Aujourd’hui, lundi 3 décembre, il est temps de quitter le Vietnam, après 14 jours passés dans le pays, et une traversée d’Est en Ouest, bien dans les temps puisque nous avions une autorisation de séjour limitée à 15 jours. Une fois traversée la frontière, nous prenons la direction de Vieng Xai, une petite ville perdue dans les montagnes et dotée de grottes, puis de Sam Neua, la capitale de la province de Houaphan.
Jour 142, lundi 3 décembre, 60km, 1164m de dénivelé : Au revoir Vietnam, good morning Laos! Entre efforts et réconforts au pays du million d’éléphant
Au petit matin, nous voilà au poste frontière de Na Méo, bien curieux de découvrir à quoi ressemblent les formalités de passage d’un pays à l’autre quand on est au milieu de nulle part. Le moins qu’on puisse dire c’est qu’il n’y a pas foule, nous sommes même les seuls à traverser, et nous nous attendons presque à trouver le douanier endormi les pieds sur son bureau et un brin d’herbe dans la bouche, comme dans les films de western.
Cela n’a rien à voir en tout cas avec notre frontière précédente, le pont bondé de Mong Caï, entre la Chine et le Vietnam. Pour faire les formalités c’est royal, d’autant plus que les fonctionnaires vietnamiens sont décontractés et plutôt accueillants ; nous en suivons trois dans leur bureau pour obtenir nos tampons et autorisations de passage. On nous a prévenus de potentiels cas de corruption et surfacturation, ainsi que d’une taxe à payer pour les vélos, mais contre toute attente, on ne nous demande absolument rien. La taxe sur les véhicules à deux roues est en fait réservée aux scooters et motos, ah, ça finit par payer de pédaler !
Après le poste frontière vietnamien, nous voilà devant le poste de frontière laotien, et alors là, c’est encore plus tranquille, à tel point qu’un chien a même décidé de faire la sieste devant.
Nous faisons faire nos visas directement à un petit guichet, mais nous buttons sur une question, celle de la « race », avant de choisir d’y inscrire « française », ce qui fait un peu vache de concours… Le douanier ne trouve rien à y redire, pas plus qu’à la case « profession » où Victor a inscrit « touriste » dans sa tentative de professionnaliser notre occupation actuelle.
Une demi-heure plus tard, nous voilà en possession de nos visas d’une durée d’un mois, et nous enfourchons nos vélos pleins d’entrain pour découvrir le pays. Cette grande motivation est un peu refroidie à peine la barrière passée, quand une douanière nous salue avec un sourire puis nous souhaite bonne chance… « Bonne chance » ? Mais pourquoi « bonne chance » et pas « bon voyage », c’est si terrible que ça, le dénivelé laotien ?
Heureusement, le suspens ne dure pas : à peine la frontière a-t-elle disparu dans notre dos que la route perd son goudron et se met à monter tout droit dans la montagne. Même si c’est dur pour nos mollets, nous sommes bien récompensés par les beaux paysages que nous découvrons sous le soleil.
Certes le Laos ça monte, mais qu’est-ce que c’est joli ! Nous traversons tout d’abord une agréable vallée, plus ouverte que ses voisines vietnamiennes, et au fond de laquelle coule une rivière. Les villages qui se dressent de part et d’autre de la route ont changé eux aussi, ils sont plus petits, plus rustiques, et ils ont l’odeur de la campagne. Nous remarquons très vite qu’il y a beaucoup moins de chiens, mais plus d’animaux de la basse-cour, et notamment de petits cochons noirs qui se baladent en liberté.
Les maisons, en bois et souvent sur pilotis, sont construites très près de la route, et exploitent celle-ci comme une cour : on y discute, on y cuisine, on y tisse ou encore on y joue pour les enfants. Passer sur cette route, au demeurant étroite et très tranquille, nous donne vraiment l’impression d’entrer chez les gens, et nous ne passons pas inaperçus.
Tout le monde nous salue, le plus souvent avec un grand sourire. Si les adultes saluent dans leur langue, « sabaïdi », les enfants s’essayent parfois à un anglais plus qu’approximatif. En effet, ils associent parfois leurs grands saluts de la main d’un « good bye », « bye bye » ou encore « good morning », même en plein après-midi… le prof d’anglais du coin ne doit pas être une tête. D’ailleurs, quand est-ce que les enfants vont à l’école ? Ils sont si nombreux tout au long de la route et toute la journée, qu’on pourrait penser qu’on est un dimanche ou un jour férié. A moins que ce ne soit parce qu’il n’y a pas d’école : nous ne voyons en effet pas de structures qui pourraient faire penser à l’école, alors qu’elles étaient bien visibles au Vietnam où tous les enfants portaient l’uniforme. Nous n’avons peut-être simplement pas l’œil assez exercé, mais on peut aussi considérer que les coins que nous traversons sont particulièrement pauvres, et que les possibilités d’éducation, par ailleurs payante, sont limitées.
Alors que nous nous émerveillons des beaux paysages de la vallée, voilà que celle-ci prend fin et que la route nous invite à grimper vers un premier col. Et elle ne monte pas gentiment, mais propose plutôt des portions de route de terre à plus de 10 ou 12% sur lesquelles même les véhicules, heureusement peu nombreux, ont du mal à monter. Et quand nous pensons être bien rincés, voilà des travaux !
Et les travaux au Laos, ça ne plaisante pas. On ne refait pas la route portion par portion, mais tout d’un seul coup, alors qu’on n’a qu’une pelleteuse, et peu importe si une source ruisselle sur la terre et transforme la route en marais. Nous voilà bientôt arc-boutés sur nos vélos pour les extraire d’une boue maronnasse et collante, qui, non contente de ruiner nos chaussures déjà bien éprouvées par le voyage, encrasse aussi nos roues, nos gardes boues, nos freins et nos sacoches.
Arrivés en haut à bout de force, nous nous arrêtons pour observer le paysage mais aussi pour regarder les travaux en contrebas, et les pauvres bougres en camion qui tentent de s’extraire de la marée de boue. C’est un sacré spectacle que de voir la pelleteuse venir à leur secours et les pousser pour les désembourber, d’ailleurs les villageois du coin sont également venus y assister.
Nous en profitons aussi pour nous restaurer, mais nous n’avons droit qu’à un repas léger car depuis Na Meo nous n’avons pas trouvé beaucoup de ravitaillement. Nous grignotons donc en tout et pour tout quelques gâteaux secs avec des clémentines et des bananes, ainsi que des œufs durs, mais Victor, dans un réflexe un peu radin, n’en a acheté que deux.
La route pour redescendre du col est agréable et ouvre sur une nouvelle et magnifique vallée. Cependant, comme précédemment, le dénivelé ne nous épargne pas, et nos péripéties dans la boue ont déjà bien puisé dans nos réserves d’énergie.
Curieusement, c’est pour ma part mon vélo, et non mes cuisses, qui décide de faire grève en premier. Alors que nous passons sur une route de terre dans un village, il devient impossible pour moi de pédaler. Me penchant sur ma roue arrière en redoutant une crevaison, je me rends compte que c’est en fait simplement la boue, qui en s’accumulant entre ma roue et mon garde-boue, a formé un caillot solide qui empêche la rotation. Il faut le voir pour le croire ! Une fois le garde boue décrotté, nous revoilà repartis au milieu de jolis villages, où la vie en cette fin d’après-midi paraît être bien tranquille : les gens sont rentrés des champs et commencent l’apéro ou le repas, tandis que des enfants à poil s’amusent dans la rivière, installés sur des chambres à air de camion gonflées. A ce moment-là, nous voyons même l’incarnation de la « mignonitude » laotienne : une toute petite fille de deux/trois ans dans sa robe bleue, assise toute seule sur une petite table dans son jardin, lève sa petite menotte à notre passage en nous disant un sabaïdi tout joyeux.
Bref, si cela a tout de l’Éden quant au paysage et à la qualité de vie, la route ressemble plutôt à l’enfer pour nos cuissots fatigués. Malgré nos gros efforts durant la journée, le dénivelé nous accompagne jusque dans nos derniers kilomètres, et nous rend impatients d’arriver. Et enfin, après plus de 1150m de dénivelé, voilà Vieng Xai, jolie et tranquille petite ville avec ses airs d’Hollywood.
Nous entrons dans la première guest house que nous voyons pour demander une chambre et l’on nous propose un charmant petit bungalow avec sa terrasse. C’est si parfait qu’on en pleurerait et nous décidons de nous arrêter un ou deux jours à Vieng Xai, histoire de faire du tourisme et de nettoyer nos vélos.
Notre découverte enchantée du Laos n’est pas finie pour la journée car le soir, dans le restaurant attenant à notre bungalow, nous découvrons, nous et nos petits estomacs affamés par une journée de grignotage de biscuits et bananes, un des mets les plus attractifs de la gastronomie laotienne. En fait, la serveuse ne parlant pas anglais, elle décide pour nous du menu et nous apporte un barbecue laotien à la viande, spécialité du restaurant. Il s’agit d’un récipient en métal qui ressemble à un gros presse-agrume et qui repose sur des braises : on fait griller de la viande ou du poisson sur la partie bombée tandis que de la verdure cuit doucement au bouillon dans le réceptacle en dessous.
C’est un tel régal que nous en mangeons plus que de raison, et demandons même du riz en accompagnement. C’est l’occasion de découvrir le « sticky rice » un riz incroyablement compact que l’on ne mange pas avec des baguettes mais avec les doigts, en le trempant dans les sauces ou les bouillons comme du pain. Par contre, il a une propriété dangereuse que nous ne lui découvrirons que cette nuit quand nous endurerons d’affreuses crampes d’estomac : il gonfle dans le ventre !
Bilan de cette première journée : entre les paysages magnifiques, les gens accueillants et la bonne gastronomie, nous sommes très tentés de considérer d’ors et déjà le Laos comme notre pays préféré du voyage, ou au moins de lui pardonner sans rancune aucune toutes ses montées dans la boue et sous le cagnard.
Jours 143 et 144 : petit pause bien méritée à Vieng Xai et découverte des grottes du Pathet Lao
A Vieng Xai pendant deux jours, nous profitons d’un cadre particulièrement calme et agréable pour nous reposer mais aussi décrasser nos vélos, qui ont bien souffert de leur passage dans la montagne et les routes recouvertes de boue collante. Victor consacre un temps fou à briquer nos vélos pour leur redonner leur lustre des débuts, tandis que je l’observe du haut de notre terrasse. Le pauvre, s’il savait ce qui nous attend dans les jours qui viennent, il ne se donnerait pas tant de mal… Mais enfin, un vélo de cyclotouriste propre, ça n’est pas vraiment un vélo de cyclotouriste.
En parlant de cyclotouriste, nous en rencontrons un quand nous allons visiter les grottes de Vieng Xai, c’est Fernando, un sympathique économiste mexicain, parti depuis Hanoï pour quelques mois en Asie du Sud-Est.
Nous sommes les trois seuls touristes à visiter les grottes de Vieng Xai, car, même si elles ont un indéniable intérêt historique et culturel, elles sont situées dans une région difficilement accessible et donc délaissées par les circuits touristiques. Ici, à part quelques étrangers voyageant à moto, de courageux cyclotouristes écolos plein de bravoure et quelques vacanciers laotien, il n’y a pas grand monde… Et c’est très bien !
La visite des grottes est passionnante, nous les découvrons avec un guide et nous revivons, grâce à des audioguides, les neuf années de bombardement endurées par les communistes laotiens et les populations locales, harcelées jour et nuit par les américains et contraints de vivre dans des grottes. Celles-ci ont été aménagées par le parti communiste laotien, le Pathet Lao, pour leur permettre de continuer à vivre malgré la perpétuelle menace des avions, alors même que le Laos n’était pas encore en guerre avec les États-Unis, et que la plupart des laotiens de la région n’avaient même jamais entendu parler des américains. Ils ont pourtant pris sur la tête plus de bombes au Laos en neuf ans qu’il n’en est tombé sur toute l’Europe pendant la seconde guerre mondiale. Le pays est d’ailleurs encore truffé de bombes non explosées puisque les Etats-Unis n’ont pas daigné faire le ménage après leur défaite, et il arrive encore aujourd’hui fréquemment que les gens finissent par sauter dessus.
La visite des grottes est aussi intéressante qu’émouvante à de nombreux titres, et nous découvrons, creusés dans la roche, des bureaux, des dortoirs, des cuisines, ou encore un hôpital et une salle de spectacle.
Le soir, nous nous retrouvons autour d’une bière avec Fernando dans un restaurant pour causer un peu, et un allemand qui voyage en moto depuis plusieurs mois se joint même à nous. Mais autant nous trouvons Fernando fort sympathique, autant cet autre type ne nous dit rien qui vaille. A peine assis à notre table, il se met à tout critiquer du Laos et de l’Asie en général. Il se plaint ainsi des prix trop élevés de l’hébergement au Laos, qui, il est vrai, sont plus élevés qu’au Vietnam et moins négociables, mais aussi des gens, qui viennent lui parler, dit-il, simplement pour exercer leur anglais. On reconnaît bien là l’attitude de certains voyageurs occidentaux qui finissent par penser que comme ils sont en Asie, il faut obligatoirement que les prix soient le plus bas possible pour qu’ils aient le sentiment de s’y retrouver. Quant aux gens qui viennent lui parler quelques mots d’anglais pour s’exercer, pourquoi ne pas en profiter pour entrer en contact ? La plupart du temps, même si les possibilités d’échange sont limitées, c’est assez rigolo.
Bref, la soirée aurait sans doute été plus agréable sans lui, d’autant qu’il se met à tenir un discours franchement raciste après quelques bières, mais nous avons avancé sur la question de notre itinéraire du lendemain.
Nous pensions faire une soixantaine de kilomètres jusqu’à une cascade, mais le dénivelé de 1700m nous a vite refroidi. Fernando aussi, et il a choisi de faire l’étape en deux fois, en s’arrêtant pour au moins une nuit dans la ville de Sam Neua. Inspirés par sa sagesse, nous décidons de faire la même chose, et, si nous allons au même endroit, pourquoi ne pas y aller ensemble ?
Le rendez-vous est donc pris avec Fernando, nous nous retrouverons le lendemain matin pour un petit déjeuner sur notre terrasse, avant de prendre la direction de Sam Neau.
Jour 145, jeudi 6 décembre, 30km et 491m de dénivelé : En route vers Xam Neua avec Fernando
Le lendemain matin, nous constatons que Fernando est aussi matinal que nous : alors que nous avons rendez-vous à huit heures, nous décalons à neuf heures car nous ne sommes pas prêts, puis Fernando arrive à dix heures. Pas de stress, nous n’allons pas loin !
A onze heure donc, nous voilà enfin tous les trois sur nos vélos, prêts à affronter le dénivelé sous un soleil déjà bien haut et bien chaud. Heureusement, nous n’avons qu’une trentaine de kilomètres à parcourir, et malgré les montées et le soleil qui tape bien correctement sur nos petites têtes toutes dégoulinantes de sueur, la journée passe vite.
Nous arrivons en début d’après-midi à Sam Neua, une ville pas trop moche mais bien moins attrayante que la jolie et arborée Vieng Xai. Après avoir mangé quelques brochettes dans ce que nous avons découvert être un karaoké où les laotiens chantent aussi fort et faux que les vietnamiens, nous voilà posant nos sacoches dans un petit hôtel du centre-ville.
Laissant Fernando aller chercher des informations sur les treks de la région, nous nous rendons pour notre part au marché alimentaire de Sam Neua, qui fait la renommée de la ville. Disons-le carrément, c’est sans doute parce qu’il n’y a pas grand-chose d’autre à y faire ; le marché est sympa, sans être exceptionnel. Nous levons un sourcil intrigué sur quelques étals proposant des rats et des chauves-souris, mais remplissons nos poches et nos ventres avec plaisir de gros beignets fourrés. Nous rachetons aussi des légumes et des fruits, histoire de pouvoir pique-niquer, tout en privilégiant la modération : avec le dénivelé qui nous attend, il n’est plus question de nous surcharger en aliments peu consistants ou peu énergétiques.
En fin de marché, nous trouvons de jolies saucisses, qui rappellent à Victor la charcuterie haut-marnaise de Brin de Campagne, alors, ni une ni deux, nous en prenons tout un régiment. Cédant à la nostalgie, nous choisissons de ne pas trop nous formaliser sur leurs conditions de conservation et les mouches qui envahissent les étales, et que les vendeuses chassent grâce à des éventails en feuilles de bananier.
Tout fiers de nos achats, nous décidons d’inviter Fernando à manger sur le toit de l’hôtel, où nous avons repéré des tables et des canapés. Lui aussi a craqué au marché et nous dégustons donc en entrée des bonnes glaces magnums, savourant en même temps nos retrouvailles avec le chocolat, si cruellement absent des confiseries depuis la Mongolie.
A partir de demain, c’en sera fini de la douceur de vivre et de la profusion des marchés : nous nous enfonçons dans la jungle montagneuse en direction de Luang Prabang, située à plus d’une semaine de vélo de là. C’en sera aussi fini du déplacement en groupe car nous prenons la route du Nord alors que Fernando a opté pour la route du Sud, celle que nous réservons pour notre part à nos vacances avec Jean-Jacques et Michèle, les parents de Victor, qui arrivent dans vingt jours exactement.
2 réflexions au sujet de « Jours 142 à 145 : Premiers tours de roue au Laos ou « la hausse » cruelle du denivelé »
C’est nettement plus accueillant et attirant. On sent revenir des vraies vacances
Bill & Anne
Bonjour Celine, bonjour Victor,
Après notre rencontre dans le mini van et la destination de réveillon de nouvelle an (je ne divulgue rien!) Nous sommes bien content d’avoir trouvé votre blog.
Nos salutations à Michèle et Jean Jacques.
Bonne continuation
Marielle et William