Après nos aventures équestres dans le parc de Gorki Terelj, nous revoilà à Oulan Bator, où il fait moche et froid. Il est donc temps de reprendre notre itinérance pour partir à la recherche de la chaleur. Notre prochaine étape, la Chine ! Et plus précisément la Mongolie Intérieure, une province chinoise frontalière à la Mongolie.
Jour 82, jeudi 4 octobre : jour de glande et de blog dans une ville qui nous plaît de moins en moins
Nous retrouvons donc Youbi, et ce n’est pas pour notre plus grand plaisir. Alors que nous ne sommes qu’à une cinquantaine de kilomètres du Parc National de Gorki Terelj, la nuit ne nous offre plus son magnifique spectacle d’étoiles et de voie lactée. Non, la pollution lumineuse et la pollution tout court donnent au ciel nocturne une tête orangeâtre et grise peu avenante. De plus, le froid est revenu, et avec lui la neige et l’odeur lourde du charbon qui brûle : les yeux nous piquent, et l’envie de nous balader nous quitte. A ce qu’il paraît, cette satanée pollution fait perdre 10 ans d’espérance de vie à qui habite Oulan-Bator !
Ceux des voyageurs qui sont restés à Youbi, comme nous, envient ceux qui sont partis vers le Sud et qui nous envoient par Whatsapp ou Facebook des photos d’eux en tee-shirt ou dégustant de bons plats chinois. Nous commençons en effet tous à nous plaindre du régime exclusif mouton gras et du « milk tea » en toutes occasions. Sans exagérer, je crois que j’ai bien bu plus de lait en quelques semaines que depuis mon sevrage !
De plus, tous les jours, nous avons l’impression d’observer des situations de misère : ici un homme titube sous l’effet de l’alcool, à côté un autre dort le nez dans la poussière là où probablement il est tombé, un peu plus loin un troisième frappe sa femme qui porte leur enfant en pleurs pour la forcer à entrer dans une ger… Même le chat de Froit s’y met et torture pendant des heures une pauvre souris, qu’il veut absolument déposer dans la pièce où nous dormons.
Nos discussions avec Froit n’arrangent rien à l’image que nous nous faisons progressivement de la ville. Quand il nous voit partir à vélo pour le Black Market (le grand marché de Youbi, qui, comme son nom ne l’indique pas, n’est pas un marché noir), il nous fâche presque d’avoir gardé nos gourdes dans nos portes-gourdes et une sangle qui me sert à attacher un sac sur mon porte bagage arrière. Il nous l’a pourtant bien dit : il ne faut rien avoir sur soi qui ne soit pas absolument nécessaire, car sinon, tout sera volé ! Il encourage même Victor à démonter son chargeur de piles, qui fonctionne en dynamo. D’habiles pickpockets font des ravages dans les bus et les lieux publics, il faut savoir s’en prémunir. Notre copine Sonia en a fait les frais et pourtant, quand on la connait, c’est bien la dernière personne à qui on voudrait chercher des noises !
Froit nous parle aussi d’une nouvelle ger qui a poussé dans le coin, tel un triste champignon, qui bientôt de blanc deviendra gris. Selon lui, c’est encore quelqu’un de la campagne qui fuit l’hiver et vient à la ville chercher du travail, travail qu’à priori il ne trouvera pas. Mais, comme l’explique notre hôte hollandais, les gens continuent à affluer, et à venir ajouter leurs yourtes aux centaines d’autres qui forment des ghettos à Youbi, car ils n’ont plus le choix. Ils cherchent un peu de confort et de modernité, et ils ont entendu dire qu’un cousin, lui, a réussi à s’en sortir en devenant chauffeur de taxi.
Tout ceci fait dire à Victor que la Mongolie est un peu « la nouvelle Ardèche », quand il entend Sonia chantonner La Montagne de Jean Ferrat lors de notre tour. Il n’a pas tort, les paroles du chanteur pourrait bien décrire ce qui se passe aujourd’hui, et la tristesse qui en découle : « ils quittent un à un le pays, pour s’en aller gagner leur vie, loin de l’endroit où ils sont nés, depuis le temps qu’ils en rêvaient, de la ville et de ses secrets, du formica et du ciné (…) pourtant, que la montagne est belle… »
Bref, nous, Youbi, on en a un peu marre, alors nous partons pour la Chine. Avec la fin de validité proche de notre visa chinois, il n’est plus temps de faire la route en vélo, nous allons donc à la gare et c’est en train que nous traverserons le désert de Gobi jusqu’à la frontière. Nous avons le choix entre deux options pour voyager, puisque la frontière ne se traverse pas à vélo. Première option, prendre un train et s’arrêter à Zamynd Oud, ville frontière côté mongol, puis trouver une jeep ou un taxi pour traverser la frontière et atteindre la ville d’Erlian, en Chine. Ou, seconde option pour laquelle nous optons, prendre un train de nuit qui nous emmène directement à Erlian (pour le double du prix, soit 35 euros) et qui nous évite de charger/décharger nos vélos, de les démonter/remonter, de négocier une jeep, etc.
Nous nous rendons donc à la gare, et, quand tout est écris en mongol, ce n’est pas toujours facile de se repérer. Nous trouvons quand même le bon étage, puis le bon guichet, le 3, mais on nous dit d’aller au 1, et puis au 2 et puis finalement on nous renvoie au 3… Pas grave, nous avons nos billets. La guichetière, qui connait trois mots d’anglais, nous les donne puis nous explique que les bagages encombrants, comme les vélos, sont dans un compartiment particulier et le prix du transport est facturé au poids. Pas de problèmes, nous descendons au rez-de-chaussée où il y a la balance cargo. Comme notre train n’est que le lendemain, on nous donne rendez-vous à neuf heures le jour suivant pour faire peser nos vélos.
Alors que tout semble parfait, nous décidons d’aller passer l’après-midi à notre bar préféré, le Green Zone, pour y faire du blog. C’est un bar sympa créé par un montpelliérain, où s’y retrouvent tous les expats français qui animent des clubs de lecture et y laissent de bons bouquins. Nous y retrouvons notre ami américain Nick, puis c’est Froit qui nous y rejoint pour travailler.
Jour 83, vendredi 5 octobre : « les aventures de Victor et Cécile chez les mongols, épisode 4 : la maison qui rend fou »
Le lendemain matin, nous sommes prêts pour aller à la gare à neuf heures comme convenu la veille. Mais, au petit déjeuner, Froit nous enseigne une coutume locale : il faut rajouter une heure de délai à tous les rendez-vous qu’un mongol vous donne. Il nous conseille donc d’attendre dix heures pour aller à la gare, et nous obéissons.
Au début, tout est simple : nos vélos, chargés seulement des sacoches arrières (et de la tente pour celui de Victor) montent sur la balance, sans rougir de leur poids. Pour les curieux : 29,5kg pour le mien, et 37,5 pour celui de Victor. Oui, celui de Victor est plus lourd, mais il a une ossature épaisse et aussi une tente de quatre kilos, un cadenas qui pèse un âne mort, des sièges pliables etc. Ce n’est pas que je veuille me justifier, mais s’il y avait aussi les sacoches avant, il n’y aurait pas un tel différentiel de poids, d’abord !
Bref, le gentil monsieur nous donne le poids des vélos, sur une petite feuille à remplir avec plein d’autres informations. Problème : c’est en mongol, et le mongol, même s’il partage le même alphabet que le russe, n’est pas du tout aussi transparent. Nous sommes donc incapables de remplir ne serait-ce qu’une case du document, et nous voilà tous bien embêtés. Une femme en manteau rose, une patronne qui parle plus ou moins bien anglais, vient à notre secours. Elle nous explique que nos vélos sont considérés comme des marchandises, et que donc ils doivent passer l’épreuve de la douane – et quelle épreuve ! – et nous entraine vers un nouveau bâtiment et de nouveau guichets.
Et ici commence ce qu’on se propose d’appeler « les aventures de Victor et Cécile au pays des Mongols, épisode 4 : la maison qui rend fou ». En effet, il nous faudra plus de quatre heures qui rendent dingue pour aller au bout de toutes les exigences des administrations mongole et chinoise, au cours d’épreuves qui nous évoquent la maison qui rend fou du dessin animé des 12 travaux d’Astérix. Oui, nous aimerions une référence plus classe, comme le Château de Kafka, mais clairement, c’était la maison qui rend fou !
Nous entrons tout d’abord dans une grande pièce avec plein de femmes derrière des ordinateurs, et notre bienfaitrice anglophone en manteau rose nous dirige vers un guichet, le 6, mais on la renvoie ailleurs. Alors que nous sommes accrochés à ses basques, elle questionne, galère, avance, recule, bifurque. On lui conseille d’aller dans un bureau où se trouvent les guichets 20 à 24, mais ils la renvoient finalement au guichet 7, juste à côté du guichet 6, pour ceux qui ont suivi. La guichetière du guichet 7 accepte de traiter notre demande, et veut savoir PRÉCISÉMENT ce qu’il y a dans les sacoches accrochées au vélo, et la valeur EXACTE des vélos. Elle ne parle pas anglais, alors on appelle une traductrice au téléphone qui parle à peine la langue de Shakespeare, vu que la dame en rose est partie. Puis, une fois approximativement établi ce qu’on a, la dame du guichet 7 passe un temps interminable avec un gros bouquin rempli de lignes et de codes. Elle cherche dedans les codes correspondant à toutes les marchandises contenues dans nos sacoches : vêtements portés, tente, accessoires de camping…
C’est interminable, mais c’est obligatoire, puisque nos vélos, considérés comme marchandises et non comme simples bagages, doivent passer la douane. Si seulement nous avions su tout cela avant, jamais, JAMAIS, nous n’aurions pris le train jusqu’à Erlian. Nous nous serions arrêtés à Zamynd Oud en Mongolie, quitte à désosser les vélos pour les renter dans un taxi et traverser la frontière avec eux !
Voilà enfin la valeur des vélos estimée, mais dans cette maison qui rend fou, les épreuves ne sont pas terminées. Il faut imprimer notre dossier en 7 exemplaires, mais même trouver une feuille de papier relève de la gageure. En effet, les employées de bureau doivent avoir un quota de feuilles à ne pas dépasser, et quand on veut faire imprimer quelque chose à quelqu’un, il faut venir avec ses feuilles. Chargés de nos exemplaires, nous devons aller voir un nouveau bureau pour obtenir un tampon – pour quoi, pour qui ? Allez savoir – puis au service des douanes, puis à la banque pour payer une somme puis revenir enfin au premier service qui s’occupe d’affréter le train avec les vélos. Mais, oh, c’est l’heure de la pause du midi, tous les employés quittent les lieux et on nous enjoint de revenir à 13h30.
Déjà au bord de la folie rageuse, nous nous exécutons : nous allons manger et revenons à 13h30. Mais nous avons oublié la coutume mongole enseignée par Froit le matin même : toujours ajouter une heure de battement à l’horaire de rendez-vous qu’on nous donne !
Nous rongeons donc notre frein et hantons, comme d’autres fous embarqués dans les mêmes démarches, les couloirs de l’administration. Puis notre bienfaitrice en manteau rose revient, nous obtient un, puis deux tampons, et nous entraine vers les douanes.
C’est bon, il ne nous reste plus qu’à payer le prix du transport des vélos ! Seul problème : avec tous les petits bakchichs qu’il a fallu verser, nous n’avons plus assez de monnaie. Tout proches de l’explosion de démence, nous faisons la queue à trois différents ATM (DAB en français) pour enfin obtenir la somme requise, la donner, faire nos « au revoir » aux vélos, et nous sentir enfin libérés.
Bilan, charger des vélos dans un train Oulan-Bator-Frontière Chinoise : coût, 14 euros, temps, CINQ HEURES ! Alors que nous pensions effectuer une petite formalité de rien du tout, l’opération nous aura pris une bonne partie de la journée, pas mal d’énergie et énormément de patience.
Nous passons le reste de notre journée à faire du blog, puis nous retournons à la gare vers 20h pour prendre notre train de nuit. Chose étrange, la responsable du wagon, équivalent en moins souriant – si cela est possible —de la prodvonista russe, garde nos tickets avec elle pour le voyage et nous fait signe de monter dans le train. C’est donc sans billets que nous remontons le couloir du wagon jusqu’à notre cabine, un carré de quatre couchages, mais il est déjà occupé par toute une famille mongole…
Combien sont-ils dans le compartiment ? Une dizaine peut être, enfants, parents, grands-parents, qui nous sourient en nous voyant approcher pendant que nous nous interrogeons : il n’y a que 4 lits, comment allons-nous tous dormir ? Alors qu’un type tente de nous faire croire qu’il n’y a qu’à se serrer, les autres quittent un à un le compartiment. En fait, il s’agissait juste d’une famille au grand complet venue dire au revoir à un jeune étudiant mongol, parti pour une ou plusieurs années d’études en Chine. Il voyage avec son père, Paterton (ou Bat Erdene, mais ça se prononce à peu près Paterton) : ils vont prendre un avion à Erlian pour se rendre dans un coin de la Chine du Sud où l’étudiant a son université. Alors que son fils, en pleine crise d’adolescence, met ses écouteurs et fait semblant de dormir sur la couchette supérieure, nous prenons le thé et discutons avec Paterton. Il est gentil Paterton, mais un peu lourd. Personnellement, à la troisième fois qu’il m’appelle « Cécile angel » j’imite son fiston et je vais m’étendre sur la couchette supérieure. Je laisse Victor continuer la discussion (qui tourne en tout et pour tout autour de 4 mots d’anglais) avec notre voisin de lit, et puis, plus tard, avec un chinois tout bizarre et dont on ne comprend pas bien pourquoi il squatte notre compartiment.
Nous nous endormons ensuite, bercés par le train et par le son des rots sonores que fait Paterton dans son sommeil : demain, c’est la Chine !
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