Ah, mais maintenant voilà la grande Moscou qui se profile sur notre itinéraire, ville de départ du Transsibérien qui nous ouvrira les portes de la Sibérie et de l’Asie.
Voyager de nuit en train, c’est économique mais surtout très rigolo
Nous prenons le train le dimanche nuit (2h) à la gare de Saint-Pétersbourg, pour nous diriger vers Moscou. Une fois grimpés dans le train et alors que l’on a calé les vélos dans le couloir comme on a pu sous le regard à la fois circonspect et fataliste (si, si, c’est possible) de la cheffe de wagon (qu’on appelle une prodvonista), on a droit à notre premier choc culturel. Enfin choc, disons qu’on est un peu surpris et amusés de découvrir le wagon couchette russe. Après tout, nous on n’a plus l’habitude avec la SNCF de monter dans un train où tout le monde se met en pyjama ou en caleçon, se brosse les dents et dort, les pieds à quelques dizaines de centimètres de son voisin.
Arrivés à notre carré de quatre, nous sommes donc un peu décontenancés, et nous nous demandons comment procéder. Surtout que nous avons les couchettes du haut et que celles du bas sont déjà occupées, et qu’on ne veut surtout pas embêter nos voisins, un grand russe bien costaud et sa copine. Mais en fait, le grand russe, nous prenant sans doutes pour des italiens (ou, plus probablement, croyant nous parler français) nous salue d’un sympathique « bonjourno » et nous vient en aide. Il nous montre que dans le train de nuit, on ne fait pas de chichis ! Il empoigne nos grosses sacoches à une seule main pour les caler dans les rangements supérieurs, et nous aide même à faire nos lits. A un moment donné, j’ai peur qu’il finisse aussi par nous border, et c’est avec un peu de soulagement que je le vois se recoucher.
C’est l’heure de dormir, je galère à monter dans mon lit, ou plutôt à m’y faxer, en essayant de ne pas marcher sur le lit de notre serviable voisin, tandis que Victor fait attention à éteindre la sonnerie de son téléphone… Amateurs que nous sommes ! Nous apprendrons grâce au voyage en Transsibérien qu’il n’y a pas vraiment d’horaires pour faire du bruit, et que ce n’est pas mal vu de marcher sur le lit de son voisin du dessous, ni même d’ailleurs de s’y asseoir confortablement, quand bien même ce dernier serait en train d’y roupiller !
On dort bien dans ce train, même si personnellement, je m’interroge un moment sur les probabilités d’être éjectée de ma couchette en cas de freinage intempestif du train (les lits du haut n’ont pas vraiment de rambarde, enfin si, mais une minuscule ridicule toute petite). Nous arrivons en tout cas à l’heure prévue (12h) et tout fringants à Moscou, sous le soleil, qui plus est ! On remarque avec plaisir que le climat moscovite est plus doux et sec que celui de Saint-Pétersbourg.
La Grande Traversée de Moscou
Nous décidons d’aller directement chez notre Warmshower pour poser nos affaires et partir à la découverte de la ville : c’est un peu loin (15km au bas mot) et à l’opposé de la gare de Leningrad, où nous arrivons de Saint-Pétersbourg et d’où nous repartirons. Zut, nous ne l’avions pas vu avant… Ce n’est pas grave disons que c’est l’histoire de deux heures ! Hé bien non, il nous faudra finalement toute l’après-midi pour traverser cette ville tentaculaire…
Nous sortons de la gare avec une certaine appréhension, vite renforcée par le fait qu’Osmand (notre appli GPS) refuse catégoriquement de calculer un itinéraire cyclable. Nous sommes prévenus, le vélo n’a pas sa place à Moscou et nous empruntons prudemment les trottoirs et les passages piétons par peur de nous mêler au trafic. Pourtant, après avoir traversé (souvent par le biais de sous-terrains) quelques grands boulevards, l’entrée dans le centre de Moscou nous fait plutôt bonne impression. Nous osons nous aventurer sur la chaussée dans des petites rues assez mignonnes, puis l’hypercentre nous offre le loisir de slalomer entre les touristes dans des rues piétonnes. Nous profitons de notre passage en centre ville pour poser devant quelques monuments emblématiques de la capitale russe avec nos vélos, puis nous poursuivons notre route vers le parc Gorky (un écrivain russe) endroit familial et branché.
Le trajet en vélo s’avère jusqu’ici plutôt agréable et nous nous surprenons à encenser Moscou alors que nous redoutions qu’elle fasse pâle figure comparée à la belle Saint-Pétersbourg. La deuxième partie du parcours sera plus épique : entre d’un côté les ponts piétons et les passages sous-terrains qui nous obligent à pousser nos vélos lourdement chargés, et de l’autre les boulevards hostiles composés de dizaines de voies, nous progressons aussi difficilement que lentement.
Nous faisons de petites pauses pour ne perdre ni énergie ni moral, nous rasséréner grâce à une petite bière et observer les grands immeubles qui grattent le ciel. Si Saint-Pétersbourg était monumentale, Moscou est colossale ! C’est aussi moins maîtrisé et homogène que Saint-Pétersbourg, ce qui finalement est assez agréable, car entre les grands boulevards, il y a aussi de plus petites rues dans lesquelles flâner et des endroits incongrus à découvrir, ce dont la ville de Pierre le Grand nous avait paru manquer.
Arrivés à destination, nous regrettons d’avoir opté pour l’hébergement chez l’habitant alors que nous aurions pu trouver un point de chute plus central. De plus, l’accueil de notre warmshover, Evgeniy (Eugène), est pour le moins assez minimal :
« – bonjour, voici mon chat Sarouchka (petite Sarah), vous faîtes quoi ce soir, moi je dois bosser ? »
« – Bah, on se casse du coup, on voudrait pas déranger ! »
Pauvre Victor qui rêvait d’un accueil chaleureux et familial et d’un bon repas chaud ! Enfin, ce n’est pas grave, on peut comprendre qu’il ait autre chose à faire, et c’est déjà gentil de nous héberger. Nous décidons de ne rester cependant qu’une nuit, pour ne pas avoir à refaire les terribles 20km de route dans Moscou avant de grimper dans le train pour quatre jours. Nous passerons donc notre seconde nuit dans une auberge de jeunesse du centre ville, la plus proche de la gare possible!
Pour ce qui est d’aujourd’hui, nous nous réconfortons en nous disant qu’au moins nous aurons eu droit à un beau panorama de la ville, depuis son centre, avec le Kremlin et la Place Rouge (malheureusement toute cachée par des estrades) à sa périphérie, de charmants boulevards de deux fois sept voies encerclés d’immenses immeubles. Et puis nous laissons Eugène travailler sur son ordinateur (il a l’air d’y avoir passé toute la journée) et allez, on refait le chemin dans l’autre sens, mais bien plus rapidement ! Pas folles les guêpes, cette fois on prend le métro ! Après tout, le Lonely Planet de Moscou classe le trajet en métro dans le top 10 des « choses à faire » à Moscou. Il faut dire que c’est un loisir peu cher dans cette ville très chère, et que les stations sont plutôt belles : il n’y a rien de glauque, ni de tristounet comme dans d’autres capitales, on se croirait plutôt en train de visiter parfois un Palais, parfois l’exposition universelle de l’URSS dans les années 1950.
Ressortis à l’air libre, nous redécouvrons le Kremlin de nuit, et comment dire… Déjà qu’il a l’air un peu surfait, avec ses grands remparts, son église à bulbes multicolores et sa couleur rouge, mais alors de nuit, éclairé par des milliers d’ampoules, on a vraiment l’impression d’être dans un décor de carton-pâte !
Les petites roulettes russes
On l’a dit un peu plus haut, pédaler à Moscou n’a rien de facile : les grandes voies pour voitures ne sont pas du tout adaptées, et les passages piétons, qui passe régulièrement en sous-sol ne sont pas bien pratiques pour les vélos, surtout quand ceux-ci sont chargés !
Pourtant, nous voyons, lors de notre second jour de visite à Moscou, qu’il y a pourtant une piste cyclable ! Elle passe entre la rivière de Moscou, la Moskova, et le parc Gorky et s’étend sur deux ou trois kilomètres. Il y a à côté un loueur de vélo : il doit louer les biclous à l’heure pour des moscovites qui font des allers-retours sur cette piste ! Bref, le vélo n’est pas à Moscou un moyen de déplacement, il est plutôt un loisir. Et il est aussi décoratif. En effet, c’est sur les trottoirs que l’on voit le plus de vélos : ils sont joliment peints et servent à suspendre des pancartes.
Nonobstant à Moscou, il y a des deux roues, ce sont celles des trottinettes ! De nombreux russes ont choisi ce moyen de transport, qui leur permet de combiner intelligemment métro, trottoirs et sous terrains. Il y a même des attaches vélos qui sont transformés en attaches trottinettes. Nous, en voyant les trottinettes attachées par la tige avec des antivols, on se demande quand même un peu par quel miracle elles ne sont pas volées !
La galère des africains en Russie
Dans les rues de Moscou, et de Saint-Pétersbourg avant elles, nous nous reconnaissons entre francophones ! Nous rencontrons plusieurs personnes venues de Côte d’Ivoire et de Guinée, qui, nous entendant, nous interpellent, bien contents de pouvoir parler français.
Ils nous parlent un peu de la vie en Russie, et ce n’est pas un bilan particulièrement positif. La plupart d’entre eux sont venus ici pour leurs études. A l’époque de l’URSS, des partenariats avaient été noués avec des pays africains non alignés ou communistes pour tenter d’influencer la formation de leurs élites. Aujourd’hui, certains étudiants africains peuvent bénéficier de bourses de leur pays ou compter sur le soutien financier de leur famille pour venir étudier dans les universités russes où les frais de scolarité sont a priori moins élevés (ils bénéficient d’abord d’une formation de plusieurs mois en russe). Après quelques années passée sur les bancs de la fac, le temps du retour semble s’éloigner… Il leur faut payer le billet retour vers l’Afrique et, lorsque leur titre de séjour arrive à son terme, ils doivent se mettre en conformité avec la justice russe et payer une amende pour chaque jour d’illégalité afin d’avoir l’autorisation de quitter le territoire (une sorte de visa de sortie). Or, il est très difficile pour les africains russes d’exercer une activité rémunératrice pour payer ce fameux sésame : la plupart d’entre eux font hommes sandwichs et ceux qui trouvent du boulot dans le bâtiment sont vite découragés par les conditions de travail hivernales (jusqu’à -30°C sur les chantiers). Surtout, ils souffrent d’un racisme non dissimulé et parfois très violent de la part de certains russes, au point qu’il leur était déconseillé il y a quelques années encore de sortir seuls dans la rue le soir sous peine de se faire lyncher par des identitaires russes. Au dire de l’un d’entre eux, les femmes sont plus conciliantes à leur égard… Même si les perspectives d’une union légale sont limitées par la peur du jugement des proches. Bref, pour eux l’Eldorado russe finit par ressembler à une grande prison à ciel ouvert. C’est triste à dire mais on en viendrait presque à considérer comme une attention généreuse la politique française d’expulsion des sans-papiers par charters…
Ismailovsky, le Disney Land russe
Nous l’avons dit, le centre ville de Moscou, dans toute sa démesure, nous fait un peu penser à un décor de carton-pâte, hé bien ce n’est rien comparé au grand marché de Ismailovsky, situé un peu en dehors du centre-ville.
Nous nous y rendons pour faire les touristes, attirés par les promesses de l’artisanat. Nous y découvrons une sorte d’hybridation entre Disney Land, pour les façades, et d’un souk, pour les étals. On y voit des milliers et des milliers de matriochka qui nous regardent de leurs yeux grands et naïfs, mais aussi des tasses du pire des goûts possibles. Notre préférée, une image trafiquée montrant Vladimir Poutine et Donald Trump, torses nus et l’air fier, chevauchant respectivement un ours et un lion qui galopent dans une rivière. Ça pique les yeux, mais il faut bien reconnaitre que ça ne s’invente pas… Enfin, si, mais il faut avoir un esprit sacrément tordu.
Un concours de beauté plein de couleurs
Lors de notre deuxième journée de visite à Moscou, nous assistons au concours de Lady Moscou, dans un parc ultramoderne qui jouxte le Kremlin (Zaryadye). Les tenues des participantes sont hautes en couleurs, et elles adorent prendre la pause devant l’objectif de Victor!
Des travaux de rue qui ne plaisantent pas
Malgré des lits à rideaux très confortables et un dîner plutôt bon au Market Place (sorte de stolovaya modernisée et branchée… et chère), nous dormons mal à l’auberge de jeunesse Star Wars car la rue est en travaux. Et apparemment, la nuit qui tombe n’est pas une raison suffisante pour arrêter le marteau-piqueur. Les travaux publics en Russie, ça ne plaisante pas, ils sont peut être en tout une cinquantaine d’ouvriers, bien décidés à refaire la rue en sans doute seulement quelques jours. Les conditions de sécurité ont l’air limites, pour les ouvriers comme pour les passants : et que je me balade sur les chantiers en tongs pendant que le copain découpe une dalle à la scie à vingt centimètres de mon gros orteil, et que je pose une planche en équilibre au-dessus d’un trou pour que les passants tombent, heu, traversent, je veux dire !
Bref, pour conclure, Moscou, c’est pas mal du tout! Mais bon, on n’est pas non plus déçus de quitter cette grande ville, un peu trop grande pour nous, et de grimper dans un train pour un voyage bien grand lui aussi, jusqu’à Irkoutsk en Sibérie!
Une réflexion au sujet de « Jours 51 à 53: Tourisme à Moscou »
Quel plaisir d’avoir des nouvelles ! On savoure et on attend la suite des aventures avec impatience… Bisous à nos cyclotouristes préférés.
M et JJ