Malgré le plaisir que nous prenons à couler des jours tranquilles au bord de la Nam Ou dans la paisible bourgade de Nong Khiaw, il nous faut remonter sur les vélos pour atteindre Luang Prabang. Une fois parvenus jusqu’à cette ancienne capitale royale (jusqu’en 1975), une cité classée au patrimoine de l’Unesco, nous y passerons les fêtes de Noël avant d’y retrouver Jean-Jacques et Michèle, les parents de Victor.
Jour 161, vendredi 21 décembre, 79km et 671 de dénivelé : « Bien reposés et à fond sur nos vélos jusqu’au « cabaret des ados niais » »
La ville de Luang Prabang n’est plus qu’à environ 150 kilomètres de Nong Khiaw, et pendant longtemps, on pouvaient la rallier grâce à la Nam Ou puis au Mékong, avant que la rivière ne soit découpée en tronçons par de gros barrages. Ces derniers, massivement construits par les chinois pour produire de l’énergie, contribuent à modifier le mode de vie et de transport des riverains, qui pouvaient auparavant voyager loin au Sud ou au Nord en suivant les cours d’eau.
C’est donc en pédalant et non en flottant que nous effectuerons le trajet et nous craignions, en reprenant le vélo après presque une semaine de pause et de glandouille, d’être tout ramollis et de souffrir dans les côtes. Or il n’en est rien, les fesses à peine posées sur nos selles, nous filons comme des dieux sur la route de Luang Prabang, avalant les kilomètres et le dénivelé sans faiblir, redressant fièrement notre moyenne de vitesse jusqu’ici très modeste. Il faut dire que le dénivelé est plus raisonnable qu’avant, et surtout qu’il est bien réparti : nous pouvons profiter des descentes pour prendre de la vitesse et utiliser celle-ci dans les montées.
La route que nous suivons est plutôt jolie, et dès le début, nous notons des changements : les maisons qui jalonnent la route ont pour la plupart doublé de taille et ont l’air plus cossues, et les panneaux de signalisation ont fait leur retour. Ils ne sont pas très nombreux, et parfois pas très utiles, mais ils nous rappellent que nous n’en avions pas vu depuis longtemps. En effet, là-haut dans la montagne, il n’y avait aucun panneau, ni pour la limitation de vitesse, ni pour la signalisation des virages, et encore moins pour les directions.
La route est animée, et sans doute un peu plus chargée que d’habitude. Nous faisons la course avec des enfants à vélo et nous croisons même un cyclotouriste, qui cependant ne nous voit pas, caché que nous le sommes au milieu d’un groupe d’écolier. Il se passe aussi des choses moins gaies, comme cet accident incluant au moins un scooter et un blessé grave au crâne en sang… La route est pourtant droite, simple, et la vitesse des voitures comme des motos raisonnable, mais les scooters sont parfois déstabilisés par leurs lourds et improbables chargements. Et malheureusement, il est très rare de voir les conducteurs ou les passagers avec des casques…
Nous prenons sur le bord de la route un pique-nique aux composantes un peu inédites, dont la présence est due à un craquage de Victor, chargé ce matin de faire les courses à Nong Khiaw. Nous dégustons donc une salade, agrémentée de thon en boîte et même de vache qui rit, notre premier « fromage » depuis longtemps, tout en regardant passer les scooters (et une voiture transformée en ambulance transportant le blessé susmentionné) puis nous reprenons la route.
Le trajet se passe aussi rapidement le matin que l’après-midi, mais, en début de soirée, il nous est difficile, à cause de la densité de l’habitat et du paysage accidenté, de trouver un bivouac. Et de toute façon, nous sommes devenus trop exigeants : nous aimerions bien une douche, et pourquoi pas un lit, tant qu’on y est ? Nous nous arrêtons donc près de la seule et unique guesthouse des environs, qui jouxte, ô bonheur absolu en ce vendredi soir, un bar karaoké !
Mais notre journée n’est pas encore terminée. Car ce sont trois adolescents, un garçon et deux filles qui sont en charge du bar et la guesthouse, et nous avons bien du mal à nous en faire comprendre. Nous tentons un peu tout : nous montrons la guesthouse, le panneau, nous faisons des mimes, nous essayons nos quelques mots de laotiens… Mais rien à faire, en bons ados un peu niais, ils se contentent de rigoler entre eux ou nous jettent des regards surpris. Nous finissons par nous garer juste devant la guesthouse, et attendons que l’un d’eux finisse par appeler quelqu’un ou fasse le lien qui nous paraissait pourtant logique entre : « je tiens un hôtel, des gens s’arrêtent devant en fin d’après-midi et joignent les paumes sous leur tête en ronflant… Ils veulent peut-être une chambre ! »
C’est le garçon qui finit par s’y coller et nous rejoint avec une clé, pour nous montrer une chambre tout à fait correcte à 60 000 kips (environ 6 euros). Contents de voir que nous nous sommes enfin compris, nous lui réglons le prix de la chambre et en profitons pour lui acheter deux bières (20 000 kips). Mais ce n’est pas encore tout à fait fini, car l’adolescent n’a pas songé à tout expliquer à la véritable propriétaire de la guesthouse, sa grand mère probablement, qui vient nous voir car elle ne comprends pas pourquoi nous avons donné 80 000 kips et pas 60 000 à son petit fils. Il faut en passer par une interlocutrice anglophone appelée par téléphone pour enfin se comprendre; des fois c’est quand même compliqué!
Une fois les tractations commerciales terminées, nous pouvons enfin nous restaurer puis nous coucher, mais zut de zut, c’est encore la folle soirée du vendredi, karaoké puis musique à fond les ballons dans le bar, rempli à craquer de jeunes gens !
Jour 162, samedi 22 décembre, 66km, 586m de dénivelé : « le jour le plus dur »
Ce matin, ça n’est la grande forme pour aucun de nous deux, et ce n’est pas à cause de notre mauvaise nuit due au karaoké d’une part et de l’incessant plic-ploc du robinet de la salle de bain qui fuit de l’autre. Au contraire, j’accuse la salade de la veille que nous n’avions pas dû bien laver ; c’est toujours un peu risqué de vouloir manger des légumes crus qu’on ne peut pas éplucher, nous le savons pourtant ! Nous en aurons la confirmation plus tard à Luang Prabang en voyant une vendeuse du marché rafraîchir les légumes de son étal en les aspergeant d’une eau maronnasse immonde qu’on pourrait penser recueillie dans un caniveau.
Si Victor se sent seulement barbouillé sans plus, je souffre pour ma part de violentes crampes d’estomac, qui m’incitent à gober un médicament au petit déjeuner. Heureusement, nous n’avons qu’une petite journée devant nous, surtout si elle passe aussi vite que la veille, et après, nous aurons tous le temps de nous soigner et de nous reposer.
Mais cette journée, qui devait être une véritable partie de plaisir, et une étape anecdotique après tout ce que nous avons traversé de montagnes au Laos, se révèle vite une véritable épreuve. Après 25 kilomètres, j’ai la nausée et me sens déjà exténuée, mais me rassure en me disant que nous avons déjà fait la moitié de notre trajet. Cependant, en révisant notre itinéraire, nous réalisons que nous avons fait une erreur d’estimation, nous n’avons pas cinquante kilomètres à faire mais presque soixante-dix, ce qui me paraît à ce moment-là insurmontable. Profitant d’une pause, je prends un nouveau comprimé de spasfon pour lutter contre les crampes d’estomac même si le premier s’est révélé absolument inefficace, ainsi qu’un anti-nauséeux, histoire d’éviter de repeindre la chaussée.
Comme pour venir en rajouter à cette journée qui ne s’annonce pas sous les meilleurs augures, les paysages que nous traversons sont bien moins jolis qu’auparavant car des travaux pour un gros barrage réalisé par Power China défigurent la montagne et la rivière. Il y a aussi désormais beaucoup de travaux et de poussières, et les ouvriers de la route ne nous disent plus « sabaïdi » mais « nihao » prouvant en nous disant ainsi bonjour qu’ils sont chinois et non laotiens. Non contente de ravager et de polluer son propre pays, la Chine vient donc désormais abîmer celui des voisins. Et sans beaucoup d’avantages pour ceux-ci, puisqu’elle fait à priori venir ses propres ouvriers et que (selon ce qu’on nous a dit) elle conserve la propriété du barrage et revend l’énergie produite aux laotiens.
Nous avons à peine fait cinq kilomètres depuis notre pause qu’une côte un peu rude a presque raison de moi. Je demande une halte et m’allonge illico dans les fourrés, la tête qui tourne et des poids noirs dans les yeux, un sac en guise d’oreiller. Et voilà ce pauvre Victor qui doit attendre au bord de la route que j’ai fait un petit somme réparateur, à deux mètres à peine de la circulation. Le pauvre garçon, désœuvré et un peu inquiet, se met à scruter les voitures, envisageant de faire du stop.
A ce stade-là, mon corps puisant toute l’énergie pour lutter contre ce qui est probablement une bonne intoxication alimentaire, je n’ai plus beaucoup de forces pour pédaler encore une trentaine de kilomètres. C’est vraiment cruel, alors que nous sommes si près du but, Luang Prabang, mais aussi de nos 5000km! Un peu ragaillardie par ma sieste en PLS sur le bas-côté, nous décidons de ne rien lâcher, et nous repartons doucement, en prenant tout notre temps dans les montées.
Le reste de la journée est pour moi un peu flou : je me souviens seulement que c’était la plus longue étape de ma vie, que j’étais constamment assoiffée et que chaque kilomètre, même sur du plat, était un véritable enfer.
Après un nombre incalculable de pauses et même une nouvelle sieste sur un terrain vague, nous voilà enfin en vue de la ville, accompagnés par une circulation plus dense qu’auparavant et même par un rayon de soleil. Habituellement, nous aurions été tout contents d’avoir une fin de journée ensoleillée, mais là, nous craignons que cela ne soit la goutte d’eau qui fasse déborder le vase.
Arrivés dans les faux bourgs de Luang Prabang, Victor immortalise notre cinq millième kilomètre par une composition artistique alors que je m’effondre dans l’herbe, lui inspirant par là même une autre magnifique mise en scène.
Quelques temps après, nous voilà enfin dans notre dortoir d’auberge de jeunesse, où nous devons passer une nuit avant d’avoir accès à notre airB&B le lendemain. Nous n’y restons pas longtemps, car la propriétaire du logement susmentionné, apprenant que nous sommes déjà en ville, nous propose d’investir les lieux en avance et gratuitement, car elle n’est pas disponible pour nous accueillir le lendemain. Nous rechargeons donc nos vélos et déménageons dans une jolie maison qui sera pour quelques jours notre camp de base pour profiter de Luang Prabang à deux puis à quatre avec les parents de Victor.
Et il n’y a pas à dire, on est drôlement mieux dans une maison toute peinarde et fraîche que dans un dortoir pour se remettre d’une longue journée de route par temps d’intoxication alimentaire ! Ayant retrouvé des forces, nous ressortons dans la soirée pour aller voir le centre-ville de Luang Prabang et son célèbre marché de nuit. Ayant aussi retrouvé un peu d’appétit, nous en profitons pour nous offrir quelques brochettes aussi appétissantes que méritées, pour notre premier repas de la journée.
Et on se couche dans un bon lit tout propre et confortable, avec une salle de bain rien que pour soi, dans une maison silencieuse dont les voisins ne sont pas des adeptes du karaoké… C’est bien aussi, parfois, d’avoir un chez soi!
Du 23 au 26 : « Fêtes de Noël à Luang Prabang »
Nous ne jouons pas beaucoup les touristes pour nos journées à Luang Prabang… Disons plutôt qu’on se réserve pour Jean-Jacques et Michèle, tout en essayant de récupérer un peu de notre dernier jour de voyage et de préparer un réveillon digne de ce nom.
S’ensuivent plusieurs jours où nous ne quittons pas beaucoup notre maison ; il faut dire que c’est la première fois que nous en avons une depuis bien longtemps. Le 23, nous rayonnons plus ou moins autour de notre lit pour nous remettre de nos maux de ventre, le 24 nous nous rapprochons de la cuisine pour nous préparer un chouette réveillon de Noël, et le 25 nous réinvestissons notre lit pour nous remettre des excès de la veille.
Dans la soirée du 25, malgré une santé encore aléatoire, nous sortons le nez de notre antre pour retrouver Fernando, notre compagnon de voyage à vélo mexicain, mais aussi Clémence, notre voisine d’hôtel à Nong Khiaw, et Julie et Muriel, deux cyclovoyageuses suisses rencontrées elles aussi un peu plus tôt. Tout ce petit monde étant présent à Luang Prabang, nous en profitons pour parler de nos différentes aventures autour d’une bonne bière, dans the bar de la ville, l’iconique Utopia.
Et puis le 26, nous avons rendez-vous à l’aéroport pour réceptionner les parents de Victor. N’étant pas sûrs de parvenir à les trouver, nous nous munissons de petits panneaux, à l’instar des chauffeurs de tuktuk (les taxis d’ici, des camionnettes bâchées multicolores) et des guides venus réceptionner leurs clients.
Mais les deux heures de retard de leur avion tempèrent notre entrain, et nos pancartes finissent par nous donner des airs de mendiants plutôt que de fougueux opérateurs touristiques.
Mais les voilà enfin, débarquant de l’avion et prêts à en découdre avec le Laos. Nous pouvons débuter une toute autre partie de notre voyage, bien différente mais tout aussi sympathique !
2 réflexions au sujet de « Jours 160 à 166 : De Nong Khiaw à Luang Prabang, une étape courte mais intense jusqu’à l’ancienne capitale royale »
Les agréments de notre civilisation européenne semblent redonner du tonus et du moral aux vaillants randonneurs.
Profitez au mieux de tous ces temps de repos en famille
Bill & Anne
C’est un peu ça…
Merci, des bises !
Worldliebe