sa maison de Huay Bo, vaut le détour. Elle nous déballe d’abord des centaines de photos d’identité, laissées par ses pensionnaires au fil du temps, puis nous propose d’acheter de belles écharpes faîtes par sa mère, ce que nous déclinons puisque nous avons tout juste de quoi lui payer sa chambre (2 euros), un repas et notre billet retour en bateau. Elle ne perd pas le Nord et nous propose ensuite de nous soulager de ce que nous avons en trop : médicaments pour le dos douloureux de son mari, lampes frontales, et même mon pantalon de rechange !
Invités à prendre le dessert dans son salon (une étrange soupe violette au tapioca et à la courge, pour autant qu’on puisse en juger), avec sa petite fille et son mari, nous sommes mis à contribution pour lui rédiger des annonces publicitaires : nous recopions sur un petit cahier d’école quelques lignes de présentation de son restaurant en plusieurs exemplaires, puis en recevons une que nous devrons distribuer à un potentiel client. Tous ses pensionnaires sont passés par là, si bien qu’elle a des annonces rédigées à la main dans toute les langues, qu’elle distribue comme des cartes de visite ; si ça, ça n’est pas de l’esprit d’entreprise ! Victor s’amuse de cette petite mamie exubérante et un peu exigeante, mais moi personnellement je trouve que les choses vont un peu loin quand je me retrouve à devoir effectuer un massage au baume du tigre sur le bas du dos du papi.
Nous repartons de ce drôle de petit village après avoir été réveillés à l’aube par une flopée de coqs, et constatons que l’accueil des villageois est bien plus sympathique quand ils savent que nous avons passé la nuit chez eux. A l’embarcadère de Muang Ngoy, nous croisons une vendeuse de pain ambulante qui propose les plus belles baguettes que nous ayons vues… depuis la France, il y a cinq mois ! Nous les regardons avec avidité, sachant que nous n’avons plus un radis, et c’est un sympathique couple de français qui finit par nous en offrir une. Nous prenons le bateau avec eux et taillons le bout de gras jusqu’à revenir à Nong Khiaw, et retrouver avec bonheur notre petite chambre et son hamac !
Mais comme tout a malheureusement une fin, il n’est plus temps pour nous de continuer à faire les saucissons dans leur filet toute la journée : nous voulons être à Luang Prabang un peu avant Noël, histoire de prendre nos marques dans la ville pour préparer un petit réveillon et accueillir les parents de Victor. Alors en selle, camarade, la première issue de notre épopée débutée en juillet, la belle ville de Luang Prabang, cernée par les montagnes et langoureusement adossée au Mékong, est enfin en vue !
9 réflexions au sujet de « Jours 152 à 160 : Petit périple au pays des tisserandes dans le Nord Laos »
Ovomaltine et lait concentré sucré, toute mon enfance
François
C’est un peu austère pour la génération Nutella 😉
WorldLiebe
Coucou les voyageurs
Vous nous donnez envie de monter sur votre porte- bagage pour découvrir le Laos avec vous (mais sans se fatiguer…)
Vivement la suite!
Nicole et Christian
Nicole et Christian
Eh mais nous on les a rencontré Muriel et Julie! En Mongolie, devant l’ambassade chinoise!
Continuez comme ça les copains, on voit que le Laos vous plait bien!!
Bisous
Amélie et Antoine
Il nous semblait bien que vous nous aviez parlé de deux cyclos suisses à Oulan Bator ! On a croisé un couple belge à vélo hier sur la route qui descend vers le sud Laos et ils les avaient aussi aperçues la veille. Décidément elles sont partout.
Profitez bien de vos nouvelles aventures en Australie les copains!
WorldLiebe
Trop bien, on a l’impression d’y être !!!
Quel bonheur de retrouver par ta divine prose, Cécile, et tes belles photos, Victor, mes impressions et images de voyage…
Gros bisous à tous les deux.
Michèle
Michou
Trop bien !!! Après un long temps d’absence (comment est-ce possible ??), enfin je retourne sur votre blog !! Merci pour ces photos superbes et les péripéties talentueusement narrées ! 🙂 En selle, j’arrive 🙂 🙂
Bisous à tous les deux !!
Jeanne
Jeanne
Nous attendions ce récit de voyage dans des régions plus authentiques encore à l’écart du tourisme envahissant.
Mais que tissent-ils dans ces régions ?
Bon repos en famille
Bill & Anne
Bonne question ! Ils tissent de la soie et du coton, et font leurs habits traditionnels… Ainsi sans doute que tous les foulards et tentures vendus aux touristes à Luang Prabang !
Cécile