Jours 124 à 129 : De Nanning au Vietnam, balade en zone humide dans les montagnes chinoises

Notre traversée de la « Chine rurale » s’est jusqu’ici révélée un peu décevante, alors que les vallées alignaient d’interminables plaines agricoles. Nous reprenons désormais la route depuis Nanning vers le Vietnam, en espérant trouver, sans grand espoir cependant, des paysages plus sauvages et montagneux.

Jour 124, jeudi 15 novembre : journée de repos et de décrassage à Nanning

Une étape dans la ville de Nanning devait nous permettre de nous reposer après une semaine de vélo dans la campagne chinoise mais également de faire faire nos visas en vue du passage de notre prochaine frontière, le Vietnam. Notre guide touristique nous indiquait qu’il était possible de faire faire les visas par le biais d’une auberge de jeunesse à Nanning. Mais d’auberges de jeunesses à Nanning, il n’y a plus, malgré ses 6 millions d’habitants, et nous avons trouvé une chambre dans un bouge étrange. Il nous faut donc faire nous-même la procédure, quitte à attendre quelques jours que notre dossier soit traité, ou aller directement au Vietnam, où les voyageurs français bénéficient d’un droit de séjour de 15 jours sans visa.

Nous décidons d’opter pour la seconde option et de nous passer de visas pour le Vietnam : Nanning, et surtout le logement où nous avons échoué, nous paraissent bien trop déprimants pour s’y attarder. Quinze jours devraient nous être suffisants pour traverser le Vietnam en direction du Laos, et même pour aller faire un tour au bord de la mer.

Nous consacrons donc notre journée à nous décrasser – car tout, absolument tout, est recouvert de boue et de poussière : nous, nos vélos, nos sacoches, notre équipement – et à organiser la suite de notre périple.

Nous surveillons du coin de l’œil les activités des hommes, des célibataires de tous âges, avec lesquels nous partageons notre logement. Notre contact de la veille, un trentenaire à l’air un peu renfrogné et dont le seul job semble être celui de répondre à l’interphone pour ouvrir aux autres habitants de l’appartement, nous paraît avoir un quotidien bien déprimant. Il a le nez sans cesse rivé sur un écran, qu’il s’agisse de la TV ou de son smartphone, sur lesquels il regarde des matchs de baskets, des séries ou des gens qui jouent à des jeux vidéo. Il ne lâche jamais son téléphone, et ce même quand il sort sur le balcon fumer une cigarette, soit tous les quart d’heures, ou quand il mange un truc tout préparé au-dessus d’un sac en plastique. Bref, un quotidien passionnant, que nous sommes bien contents de n’avoir à partager qu’une seule journée. Surtout qu’il y a cette caméra, ce gros œil de bœuf moche fixé au-dessus du frigo, qui pivote avec un bruit exaspérant pour suivre nos déplacements. On se croirait en prison, comment peut-on accepter de vivre ainsi ?

Après avoir bien bossé de notre côté, nous nous octroyons un petit restaurant en terrasse, pour fêter nos quatre mois de voyage tout en ayant une petite pensée pour ma sœur dont c’est l’anniversaire. Nous découvrons la spécialité de Nanning, le poulet au citron, et la spécialité du restaurant, le crabe (après tout nous ne sommes pas loin de la mer) qui cuit à la vapeur sur la table, après des difficultés incroyables pour se faire comprendre des serveuses et elles de nous.

Vers la fin du repas, Victor ramasse le jouet qu’un tout petit enfant, deux ans peut-être, a fait glisser sous notre table, sous le regard bienveillant d’un groupe d’adulte qui mange et boit de la bière à côté de nous. Comme pour le remercier, le bébé revient et lui tend quelque chose dans sa menotte. « Oh, c’est mignon ça, mais qu’est-ce que c’est, un bout de bois, un stylo ? ». Non, non, c’est une cigarette, que les parents et leurs amis font porter à Victor par le biais du petit gosse, qui repart pour apporter ensuite le briquet et c’est tout juste s’il ne la lui allume pas. Et voilà comment un charmant bambin vint momentanément interrompre les trois mois d’abstinence tabagique presque parfaite de Victor.

Jour 125, vendredi 16 novembre, 36km et 157m de dénivelé : Départ de Nanning et retour en selle boueux

Vendredi à Nanning, il pleut, mais cela ne nous empêche pas de vouloir partir. Nous prenons un peu le temps de nous préparer, et puis hop, après un doigt d’honneur bien mérité à la caméra qui épie nos mouvements et empiète sur notre intimité, nous revoilà dehors.

Nanning est vraiment une grande ville : nous avions eu besoin de 20km pour atteindre son centre, il nous faut à nouveau 20km pour en sortir. Cependant, nous circulons mieux que l’avant-veille : ce n’est pas l’heure de pointe, et nous sommes devenus plus audacieux dans la circulation exubérante de la ville ; on en serait presque à klaxonner les camions et les scooters. A la sortie de la ville, nous nous arrêtons, alors que la pluie redouble, dans un centre commercial géant. Pendant que Victor prépare notre itinéraire sur le GPS, je vais faire des courses et découvre un immense supermarché à l’européenne. Je trouve, grand luxe pour nos petits déjeuners, des pots de beurre de cacahuète et de confiture ! J’en profite aussi pour acheter des fruits secs, bien utiles pour les journées vélo, et des légumes. Victor a réussi à résoudre le problème de notre réchaud et nous pouvons à nouveau cuisiner : cela fait si longtemps, savons-nous seulement encore comment faire ? J’ai pris tellement de choses que nous avons du mal à tout caser dans les sacoches mais nous sommes bien contents de varier notre ordinaire. Après avoir mangé un bout, nous repartons en direction du Vietnam, et, comme la pluie n’a pas cessé, nous décidons de l’emmener avec nous.

Un peu après Nanning, nous retrouvons des petites routes, et de la boue toute marron en veux-tu en voilà qui salit sans se faire prier tous les vêtements et équipements qu’on avait si scrupuleusement briqués vingt-quatre heures plus tôt.

Et nous revoilà tout dégoutants

Fait exception de la pluie et de la boue, le trajet n’est pas désagréable jusqu’à ce que nous atteignons un village où un bac nous amène de l’autre côté d’une rivière.

Sur le petit ferry, les gens ont l’air de se demander ce que nous faisons là, mais nous rencontrons une gentille jeune fille, prof d’EPS, qui parle anglais et nous conseille un itinéraire (et veut nous faire prendre un bus). Nous traversons ensuite un bourg qui nous surprend un peu : il n’est pas un simple alignement d’immeubles ou maisons en blocs de béton autour de la nationale comme nous nous y étions habitués. Les constructions sont plus espacées, les bâtiments sont peints et la ville arborée respire, n’étant pas uniquement centrée sur la route principale qui la traverse. Aurions-nous enfin changé de paysage urbain ?

La jeune fille rencontrée sur le bac (partie devant en scooter) nous attend devant un magasin. Elle nous conseille d’y faire nos courses tandis qu’elle garde nos vélos, car après cette boutique, c’en sera fini des magasins pour un bon moment. En la remerciant de sa délicate attention, nous pénétrons dans la boutique pour chercher ce qui nous manque encore, j’ai la charge de trouver les nouilles chinoises, et Victor le papier toilette. Comme il ne le trouve pas dans les rayons, je l’entends à l’autre bout du magasin demander « toilet paper ? » au gérant mais celui-ci ne parle pas anglais. Je remonte donc les rayons en courant pour assister à l’échange, car il ne reste plus à Victor qu’à mimer l’objet voulu et c’est un spectacle à ne pas manquer. J’arrive malheureusement trop tard, ils se sont compris et Victor a un rouleau à la main : zut !

Nous repartons ensuite vers notre destination, prévenus par la jeune professeur de sport que la route n’est pas bonne. Elle n’a pas tort : la moitié de la route est en travaux, on en a donc enlevé le goudron, et nous devons louvoyer entre les nids de poule pour éviter de nous enfoncer dans une boue désormais plus grise que marron. Au bout d’un moment, nous voyons un petit embouteillage de scooters, camions et charrettes motorisées : on ne peut plus avancer car on vient tout juste de poser et d’aplatir du goudron, qui est encore tout chaud et colle aux roues. Qu’à cela ne tienne, nous bifurquons sur un petit chemin et nous enfonçons dans des champs pour trouver, avec une facilité déconcertante, un spot de bivouac tout à fait convenable. Nous n’avons fait qu’une quarantaine de kilomètres mais la nuit tombe déjà, et il est agréable pour une fois de ne pas s’arrêter exténués, afin de profiter d’un peu de temps pour cuisiner, faire de la retouche photo ou encore jouer aux dés. Une grosse journée nous attend pour le lendemain, que nous espérons sèche, mais sans trop y croire.

Jour 126, samedi 17 novembre, 85km et 450m de dénivelé : des plaines à la montagne sur les petites routes chinoises

Nous ne nous sommes pas trompés, nous nous réveillons encore une fois sous la pluie. Celle-ci nous incite à paresser un peu, jusqu’à ce que nous entendions passer un tracteur, qui s’embourbe juste à côté de nous. Nous sortons la tête de la tente pour saluer les gens qui l’occupent, mais ceux-ci se sont déjà garés un peu plus haut et ont disparu dans les champs de canne à sucre. Nous en concluons que notre présence ne les gêne donc pas (non sommes sur un recoin de chemin et non dans un champ) mais il est quand même l’heure pour nous de partir.

Nous reprenons notre route en travaux, dont le goudron a eu le temps de refroidir, puis nous pédalons à nouveau dans la boue qui, nous le sentons et l’entendons, encrasse bien nos transmissions. Nous atteignons ensuite la ville de Fuizi que nous supposions petite ville mais dont nous mettons un temps fou à nous extirper. A sa sortie, nous trouvons une petite route un peu empruntée mais agréable qui nous fait renouer avec les champs de canne à sucre et les pics karstiques. Sauf que ceux-ci sont exploités à grande échelle pour faire du gravier, tant et si bien qu’on dirait parfois qu’on en a arraché un comme on arracherait une dent d’un dentier géant.

Nous déjeunons dans une petite gargote où nous retrouvons sans plaisir aucun l’accompagnement « bouts d’intestins de porcs qui ressemblent à des anus » mais cette fois les nouilles sont proposées frites plutôt que baignant dans une soupe, alors ça passe un peu mieux.

Bientôt nous traversons des coins humides, avec tout un réseau de petits étangs consacrés à la pisciculture. Dans certains étangs une machine sous la surface pulse et fait des bulles pour oxygéner l’eau des poissons. « Il en faudrait une pour oxygéner ton cerveau » commente cet hilarant petit Victor d’humeur blagueuse. Les étangs laissent ensuite place en fin d’après-midi à de petites montagnes recouvertes de forêts artificielles. Dans ces coins plus pentus et particulièrement humides, il devient difficile de trouver un bon coin de bivouac, alors que, cruellement, ils étaient foison un peu plus tôt. Pourtant, il nous faut nous arrêter, car le jour tombe et la circulation s’intensifie, alors même qu’il n’y a pas de bas-côté sur lequel rouler.

En suivant un chemin forestier ascendant, nous finissons par trouver un endroit à peu près plat et bien pauvrement caché par des eucalyptus maigrichons. Ça n’est pas du grand luxe, mais au moins, nous n’entendons pas la route.

Jour 127, dimanche 18 novembre, 68km et 731m de dénivelé : Toujours plus haut dans des montagnes toujours plus vertes

Au petit matin, le petit tapotement de la pluie contre la toile de notre tente suscite chez nous un peu d’irritation : « quoi, encore ? » Il faut dire que cela fait désormais plus d’une semaine que nous n’avons pas vu un rayon de soleil, ni un ciel dégagé. De plus, la pluie semble programmée pour nous cueillir à chaque fois au réveil. La grisaille et l’humidité permanente nous pèsent un peu, d’autant que cette dernière menace notre tente et nos vêtements qui pourraient moisir. Toutes choses étant égales par ailleurs, nous découvrons que notre bivouac, auquel on pourrait reprocher de n’être pas bien plat, a l’avantage de proposer un joli point de vue sur les champs de canne à sucre et la montagne, qu’un campement de bucheron s’acharne à déforester. Encore une fois, nous n’avons d’autre choix que de dévorer notre salade de fruits et nos tartines à l’abri sous la tente, puis nous plions nos affaires mouillées et reprenons notre route de montagne étroite sur laquelle il reste du dénivelé.

Quelques kilomètres plus loin, au niveau d’un hameau, nous découvrons un accident de la route qui vraisemblablement vient de se produire, entre un 4X4 et une voiture. Le choc a été si violent que la voiture s’est retrouvée perchée sur le talus qui domine la route, mais les victimes de l’accident ont toutes été extraites des véhicules, probablement aidées par les villageois qui observent la scène tandis qu’un policier sécurise les lieux. Il y a des gens blessés, et même un type bien amoché, la tête en sang, mais tout le monde attend assis que les secours arrivent et souffre en silence avec un stoïcisme impressionnant. Un kilomètre plus loin, nous voyons passer l’ambulance. Celle-ci d’ailleurs, arrivée à notre niveau, allume sa sirène pour… nous faire coucou ! Encore sous le choc du tableau que nous venons de voir, nous n’avons même pas le réflexe de répondre aux joyeux signes de la main des ambulanciers, et nous nous contentons de les regarder passer, abasourdis par tant d’enthousiasme. Pour nous, chaque accident de la route dont nous sommes témoins nous rappelle à quel point nous sommes vulnérables, et, après quelques montées et descentes nous sommes heureux de quitter cette étroite petite route de montagne.

Nous atteignons une ville où nous achetons nos désormais habituels baozis (des brioches vapeur fourrées à la viande et vendues entre 1 et 2 yuans l’unité) et où nous découvrons avec bonheur une sorte de boulangerie chinoise. Elle vend au kilo des gâteaux bien moelleux, mais aussi des beignets. Ce n’est pas cher (10 yuans le kilo soit environ 1,30 euros) et rudement bon, c’est bien dommage qu’il n’y en ait pas partout. Sur une route un peu vallonnée, nous retrouvons les étangs à poissons et les champs de canne à sucre mais découvrons aussi des élevages de canards ou de porcs. Ces derniers sont rassemblés à trois ou quatre dans de petits enclos couverts, on peut les voir parfois, mais surtout on les entend et, plus encore, on les sent ! Les alentours sont moins cultivés que ce à quoi nous étions habitués depuis Guilin, les maisons sont souvent plus petites, et l’ensemble fait moins riche, tout en ayant plus de caractère.

Nous trouvons ensuite un coin sympathique dans les champs de canne à sucre pour pique-niquer confortablement et faire sécher notre tente. Un chien nous observe à distance, puis se met à grogner et aboyer, avant d’abandonner la lutte, faute d’avoir pu capter notre attention. C’est le maximum qu’un chien nous aura embêté depuis notre arrivée en Asie, c’est peut-être, comme le dit Victor « parce que les chinois les tiennent à la baguette ».

C’est vrai qu’on s’étale un peu…

Nous reprenons notre route, faite de longues montées et descentes et, pour tromper l’ennui, nous nous consacrons à une activité devenue habituelle depuis notre randonnée au Mont Emeï : nous nous racontons des histoires. Je narre ainsi à Victor les aventures de Lanfeust, un héros de bande dessinée créé par Arleston et Tarquin. Alors que nous commençons le tome 6, nous avisons une large rivière, qui coule un peu en contrebas de la route sur laquelle nous nous trouvons. Elle est accessible par un petit pont, que nous utilisons pour remplir quelques bouteilles en prévision d’une bonne douche (nous avons dû abandonner l’usage de nos poches à eau qui fuient à grosses goûtes, détrempent sans arrêt nos sacoches et rouillent le matériel qu’elles contiennent). Le coin est si sympathique qu’il donne bien envie de s’y arrêter, mais il n’est pas très tranquille. Le pont doit relier un village, ce qui fait qu’il y a du trafic, et des femmes sont occupées à couper des roseaux. De plus, il est encore trop tôt pour s’arrêter ; il nous reste un bon dénivelé jusqu’au prochain col.

Alors que nous grimpons une petite route plutôt tranquille, un nouveau chemin de pierre et de boue, qui descend à pic sur notre gauche, attire notre attention. A n’en pas douter, il mène à la rivière, et là, sachant que nous sommes loin de toute habitation, nous serons tranquilles pour bivouaquer au bord de l’eau. Le chemin de terre promet d’être dur à remonter le lendemain, mais quel bonheur de trouver un bivouac avec eau courante, douche et bain ! Au fond de cette gorge, l’eau de la rivière, très vive, crée de petits bassins et paraît incroyablement pure ; c’est la première fois que nous voyons un coin si préservé. Nous doutions qu’il en existait encore dans l’Empire du milieu!

Allez, c’est l’heure du bain
Et pas de chichis, c’est tout le monde à poil!

Jour 128, lundi 19 novembre, 76km et 719km de dénivelé : Dernière journée en Chine, forêt, serpents et buffles

Ce matin, le bruit pourtant assourdissant de la rivière près de laquelle nous campons ne nous empêche pas d’entendre la pluie tapoter notre tente. Quand nous sortons le nez de notre nid, c’est pour découvrir un paysage tout voilé et une brume descendant bien bas sur les montagnes : ce temps humide et pluvieux n’en finira donc jamais ?

Nous sommes pourtant de bonne humeur, notre petit campement au bord de l’eau, et surtout notre bain de rivière salutaire, nous ont comblés, et c’est confiants que nous regrimpons notre petit chemin de cailloux jusqu’à la route. Celle-ci promettait d’être dure, puisqu’il nous restait hier beaucoup de dénivelé jusqu’au col mais, contre toute attente, elle se révèle une des parties les plus agréables de notre voyage. La route, parfois non goudronnée, monte dans la montagne tout doucement et sans jamais nous obliger à forcer sur les pédales, en suivant la rivière. Du fait de son revêtement inégal peut-être, elle est très peu empruntée, et serpente dans la montagne au milieu d’une forêt de plus en plus exubérante. Nous jubilons : ça y est, nous sommes enfin dans un paysage naturel aux allures de jungle ! Et que c’est beau !

Nous prenons beaucoup de plaisir à cette tranquille ascension, et un fragment de ciel bleu qui perce à travers les nuages vient compléter notre bonheur. Présage-t-il le retour du beau temps ? Nous découvrirons au fil de la journée qu’il n’en est rien, même si nous sommes persuadés que la couverture nuageuse s’amincit, car nous sentons la chaleur du soleil sur notre peau à défaut d’en voir les rayons.

En haut du col, nous découvrons, malgré un horizon bloqué par les nuages, un entrelacs de montagnes recouvert par une épaisse forêt. Un grand panneau (surplombant un tas de déchets) indique un peu plus loin que nous nous trouvons dans un espace naturel protégé : c’est bien vrai que nous n’avions rien vu d’aussi sauvage en Chine.

Le parcours est ponctué de cascades parfois très impressionnantes

Comme pour le prouver, la découverte d’un serpent à moitié écrasé sur la route, nous arrête dans notre descente. Nous nous approchons prudemment de lui, malgré ses reptations un peu hachées qui semblent indiquer qu’il soit sur le point de rendre l’âme. Mieux vaut se méfier : il peut avoir un dernier réflexe agressif, histoire d’entrainer quelqu’un avec lui dans la mort, ou alors, il fait semblant d »être blessé pour gober un touriste imprudent. Sans être ni l’un ni l’autre sujets à la phobie des serpents, nous devons dire que nous sommes assez impressionnés : c’est vraiment un gros serpent, avec une gueule bien large de boa constrictor, loin de l’inoffensive couleuvre de nos contrées. Alors que nous continuons notre descente, je vois un autre serpent sur le bas côté, vivant cette fois-ci, mais Victor jure sur ses grands dieux que c’est une hallucination !

L’affreux et terrifiant serpent en question. Il paraît petit en photo, mais c’est une illusion!

La vallée s’ouvre un peu plus loin sur un des endroits les plus beaux et sauvages que nous ayons vus jusqu’ici, mais pour combien de temps, c’est difficile à dire. En effet, un grand barrage vient d’être construit et commence à faire monter les eaux.

Joli, joli…

…Et paf, un barrage! Tant pis pour vous!

Plus loin encore, nous atteignons une petite ville où nous nous régalons d’un plat de pâtes rissolées très bonnes, arrosé de thé vert, sous l’œil amusé des autres clients. Après un arrêt pour acheter des fruits et faire des selfies enrichis de moustaches et d’oreilles de chats avec quelques charmantes jeunes filles, nous traversons un pont et gagnons l’autre côté de la ville. C’est la plus jolie que nous ayons vu jusqu’ici avec ses petites maisons et ses balcons ; elle n’a plus grand-chose à voir avec les villes « western » et bétonnées des plaines agricoles.

Les gens cultivent des plantes directement dans le lit de la rivière, mais on ne comprend pas trop quoi ni pourquoi

Verticalité oblige, l’agriculture intensive a laissé place à l’élevage et a permis le retour de la polyculture. On cultive le riz et une petite plante non identifiée se paye même le luxe d’avoir une petite ombrelle, tandis que de gros canards et de magnifiques poules et coqs gambadent en liberté un peu partout. Le chou chinois n’est pas en reste, puisqu’il dispose d’une statue à sa gloire.

Les plantes sous leur ombrelle: pour les protéger de la pluie ou du soleil?
Oh grand chou chinois, s’il te plaît, empêche Cécile de péter sous la tente cette nuit

Les buffles ne sont plus les seuls ruminants à squatter les rizières, nous découvrons aussi de belles vaches à la robe auburn et aux grands yeux noirs bordés de longs cils. Elles inspirent à Victor l’étrange remarque suivante : « elles ont de beaux yeux, on dirait ceux de ta frangine ». Devant mon air à la fois surpris et amusé par la comparaison, il s’empresse de préciser que c’est un compliment ; certes, mais pour qui ?

Après une belle journée dans ces parages montagneux, nous descendons encore pour nous rapprocher de la mer et de la frontière vietnamienne. Nous reprenons une route nationale en principe plus empruntée, mais où il n’y a pas grand monde. Nous passons un premier poste de contrôle alors que nous sommes à plus d’une trentaine de kilomètres du Vietnam. On vérifie nos passeports, un chien – dont on ne parvient pas à savoir s’il est policier ou juste errant – vient nous renifler, puis nos très jeunes douaniers, amusés de nous voir, nous offrent des bouteilles d’eau.

A quelques kilomètres de là, Victor a un nez incroyable pour trouver notre spot de bivouac du soir : il propose de s’engager dans un petit chemin trop étroit pour les voitures et à vue de nez abandonné des scooters, qui finit par s’ouvrir sur une petite clairière plate et tranquille.

Il est encore assez tôt pour prendre une petite douche, notamment grâce à la rivière qui coule au fond de la clairière, et de prendre un petit apéro pour célébrer, après un mois et demi, notre dernière soirée en Chine. Nous fêtons aussi un peu en avance nos 4000km (nous en sommes à 3966) en buvant une bière célébrant sans le savoir la victoire de l’équipe de France de football.

Pas la victoire de cette année, non, celle d’il y a 20 ans contre le Brésil

Jour 129, mardi 20 novembre, 57km et 254m de dénivelé : Passage de la frontière et découverte du Vietnam

Aujourd’hui c’est notre dernier jour en Chine, après l’avoir traversée du Nord au Sud, de la Mongolie Intérieure au Guangxi, grâce à beaucoup de train mais aussi environ 1300 kilomètres à vélo.

Pour fêter notre départ, la météo nous offre notre premier réveil sans pluie depuis longtemps. Il n’y a pas à dire, mais c’est sympa, une tente sèche ! Nous sommes tout contents, serait-ce le début du beau temps? Nous avons la réponse une heure plus tard, et c’est non : nous sommes stoppés par une grosse averse. Elle nous cueille heureusement dans un village, et nous nous abritons sous un porche.

Et ça tombe bien dru en mode mousson

Le monsieur d’à côté, qui tient une boutique de chauffe-eaux, nous invite à patienter avec lui. Il nous fait asseoir sur de petits tabourets, et sa fille nous sert un thé, puis nous invite à manger des gâteaux et des petits bonbons à l’emballage rouge qui se révèlent être de délicieux caramels très proches des Werther’s (sans vouloir faire de publicité, on se sentait « quelqu’un d’exceptionnel »). Sa femme arrive ensuite avec la petite-fille, un mignon bébé qui se met à faire d’adorables câlins au grand-père, puis voici venir encore une femme, un jeune garçon et une petite fille avec laquelle nous faisons un peu de « coucou-caché ». Nous essayons de communiquer, mais ça n’est pas facile, il faut dire que nous n’avons pas été capables d’apprendre beaucoup de vocabulaire en un mois et demi. Alors que la pluie cesse, nous prenons congé et partons vers le Vietnam, qui est, à ce que le monsieur disait, à une quinzaine de kilomètres (ça les chiffres, on les a appris). Mais cette gentille famille chinoise ne nous laisse pas partir avant de nous avoir donné des gâteaux et des caramels.

Au bout d’une quinzaine de kilomètres en effet, voici la ville frontière de Dongxing. Et c’est une grande ville toute verticale, même si, comme beaucoup d’agglomérations chinoises, elle est constituée de buildings à moitié vide. Nous faisons quelques courses pour épuiser notre monnaie et profiter de dernières expériences chinoises déroutantes.

Comme cette caissière chinoise, qui me pose douze fois la même question même si je lui réponds en français, en anglais et en chinois, « timbédonne », que je ne comprends pas ce qu’elle dit. Quand son collègue intervient pour lui expliquer que je ne peux pas répondre parce que je ne comprends pas (« timbédonne » encore), elle change d’angle d’attaque et pose une autre question. Mais ma fille, ce n’est pas ta question que je ne comprends pas, c’est ta langue! Ça a l’air bête comme ça mais c’est une scène quotidienne de notre vie en Chine que je vous décris ici, certaines personnes n’arrivant visiblement pas à concevoir qu’on puisse ne pas parler le chinois.

Et comme ce marché aussi, un peu caché, où, en voulant faire les courses, nous tombons sur des victuailles un peu étranges, serpents enroulés séchés, hippocampes déshydratés, et même le rayon chat chien d’une boucherie.

Ou encore comme cette quinzaine de gens, vêtus de gilets jaunes et assis sur un passage piétons qui, armés de petits marteaux, s’acharnent à le débiter en tout petits fragments. Nous nous demandons vraiment les logiques qui président à cet exercice, qui se fait en plus au milieu de la circulation et devant la frontière. Est-ce que ces gens sont en train de faire des travaux d’intérêts généraux un peu fourbes, dans le goût de « briquer un couloir à la brosse à dent » ? Ou font-ils partie de la DDT chinoise qui n’a rien d’autre à faire que de mobiliser 15 personnes pour détruire un passage piéton alors que ce serait fait en un coup de pelleteuse ? Nos opinions varient sur la question, Victor songe à une performance artistique des plus bizarres mais moi je suis persuadée que ce passage piéton a quelque chose de particulier, de symbolique, et qu’il s’agit d’un jeu plus que d’autre chose : les gens ont l’air plutôt contents de mener leur loufoque activité et les petits bouts qu’ils obtiennent sont étrangement brillants. Mais laissons à la Chine quelques mystères!

Dans l’ensemble, tout ce qui se passe au niveau de la frontière, qu’on ne peut passer qu’à pied et sur un pont, est déroutant Elle est très touristique, les magasins qui s’alignent tout autour proposent tous de l’artisanat vietnamien, et nous sommes presque sûrs que des gens se contentent de passer les gardes-frontière chinois, de prendre une photo sur le pont qui relie les deux États, puis de revenir en Chine faute de visa ou d’autorisation de sortie du territoire.

Pour notre part, nous nous fondons dans la foule avec nos vélos surchargés en faisant comme si de rien n’était, et personne ne nous pose de questions. On nous demande simplement de remplir un formulaire classique – nom, prénom, numéro de passeport – mais hilarant du fait d’une erreur de traduction. Le mot « étranger » n’est pas traduit par « foreigners » mais par « alien » et nous apprenons donc que les aliens doivent s’enregistrer à la police quand ils pénètrent sur le territoire chinois ou que les aliens doivent déclarer tous leurs objets de valeurs. Les martiens n’ont qu’à bien se tenir!

Même si à priori nous sommes des aliens, nous ne sommes pas beaucoup contrôlés d’un côté comme de l’autre, en dehors du fait que nous devions décharger deux fois nos vélos pour passer les sacoches dans de gros scanners. C’est sur le pont qui sépare la Chine du Vietnam que nous faisons notre 4000ème kilomètre, puis, côté vietnamien, on regarde nos passeports et on nous rédige à la main une autorisation de séjour de 15 jours. Et c’est parti, nous avons jusqu’au 4 décembre pour traverser le Vietnam jusqu’au Laos !

Le pont entre Vietnam et Chine : « Tous à pieds et on traverse ! »
Quatre millième kilomètre et dixième frontière

Nous découvrons enfin le Vietnam ! Bon, pour l’instant, ça ressemble à la Chine, mais nous remarquons déjà de petites différences. Alors que Victor va échanger de l’argent tandis que je garde les vélos, je suis abordée par le gardien de la banque et un de ses amis (et même un passant je crois) qui étaient assis sur des chaises en plastique un peu plus loin. Ils se livrent à une inspection poussée du vélo, tripotant un peu tout – alors que les chinois gardaient toujours leur distance vis à vis de nos affaires –, activant le klaxon, vérifiant les pneus et les freins. C’est assez rigolo, surtout quand le gardien de la banque appuie sur ma lampe et me dit un truc qui ressemble beaucoup à « ah, il ne marche pas votre phare ma petite dame ». Après l’avoir rassuré en expliquant par geste que c’est une dynamo, je me la pète un peu en leur montrant mon compteur kilométrique qui affiche désormais un peu plus de 4000 kilomètres.

Nous quittons ensuite la ville frontière de Mong Caï pour longer la côte. Nous découvrons avec ravissement un nouveau paysage urbain, et surtout d’autres habitudes de vie : les façades ont repris des couleurs et les bars et les cafés sont légions, alors qu’ils n’existent presque pas en Chine. En effet, en Chine, si tu veux boire une bière, il faut aller au restaurant, alors que là, les petits tripots sympas qui vendent de la bière vietnamienne (la « bia », ça n’a pas pris 5 minutes pour que l’on enrichisse notre vocabulaire) ou du café alignent leurs petits sièges en plastique le long de la route. Nous voyons aussi beaucoup de karaokés : nous l’apprendrons au dépend de nos oreilles, c’est une véritable passion des vietnamiens, qui chantent pourtant souvent très mal.

Et si toutes ces découvertes sont possibles, c’est parce que l’alphabet vietnamien, même s’il compte nombre d’accents étranges à nos yeux, est très proche de l’alphabet latin. Nous pouvons donc à nouveau comprendre pas mal de mots par transparence (comme « meo » le chat, ou « chow » le chien qu’on a lu sur des pancartes… de restaurants) et retenir ceux qu’on ne sait pas.

Au bout d’un moment, alors que nous n’avons toujours pas vu la mer, nous bifurquons sur un petit chemin pour trouver un endroit où camper.

L’opération se révèle assez facile, nous trouvons un emplacement dégagé mais caché du chemin et un peu en hauteur, nous donnant un beau point de vue sur une sorte de mangrove (et au loin: la mer!). Après un premier aperçu très positif du Vietnam, nous avons hâte d’en découvrir plus le lendemain, et nous nous endormons en écoutant le chant des crapauds et, au loin, des gens qui s’égosillent sur un karaoké.

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