Jours 84 à 91 : Retour en selle pour traverser un petit bout de Chine, de la frontière mongole à Pékin

Après la Russie et la Mongolie, nous voilà parvenus dans un autre immense pays, la Chine. Impossible de la traverser à vélo vu sa taille et la durée de notre visa, mais nous allons raconter ici dans ce long article, un petit périple de la frontière chinoise à sa capitale.

Jour 84, samedi 6  octobre: Arrivée à Erlian, ou la renaissance du plaisir gustatif en Chine

Nous dormons plutôt bien dans notre petit train de nuit mongol, et nous connaissons même un petit moment de grâce quand nous nous réveillons avec la vue sur le désert de Gobi, au son d’une agréable musique chinoise. Cet instant malheureusement, n’est qu’un instant. Voilà déjà les prodvonistas mongoles qui viennent réclamer, visage sévère et geste brusque du bras, nos draps et nos couvertures. Puis tout le monde dans le train s’agite, et il se passe des choses bizarres. Deux femmes par exemple parviennent à totalement inonder les toilettes féminines en passant un temps interminable à laver des fruits… Alors que, pataugeant dans les toilettes, je m’interroge sur leurs motivations profondes, nous voilà à la frontière.

Les mongols contrôlent nos passeports dans le train, puis nous descendons côté chinois pour les formalités. Et ça passe crème ! Alors que la procédure d’obtention du visa est exécrable et laisse à craindre un passage de frontière difficile, il n’en est rien ! On reprend nos empreintes, on regarde nos têtes sur les passeports, on scanne nos bagages et hop, voilà, nous sommes en Chine !

Il nous reste encore à retrouver nos vélos, et là c’est moins simple, puisque nous ne savons pas où aller et que dès que nous faisons mine d’entrer quelque part, un agent de sécurité chinois se met à crier et nous fait signe de déguerpir. Nous trouvons enfin le bon endroit et nos petits cœurs se mettent à palpiter quand, à travers une grille, nous apercevons nos vélos. C’est bon, ils ne sont pas restés tout seuls en Mongolie ! Pour les récupérer par contre, c’est une autre histoire. Nous sortons notre reçu, un papier rose, mais ça ne va pas. Une chinoise avec un masque – sans doute une employée de la gare – se met à nous hurler dessus d’une voix aigüe particulièrement désagréable, surtout quand on vient de se réveiller. En fait, comme nous l’apprenons quand une employée de la gare en uniforme plus intelligente dégaine son portable et son meilleur anglais pour traduire, elle veut simplement nous aider. Elle nous dit de revenir à 15h, pour on ne sait quelle raison, et que nous réglerons ce qu’il y a à régler. Nous frémissons un peu… Est-ce que la mascarade administrative de la veille va recommencer ? Aurons-nous assez de force mentale pour y résister ?

Victor est confiant, après tout, nous savons que les vélos sont là, presque à portée de main, et nous sommes en Chine, donc tout va bien ! Nous en profitons donc pour nous promener un peu, manger et trouver un hôtel.

Nous découvrons Erlian, et nous apprécions beaucoup. Alors qu’elle n’est qu’à un jet de crotte de mouton de la Mongolie, la ville ne ressemble absolument en rien aux villes mongoles ou à Oulan Bator. Non, elle est bien plus belle et agréable, avec ses grandes allées toutes propres, ses enseignes colorées et ses gens souriants ! C’est une ville dans le désert et pourtant elle est très animée, l’essentiel de sa richesse reposant sur le commerce avec la Mongolie. La circulation est la première chose qui nous éblouit : les gens ne conduisent pas à tombeau ouvert comme ce à quoi nous nous sommes habitués depuis les pays baltes, mais ils prennent leur temps, respectent les deux roues – qui sont très nombreux et ont un couloir dédié –, et s’arrêtent même aux feux rouges.

Dans cette sympathique ville, nous nous sentons bien, même si nous rencontrons nos premières difficultés d’orientation pour trouver une banque, un hôtel, un restaurant… En effet, comment lire les caractères chinois ? Au départ, toutes les enseignes en chinois nous évoquent des restaurants, puisque c’est ce à quoi nous sommes habitués en France. Heureusement, les banques internationales ont la délicatesse de proposer une traduction en alphabet latin, et nous trouvons un restaurant grâce aux photographies de mets qu’il arbore sur sa façade.

Et là, c’est l’extase ! Il y a autre chose que du mouton au menu ! Mieux encore, les serveuses (qui doivent être au moins quatre à nous servir avec de grands sourires) ont des tablettes sur lesquelles on peut voir des photos de plats et les prix, et même cliquer pour un agrandissement ! Nous prenons deux plats aux légumes et viandes, honnêtement pimentés, du riz… Et on n’échappe pas au thé au lait, mais il passe bien !

A la fin du repas, une des serveuses me fait signe de la suivre, morte de rire. Je ne comprends pas, mais je sors avec elle, suivi de Victor. Elle nous entraine en fait vers un collègue qui fume dehors, car elle veut une photo avec nous. C’est notre premier moment de célébrité en tant qu’étranger, qui sera suivi de bien d’autres car les gens du coin, qui voient peu d’étrangers, dégainent vite leur portable pour immortaliser le moment. Dès que nous rentrons à nouveau dans le restaurant, nous nous en rendons compte : les gens nous regardent un peu étonnés, et certaines tentent plus ou moins discrètement de nous photographier.

Nous quittons le restaurant et trouvons un hôtel où la réceptionniste, sans parler anglais, se fait très bien comprendre grâce à des dessins. Pour une chambre avec lit double, c’est 80 yuans, soit 10 euros ! Compétitif, comme tarif. Elle procède à notre enregistrement (tous les étrangers doivent passer par là : les hôtels font leur signalement à la police), prend des photos de nous, scanne les passeports. Puis nous découvrons notre chambre, plutôt confortable, même si elle pue la clope froide. Ici en Chine, les gens fument beaucoup, et il n’y a pas d’interdiction concernant les lieux publics, restaurants ou hôtels. Enfin si, il y a un petit panneau sur la table de chevet qui demande : « ne fumez pas au lit s’il vous plait » mais il est posé à côté d’un cendrier… C’est vrai que c’est dangereux de fumer au lit, en témoigne les trous de cigarettes dans les draps !

Nous nous accordons une petite sieste, puis, à 15h15, nous revoilà à la gare pour récupérer les vélos. Mais voilà, la dame à la voix aigüe n’est pas là… Est-ce que l’heure mongole fonctionne ici aussi et faut-il l’attendre, ou nous a-t-elle attendue un quart d’heure puis s’est lassée ? De toutes façons, avons-nous vraiment besoin d’elle ? Nous voulons juste récupérer nos vélos. Seulement, pour ce faire, il faut présenter notre reçu rose, et Victor croit alors se souvenir qu’il l’a donné à la dame hurlante. Quand nous expliquons ceci aux douanières, elles s’étonnent : mais qui était donc cette dame ? Comme personne ne parle anglais, c’est compliqué, nous allons donc à un autre service pour obtenir le tampon qu’il nous faut, mais, pareil, on veut le papier, et ce papier, nous ne l’avons pas puisque nous l’avons donné. On photocopie quand même nos passeports (qui doivent donc maintenant avoir été photocopiés au moins 10 fois entre la Mongolie et la Chine) et on nous interroge à nouveau sur cette mystérieuse dame. Grâce à une application de traduction, on nous demande de la décrire et on cherche à comprendre pourquoi nous lui aurions donné notre reçu.

Avec Victor, nous commençons à nous inquiéter, c’est vrai après tout, elle nous voulait quoi cette fille ? Et pourquoi donner une heure de rendez-vous et ne pas se présenter ? Heureusement, nous voyons à travers les grilles que nos vélos sont toujours là, mais il est impossible de les récupérer sans le malheureux papier qu’on nous demande.

Sur ce, arrive la fille du début, celle au masque, nous la reconnaissons car elle se met direct à nous hurler dessus de son horrible voix. Entre les exclamations en chinois, elle lâche quelques mots d’anglais, pour nous dire d’arrêter de délirer, et qu’elle ne l’a certainement pas notre papier ! Nous insistons un peu, Victor est sûr de l’avoir vu dans ses mains. Bien sûr, réplique-t-elle, mais c’est le sien, un exemplaire photocopié. Elle et ses collègues insistent pour que nous fouillions dans nos poches, car c’est nous qui avons le papier. Nous nous exécutons, mais il n’y a rien et moi aussi je commence à m’énerver. En substance, je leur dis « mais je m’en fous moi de votre papier, ils sont là nos vélos, donnez-les-nous ! ». Une des douanières calme le jeu, et, pour prouver la bonne foi de toutes les parties (et surtout des parties chinoises) me montre les vidéos de surveillance du matin, où l’on nous voit le papier à la main, puis rangé, puis en discussion avec la dame à la voix aigüe.

Ah oui, tiens, c’est peut-être bien nous finalement, qui l’avons, ce papier… Oups ! Un peu honteux, nous nous calmons et Victor va inspecter notre hôtel. Il revient en brandissant le fameux papier… Nous le donnons, on y appose le fameux tampon, on fait de plates excuses, on paie un peu d’argent et, enfin, les vélos sont à nouveau dans nos mains. Les douanières chinoises rigolent de notre étourderie et acceptent nos excuses, sauf la voix aigüe, qui fait carrément la gueule !

Nous, on se sent un peu bête d’avoir mobilisé la moitié de la douane d’Erlian pour un papier qu’à PRIORI (la vidéo est un peu trouble) j’aurais tout simplement rangé dans le sac en y saisissant autre chose. Reste à savoir pourquoi Victor a pensé avoir donné le papier à une dame… Nous devons être tous les deux un peu fatigués.

Pour se changer les idées, nous allons nous balader dans la ville d’Erlian, cette ville qui paraît toute neuve et toute géométrique. Les yeux grands ouverts, nous observons tout ce qui nous semble nouveau et étrange, de l’organisation des rues aux bizarres petits scooters que les gens utilisent pour se balader.

Quelques véhicules chinois un peu étranges, entre la trottinette électrique et le scooter

Comme il fait froid, ces scooters et mobylettes, qui tractent parfois des chariots, sont dotés de petits manteaux, qui protègent les jambes et le torse du conducteur.

Nous trouvons la « vieille ville », qui ne doit pas être âgée de plus de quelques décennies, ainsi que deux marchés couverts, textile et alimentaire. Nous en profitons pour nous offrir une couverture, qui nous servira lors des bivouacs dans ces contrées froides, et pour trouver de quoi pique-niquer.

Le soir, après être retournés dans un restaurant et s’être encore régalés de plats non moutonneux et bien légumineux, nous nous couchons tout emballés par la Chine, malgré une matinée un peu rocambolesque. Ah, on sent qu’on va bien s’amuser ici !

Jour 85, dimanche 7 octobre : 125km, 369m de dénivelé, « Reprise du vélo dans le désert de Gobi chinois »

Dimanche matin, nous faisons nos préparatifs pour notre reprise vélo. Et curieusement, une sacoche avant noire manque à l’appel : l’aurions-nous oubliée quelque part ? Et où donc ? Il faudrait en appeler à nouveau à la vidéo-surveillance, mais je suis à peu près sûre que c’est Victor cette fois-ci qui a fait l’étourdi… Pendant que je range notre chambre, il retourne à notre premier restaurant, où il est probable que nous l’ayons laissée. Entre ça et le scandale de la douane hier, il faudrait vraiment qu’on arrête de faire les boulets !

Victor revient avec la fameuse sacoche, à notre grand soulagement, mais aussi avec un copain. En effet, il a croisé Paterton, le mongol qui partageait notre cabine de train la veille, et qui loge au même hôtel. Paterton a insisté pour accompagner Victor jusque dans la chambre puis il tient à immortaliser notre rencontre par quelques photographies et selfies, et aussi à nous remercier car nous lui donnons nos derniers tugriks. Encore une fois, Paterton est bien gentil mais il nous court un peu sur le haricot : nous aimerions bien qu’il se rende compte qu’on n’a pas que ça à faire nous, de prendre 36 photos !

Et c’est enfin le départ, on enfourche les vélos dans le froid mais sous le soleil, et on prend la direction du Sud. Et c’est parti pour 600 kilomètres en direction de Pékin !

Après Erlian, la prochaine ville, Sonnid Bannière Droite en français, est à 120 kilomètres. Entre les deux, un grand rien, les plaines herbeuses, plates et sèches du Gobi, quelques éoliennes, et pas âme qui vive.

Nous quittons très rapidement la ville, qui, comme toutes celles du coin, est un gros bloc d’immeubles sans banlieue ni périphérie, récemment tout entier sorti de terre.  Nous rejoignons la « highway » seule route qui mène vers le Sud, grosse deux fois deux voies goudronnée avec un immense bas-côté consacré aux véhicules à deux roues. C’est royal, nous avons toute la place qu’il nous faut, sans compter que la route est quasiment déserte passé les portes de la ville. Les seuls véhicules qui nous doublent, le plus souvent de gros camions chargés de charbon, de bois ou de poireaux, se décalent en plus de plusieurs mètres sur la gauche.

Vent dans le dos, nous filons à toute allure sous le regard de gros dinosaures brillants, qui encadrent et égaillent la sortie de la ville.

Le coin joue à fond sur son identité de « pays des dinosaures » après tous les fossiles que l’on y a trouvé
« Sa vue est basée sur le mouvement, ne faîtes plus aucun geste »
C’est quand même sympathique comme décor d’autoroute

Le paysage est très uniforme : c’est une longue plaine balayée par un fort vent que rien n’arrête, ni arbres, ni maisons, ni collines. Il couche sur le côté toutes les herbes sèches et jaunes qui parsèment la plaine et les seuls arbustes capables de lui résister abandonnent parfois le combat pour devenir de petites boules de branchages qui roulent sur la route.

Ce vent du nord nous pousse dans le dos avec une force phénoménale, ce qui nous fait une reprise vélo avec une superbe moyenne (18km/h) et des pointes à 50km lors de descentes ridiculement peu pentues. Par contre, dès que nous nous arrêtons, le vent redevient un ennemi, et nous gelons sur place. Nous faisons donc seulement quelques poses goûter et repas rapides, protégés du vent par le peu d’abris que nous parvenons à trouver.

Quand nous constatons que nous avons parcouru 60 kilomètres en moins de trois heures, nous songeons à abandonner l’idée de bivouaquer, pour rallier la ville de Sonnid, qui n’est plus qu’à 60km. Le bivouac nous paraît compliqué : en effet, la route est constamment encadrée par des barrières (qui n’enferment que de l’herbe, mais bon, elles doivent sans doutes protéger la route) et le vent violent risque de transformer notre tente en cerf-volant. Avec le froid et le vent, il faut bien reconnaître que la perspective d’un abri en dur et d’un repas chaud est attrayante, même si cela nous fait une reprise costaude avec 120km, alors que mes genoux sont à peine remis.

Parvenus à une dizaine de kilomètres de Sonnid Bannière Droite, un 4X4 blanc s’arrête sur le bas-côté, et deux chinois en sortent pour nous saluer. Le premier nous congratule d’un « fuck to meet you », auquel nous répondons par un regard perplexe : plaît-il ? Son compagnon s’aperçoit de la bourde et corrige : « Nice to meet you ». Comme quoi, même quand on ne connait que cinq mots d’anglais, on peut faire des erreurs. Les occupants du 4X4 nous félicitent de notre courage (« you so hard! ») puis reprennent leur route. Cependant, quelques kilomètres plus loin, les voilà à nouveau nous barrant la route sur le bas-côté. Les mêmes deux gars ressortent, et l’un d’entre eux nous explique que nous allons vers sa ville natale, et qu’il serait ravi de nous inviter à dîner : hospitalité chinoise. A ce moment précis, un troisième larron sort de la voiture, ou plutôt chute de la voiture et s’étale, complètement saoul, dans les buissons du bas-côté. Cela explique donc le « fuck to meet you » : ces gars-là sont bourrés comme des coins !

Sans trop attendre notre réponse, les ivrognes remontent dans leur jeep et font la voiture balais, quelques dizaines de mètres devant nous. Victor se sent alors un peu comme Antoine de Maximy dans l’émission J’irai dormir chez vous, se demandant s’il va accepter l’invitation « j’hésite, ils ont l’air sympa, mais en même temps, ils sont bourrés ». Pour moi, c’est tout vu : il est tard, on a 120km dans les pattes, il commence à faire très froid, j’ai juste envie de manger, me doucher et dormir. Et de toutes façons prudence minimum oblige, je ne suivrai pas un troupeau de poilus ivres chez eux.

Arrivés à Sonnid, je leur explique fermement la situation. Ils insistent un peu, mais comprennent que l’on doit se reposer, et nous indiquent même un hôtel. Bon, ça n’a pas l’air d’être de mauvais bougres. L’hôtel indiqué cependant, refuse de nous donner une chambre : il ne peut pas accueillir d’étrangers. Nous repartons donc alors qu’il fait désormais nuit noire, mais nous sommes éclairés par toutes les jolies enseignes lumineuses de la ville. Nous tentons de repérer les hôtels sur la base de ce à quoi ils ressemblent de l’intérieur, mais faisons deux nouvelles tentatives qui échouent. La communication est très compliquée : les gens ne parlent pas anglais, et le traducteur Google que nous avons donne des traductions très fantasques. Les hôteliers ont un réflexe un peu étrange, que nous retrouverons plus tard avec à chaque fois un peu plus d’agacement : quand on ne comprend pas ce qu’ils disent, ils prennent une feuille de papier et écrivent… En chinois ! Comme si on pouvait mieux comprendre la calligraphie chinoise que la langue. Mais faîtes un dessin, nom de Dieu !

Frigorifiés et au bord du désespoir, nous tentons un dernier hôtel dans le coin de la gare. Je dégaine mon « G Palémo », un petit calepin de dessins qui doit permettre de communiquer. Je montre des lits, je fais le signe de dormir et ouf, nous sommes tombés sur un type conciliant. Pas sûr qu’il nous enregistre, mais au moins, il nous donne une chambre (aveugle et qui pue la clope mais bon, une chambre !) pour 100 yuans et accepte même que nous rentrions les vélos dans son tout petit lobby.

Nous ressortons presque illico manger juste à côté dans un petit boui-boui, car nous avons grand faim. Les serveurs et cuisiniers, que l’on voit depuis la salle, semblent aussi étonnés que ravis de nous voir, et sortent les portables pour quelques petites photos. Nous commandons une bonne soupe épicée et des sortes de petits pains farcis, ainsi qu’une bonne bière. Un client du restaurant, qui est là avec des amis, vient trinquer avec nous, tout souriant. C’est gentil, mais la tradition chinoise veut que quand tu trinques tu boives ton verre cul sec, ce qui est un peu dur quand le verre de bière est plein.

 Le monsieur nous offre une nouvelle bière, puis la serveuse nous apporte des brochettes qu’il a commandées pour nous en cadeau. Ce sont des tripes marinées et pimentées : Victor fait l’impasse, mais moi j’apprécie, même si j’ai la bouche en feu. La petite serveuse vient aussi à un moment avec un nouveau plat, et utilise son application de traduction pour nous dire « we can give », nous supposons que cela signifie : « offert par la maison ». Nous remercions et nous régalons de ce qui ressemble à une grosse éponge coupée en dés et imbibée d’une sauce dont une des composantes est du soja. Armée moi-même de mon portable, je l’interroge : serait-ce du champignon, une sorte de morille ? Non, du pain alors ? Elle rigole, et son portable indique « gluten ». En tout cas, tout est délicieux, les gens adorables, et nous nous en tirons avec une note d’une trentaine de yuans (environ 4,50 euros). Comme quoi, tout finit par s’arranger.

Jour 86, lundi 8 octobre: 89,2km, 471m de dénivelé  « Voyage en vélo dans une Chine toute vide »

Nous passons une nuit pas très agréable dans notre chambre sans fenêtre, qui empeste la cendre froide, inspirant à Victor des cauchemars dans lesquels il est coincé dans un cendrier géant. Une fois sortis de ce merveilleux hôtel, nous nous rendons, sous un sympathique soleil matinal, au supermarché. Une fois n’est pas coutume, nous repérons le magasin aisément : il y a plein de petits scooters/trottinettes électriques garés devant, et de la musique techno à fond ! C’est grosse ambiance devant le supermarché !

Je me dévoue pour aller faire les courses tandis que Victor se trémousse au soleil sur des rythmes endiablés. A l’intérieur, il y a une petite musique chinoise pas déplaisante, mais ce n’est pas pour autant facile de faire les courses quand on est incapable de lire les étiquettes. J’erre deci-dela, observant ce qui pour nous relève de bizarreries, comme les œufs durs noirs ou les pattes de poulet sous vide, et j’essaye de rassembler deux-trois choses pour nos pique-niques et petits déjeuners. Les autres clients semblent étonnés de ma présence, me fixent et me prennent en photo, ce qui est un brin « malaisant », mais la patronne vient me donner un coup de main salvateur pour peser mes fruits et légumes.

C’est une étrange sensation que de traverser Sonnid, et d’avoir l’impression de se balader dans une ville plus jeune que soi. Passé quelques immeubles, cette jeune ville se termine abruptement, et nous revoilà dans le désert.

Le froid est toujours là, le vent un peu moins, et notre belle moyenne baisse, tout en restant très honorable. Le désert est moins vide que la veille, nous voyons quelques troupeaux de chameaux et de chevaux, des yourtes nomades (mais souvent elles sont ici pour compléter un ensemble d’habitations en dur) et des forêts d’éoliennes. Nous prenons une petite route tranquille qui les traverse et nous les écoutons fouetter le vent.

Lorsque nous faisons une rapide pause pique-nique, nous découvrons que j’ai fait quelques erreurs dans l’achat des victuailles : le pain de mie est en fait aux raisins, les petites boules de pain que je pensais fourrées sont en fait crues et le saucisson est au pigeon. Je vous laisse imaginer quel bon repas nous faisons. Il se prend en quelques minutes, à cause du froid et du vent qui s’attaquent à nos doigts et nos orteils, et il est interrompu par un couple de nomades à moto, qui vient voir ce qui se passe. Et c’est exactement ce qu’il fait : il vient, il s’arrête à côté de nous et nous regarde, intrigué. On les entends émettre quelques commentaires, puis faire mine de repartir. On leur fait alors un petit signe de la main, auquel ils répondent en souriant. C’est un petit moment bizarre comme on peut en avoir dans le coin.

Même si nous ne sommes plus sur l’autoroute avec sa voie vélo, la circulation routière est toujours aussi rassurante : les voitures et camions nous dépassent toujours en prenant très large, quitte à empiéter sur la voie qui vient en sens inverse et effrayer les autres conducteurs. La seule chose que l’on pourrait leur reprocher, ce sont les coups de klaxons incessants : on vous entend les gros, c’est pas la peine de nous casser les oreilles. On dirait que les conducteurs ont la main collée au klaxon, qu’ils utilisent à de multiples occasions : prévenir quand on double, faire coucou, râler… La plupart du temps, l’intention est bonne, mais ils ne réalisent pas que le volume sonore est bien plus important pour nous que pour eux.

          Oui, en effet, le paysage est un peu répétitif depuis la veille

Comme nous devons bivouaquer, l’après-midi est un peu courte. Il fait si froid que nous ne pouvons pas attendre qu’il fasse nuit pour nous mettre à camper. Nous préparons notre plan d’attaque et nous répartissons les rôles tout en pédalant : dès que nous trouvons un « bon spot » de bivouac, nous sautons des vélos, plantons la tente et nous réfugions à l’intérieur.

Ah, ça commence un peu à se vallonner

Mais le bon spot de bivouac ne se trouve pas aisément, dans ces plaines légèrement vallonnées qui ne nous cachent pas beaucoup, et qui sont la plupart du temps fermées par des clôtures. Après quelques recherches infructueuses et alors que nous commençons déjà à nous refroidir, nous nous arrêtons un peu à l’écart de la route. Elle n’est pas très passante, mais il y a quand même des camions qui circulent, et vont travailler un peu plus loin, où l’on semble construire une nouvelle route. Nous hésitons à camper sous un pont, mais il ne protège pas du vent, puis optons pour un carré d’herbes un peu plat.

Le vent terrible qui souffle sans s’arrêter rend bien difficile le montage de la tente ; il faut s’y accrocher de toutes ses forces pour ne pas la laisser s’envoler. Nous finissons par arriver à nos fins, et jamais on n’a planté sardines avec autant d’attention ! Tandis que Victor ajoute des cordes à notre tente pour bien la tendre, j’installe notre chambre, en doublant le sol avec une couverture de survie pliable. Heureusement, notre brave petit réchaud, protégé du vent par la tente, s’allume facilement, et nous fait bouillir de l’eau. Ce soir, nous mangeons des pâtes chinoises, dans nos duvets et sous notre couette, la casserole sur les genoux pour nous réchauffer. Nous craignions un peu le froid pour la nuit, et il est vrai que nos pieds mettent un temps qui paraît infini à se réchauffer. Au lit dès 18h30, nous suivons leur progressive évolution : orteils en bloc de glace indissociable, glaçons indépendants, orteils glacés, orteils froids, et enfin, température ambiante !

Sous toutes nos couvertures, une seule main sortie et gantée pour tenir nos livres, nous nous en sortons finalement bien et n’avons pas froid. Et aucun curieux ne vient nous déranger !

Jour 87, mardi 9 octobre : 87km et 643m de dénivelé « A vélo sous la neige »

Au petit matin, après une des nuits les plus longues de notre carrière (18h30 – 7h, si avec ça on n’est pas reposés !), nous sommes réveillés par un bruit de pluie. Pourtant, chose étrange, la tente n’est pas mouillée… Est-ce le sable qui gifle la tente sous l’effet du vent ? Victor sort pour vérifier et réalise que ce n’est pas du sable, non, c’est de la neige ! Elle tombe depuis quelques heures et commence à recouvrir notre tente, ainsi que le paysage, d’un fin voile blanc.

Le ciel aussi est blanc d’ailleurs, et aucun rayon de soleil ne semble pouvoir traverser la couverture nuageuse. Nous nous remettons donc sous notre couverture duveteuse, et nous attendons un peu qu’il fasse une température plus correcte.

Tu fais ce que tu veux, moi je vais rester là encore un petit peu

Deux heures plus tard, nous sortons à nouveau de nos douillets duvets pour faire du thé, déjeuner et ranger notre paquetage, tout en joie au moindre rayon de soleil. Si l’eau a gelé dans nos gourdes, heureusement, le réchaud à essence, lui, tient bien le coup et nous fait bouillir de l’eau même sous la neige.

Le moindre rayon de soleil nous emplit de joie

Les doigts gourds, nous mettons un peu de temps à plier la tente, et la salissons, car la neige et l’humidité forment sous nos pieds et sous la tente de gros blocs de terre tout collants. Nous salissons un peu toutes nos affaires, nous tremblons et nous nous disputons. Vite, il est temps de reprendre la route !

Celle-ci se vallonne de plus en plus sous nos yeux, et nous nous réchauffons vite en pédalant dans les montées. Je peux d’ailleurs désormais proposer quelques statistiques : il faut 8km soit une demi-heure pour pouvoir se réchauffer les mains, 35km pour se réchauffer le pied gauche, et impossible de réchauffer le pied droit, qui est côté vent glacé. Alors qu’au loin se dessine une ville, nous décidons d’y faire la pause du midi, car il fait vraiment trop froid pour pique-niquer dehors.

Mais voilà, on dirait bien que nous sommes tombés sur une ville fantôme. Il y a beaucoup d’infrastructures neuves et imposantes, école, collège, lycée, mais elles sont vides. Tout se passe comme si on prévoyait que la ville allait se peupler rapidement mais pour l’instant, il n’y a presque personne, de rares écoliers en uniformes et quelques scooters. Nous nous demandons un peu si le gouvernement table sur une soudaine explosion démographique pour remplir toutes ces institutions, ou s’il prévoit d’envoyer des colons. Et comment cela se passe-t-il ? Comme dans le Cadeau de César, une bande dessinée d’Astérix et Obélix (décidément, oui, on aime les références aux héros de Goscinny et Uderzo) : on fait une tombola lors d’un match de foot et le gagnant gagne le droit de venir s’installer dans le froid au milieu de nulle part ?

Bref, dans ces cas-là, difficile de trouver un restaurant, mais nous finissons par échouer dans une petite gargote. Incapables de lire le menu en chinois, on commande des trucs au pif : c’est gras et piquant, mais ça nous reborate bien. Et ça fait de l’animation dans le quartier : la serveuse vient nous apporter les plats tout en nous filmant, et les voisins du restaurant ont aussi dégainé leur portable.

Victor est tout content, il aime bien lui, être pris pour une star de cinéma. Il sourit, salue, et c’est tout juste s’il ne se met pas à signer des autographes.

Le reste de la journée est difficile : on a du mal à digérer, on a froid la plupart du temps mais on transpire dans les montées, mon mal de genou fait son grand retour. Le paysage est joli mais la route nous impose d’interminables faux plats qui nous usent les cuisses et le moral.

                                      Et en plus ça fait mal aux genoux

Alors que nous arrivons enfin en vue de notre ville-étape du soir, Huade, nous voyons nos premiers champs cultivés, et nos premiers arbres « naturels »(nous entendons par là: as plantés par l’homme au milieu du désert). Non loin il y a des petits baraquements tristes construits de plein pieds et tout en longueur, où doivent loger les ouvriers agricoles.

Dans le coin, il est à priori interdit de transporter un éléphant dans une petite voiture

Puis c’est enfin Huade, une ville qui nous paraît au premier abord très à l’heure sur les énergies renouvelables : tous ses lampadaires sont dotés d’un petit panneau solaire et d’une mini-éolienne. Après un détour par une espèce de parc sans intérêt dominant la ville, c’est l’épreuve de « la recherche d’un hôtel acceptant les étrangers » qui recommence.

Après quelques échecs et frigorifiés, on échoue au « Huade Guest House », un hôtel qui doit faire dans l’accueil de séminaire, et dont le nom anglais nous inspire confiance. C’est un peu cher, moche et kitsch : une statue de Mao dorée trône dans le hall, il y a de longs canapés de faux cuirs partout, et plein de signes d’interdiction de fumer qui la plupart du temps surplombent des cendriers.

Aux deux réceptionnistes mortes de rire en nous voyant, s’ajoute le manager, qui lui, ne rit pas du tout. Accueillir des étrangers doit être une première pour eux, et il prend toutes les précautions pour ne pas faire de bêtises. Il ne comprend pas bien d’où on peut venir, alors nous devons tout expliquer : où étions-nous, dans quelles villes, et où allons-nous, etc. A le voir faire avec tant de diligence le travail de la police, nous nous interrogeons sur les sanctions qui attendent quiconque y déroge. Et surtout, s’il fait le travail de la police, alors que fait la police ? Hé bien, elle est tranquille, et c’est comme ça qu’on contrôle bien sa population. On l’a vue nous, la police, et ils ne nous ont pas demandé quoique ce soit, non, ils nous ont fait « coucou » en souriant comme les autres…

Une fois les formalités terminées, les employées de l’hôtel laissent libre court à leur sensibilité artistique, et c’est le quart d’heure des selfies avec les deux étrangers.

Et des photos comme ça (avec Mao en arrière plan), il y en a BEAUCOUP
Ouaaaais, on s’éclate, bon, on peut aller dans notre chambre maintenant?

Elles veulent photographier toutes les configurations possibles : « allez un avec moi et les deux, un avec toi et juste le garçon, maintenant un toutes ensemble avec la fille, oh et regardez comme elle a un grand nez ». Autant dire que nous, gelés et exténués, nous amusons moyennement. Enfin libérés – et un peu vexée par ces histoires de long nez – nous accédons à notre chambre encore une fois parfumée au tabac.

Malgré le parfum d’ambiance et la quasi absence d’eau chaude, nous décidons de rester deux nuits dans cet hôtel, pour récupérer un peu et attendre une température plus clémente.

Jour 88, mercredi 10 octobre: « journée chill et paparazzi à Huade »

Le lendemain, nous sommes ravis d’apprendre que le tarif de la chambre comprend un petit-déjeuner dans un buffet à volonté : chouette, nous allons découvrir ce que mangent les chinois le matin. Et ce n’est pas extraordinaire, on comprend que la soupe de millet sans goût n’ait pas été aussi importée en Europe que le canard laqué !

Nous prenons le temps de nous reposer un peu et de rafraîchir nos coupes de cheveux respectives. C’est fou car en voyage à vélo, en même temps qu’on en apprend sur les pays que l’on traverse, on en apprend aussi beaucoup sur nous-même. On sait désormais, par exemple, que Victor ne sera jamais un grand coiffeur.

Nous profitons aussi de notre temps libre pour aller visiter la ville. Encore une fois, il est difficile de s’y repérer pour faire les courses, car nous sommes incapables de lire le moindre caractère chinois. De plus, si toutes les enseignes sont éclairées dès la tombée de la nuit, dans la journée, tout est éteint, et il n’est jamais facile de savoir si quelque chose et ouvert ou fermé, et ce qu’il contient. Nous faisons quelques courses dans un tout petit magasin presque vide, et nous observons les chiens errants de la ville, désespérément moches mais pas agressifs pour un sou, au contraire de leurs terrifiants voisins mongols. Nous observons aussi avec étonnement les paquets de poireaux qui sèchent devant toutes les devantures des magasins : pourquoi les conserver ainsi ?

Enfin, nous nous familiarisons avec une habitude locale, tout aussi répandue parmi les chinois que redoutée parmi les voyageurs : le gros raclement de gorge suivi d’un crachat. La méthode : on va chercher bien loin dans les bronches et bien bruyamment un gros glaviot qu’on éjecte sur le trottoir. Rien qu’à l’entendre, rien qu’à l’écrire, ça nous retourne l’estomac.

Au détour d’une rue, on entend une voiture piller, et celle qui la suit klaxonner. C’est juste un couple qui s’arrête en pleine rue pour pouvoir prendre une photo avec nous : et là, juste à ce moment-là, Victor commence à en avoir marre de sa célébrité.

Jour 89, jeudi 11 octobre : 90km, 224m de dénivelé: « De la Mongolie Intérieur à l’Hebei, au revoir le désert »

Aujourd’hui, c’est la grande reprise du vélo et heureusement, il fait moins froid que ces derniers jours (même s’il ne fait pas plus de 10 degrés). Après un gargantuesque petit déjeuner grâce au buffet à volonté de l’hôtel, on charge nos vélos sous le soleil.

On se remplit la panse et même les poches

Nous ne sommes pas seuls, deux des employées de l’hôtel nous tiennent compagnie, et nous aident à charger tout notre matériel. Elles sont très serviables (et efficaces), et surtout, elles ont hâte de pouvoir prendre quelques photos des vélos et de leurs curieux cavaliers. Ni une, ni deux, on se retrouve à lever deux doigts en l’air tout en scandant « j’aime la Chine » en chinois devant une de leurs caméras. On se sent un peu ridicules et en même temps, elles sont quand même bien gentilles, alors si ça peut leur faire plaisir…

Pour sortir de Huade, nous passons par la vieille ville, qui ne doit pas avoir plus d’un demi-siècle, ce qui, dans ces endroits tout neufs, en fait quand même la vieille ville. Les gens dans ce quartier plus populaire, où nous nous arrêtons pour faire quelques courses, sont très sympas. Ils ne dégainent pas leur portable comme les autres, mais tentent plutôt de communiquer. Les premiers, un couple âgé qui tient une supérette, sont tout sourire et me proposent de me réchauffer un peu les mains à leur radiateur. Les autres, que nous rencontrons dans une artère populaire de la ville, tiennent des étals de légumes, des graines et de poissons. Ils nous demandent d’où on vient et où on va, et si l’on n’a pas trop mal aux cuisses. Alors que Victor papote par mime dehors, j’entre dans un petit magasin pour compléter nos achats. Hourra, il y a des fruits ! Une dame qui porte un enfant s’approche alors de moi et me pose une question… En anglais. Je suis tellement surprise, comme c’est la première depuis un bout de temps, que je dois lui faire répéter la question. Elle a été appelée en renfort et veut simplement savoir comment nous aider. J’en profite pour lui demander les basiques du pique-nique et elle en profite pour informer tout le monde sur notre trajet.

Après être sortis de la ville, et comme nous sommes bien reposés, nous filons sur les petites routes chinoises, et avalons 30 km presque sans nous en apercevoir. Les arbres et les champs, si rares les jours précédents, se multiplient et les paysans sont occupés au ramassage des légumes. Nous sommes d’ailleurs régulièrement doublés par de gros camions surchargés de ce qui ressemble à d’énormes betteraves blanches dont quelques-unes gisent sur le bas-côté. Quand l’une d’elles chute du camion, mieux vaut ne pas se trouver en dessous, car ça doit faire une sacrée bosse, un légume pareil.

La campagne n’a pas l’air bien riche, les villages sont ici de longs baraquements parfois peints pour les égayer, mais beaucoup ont l’air abandonnés et sont murés. Les quelques paysans que nous croisons sont occupés à glaner, et les femmes sont coiffées de foulards colorés et portent un masque, ce qui fait qu’on voit à peine leur visage. Souvent ils nous fixent avec étonnement, mais quand nous leur faisons un signe de la main, tout le monde se met à sourire et salue en retour.

Après un pique-nique pas très bon dans un paysage desséché, la route que nous empruntons et qui mène à Zhangbei, devient plus passante.

Et on s’étire bien pour chasser la tendinite

La qualité de la conduite s’en ressent pour la première fois, les gens qui doublent le font moins prudemment, et le bruit des klaxons devient permanent. Nous sentons que nous arrivons à proximité d’une grosse agglomération et pour la première fois de ce voyage en Chine, rouler à vélo devient moins agréable. Nous quittons la route pour suivre un petit chemin de terre qui va vers une forêt clairsemée. Après avoir roulé une dizaine de minutes, nous prenons un petit chemin à gauche qui monte dans la forêt, puis nous sortons du chemin pour grimper encore un peu. Et voilà, nous avons un chouette endroit pour bivouaquer, tranquille, même si l’on entend encore un peu la route.

Nous montons la tente rapidement car cette fois-ci il n’y a pas de vent, mais nous ne tardons pas à y rentrer pour manger et nous coucher, car le froid tombe très vite. A 20h, les parois de la tente sont déjà givrées : une fraîche nuit en perspective !

Jour 90, vendredi 12 octobre : 99km, 343m de dénivelé « Vers Zhangbei et Zhangiakou, ou la Chine en plus peuplée »

Nous connaissons, dans notre tente givrée, un réveil des plus frisquets. L’eau de nos gourdes est gelée et les premiers rayons de soleil peinent à réchauffer nos os frigorifiés.

Après avoir remballé toutes nos affaires, nous prenons la route de Zhangbei, que nous espérons traverser dans la matinée, avant de prendre la direction de Zhangiakou, à quelques 90 kilomètres de là. Ce sera notre dernière étape à vélo, puisque nous y prendrons un bus en direction de Pékin, situé à 150 kilomètres environ.

Nous voilà donc partis vers Zhangbei, et, devant l’importance de la circulation, nous quittons la route principale pour des routes secondaires.

Et, au détour d’un petit chemin chinois, voici le 3000ème kilomètre franchi

Nous faisons d’abord 20 kilomètres de faux plat un peu agaçant dans un paysage peu convaincant. L’aspect désertique et brûlé de la veille s’est accentué, ce qui n’empêche pas le coin d’être un haut lieu du tourisme intérieur. En effet, Zhangei et les alentours jouent sur leur côté « Mongolie intérieure » et nous longeons tout un tas d’hôtels dotés de ce qui ressemble, mais en très moche, à des yourtes. Il s’agit souvent de construction rondes faites en dur et à la queue leu leu dans la cour d’un immeuble un peu miteux… ça ne donne vraiment pas envie, et d’ailleurs, tout est vide.

Arrivés à Zhangbei après environ 40 kilomètres, nous découvrons notre première « grande » ville chinoise, et les difficultés de circulation qui l’accompagnent : des véhicules de toutes sortes et de toutes tailles fusent de partout.

Alors que nous redoublons de prudence pour traverser la ville sans encombres, deux choses tombent en rade en même temps. La première, c’est le portable de Victor. Sans même prendre la peine de donner aucune explication convaincante, sa batterie chute en quelques minutes, puis il s’éteint. La seconde, c’est mon genou droit. Il était douloureux depuis quelques jours, mais là, probablement avec le stress et les à-coups de la conduite en ville, il devient si douloureux que je peux à peine le plier. Nous sommes bien embêtés, car c’est sur le portable de Victor qu’il y a le GPS qui doit nous aider à trouver notre itinéraire dans Zhangbei, et ce satané engin ne se rallume pas, même branché sur le système de dynamo.

Cependant, on va pouvoir employer ici l’expression « à toutes choses malheur est bon » car notre pause imposée nous permet une chouette rencontre. Nous faisons donc un arrêt un peu contraint et forcé dans un petit restaurant de type fast food de Zhangbei. Dehors, sur le perron, une femme fait cuire des brochettes dans une sorte de bouillon, et, à l’intérieur, un monsieur bien sympathique nous accueille et nous montre tout de suite où brancher notre portable. Nous lui commandons un plat avec du riz, et nous allons choisir quelques brochettes dans la marmite du dehors. Elles sont bonnes, mais je dois bien avouer que, même un pistolet sur la tempe, je serai bien incapable de dire à quoi elles sont. Certaines sont peut être à la viande recomposée, d’autres au soja ou encore au gluten, et elles ont en tout cas cuit dans une sauce plutôt pimentée.

Les brochettes ont un grand succès auprès des enfants du coin, qui, habillés de leurs uniformes d’écoliers, passent en petits groupes en acheter. Ils entrent aussi dans le petit fast-food pour acheter des glaces, et nous regardent avec beaucoup de curiosité. La plupart n’osent pas trop s’approcher mais l’un d’eux répond au « nihao » de Victor. Nous le voyons ensuite faire un rapport à ses copains : il semble leur dire « il a des yeux tout ronds » quand il fait deux petits cercles avec ses doigts, qu’il colle contre son nez.

Une dame, qui porte son bébé dans les bras, vient nous demander en anglais si l’on veut le plat épicé ou non. Elle nous félicite ensuite de notre habilité aux baguettes, et nous causons un peu. Derrière elle, les enfants deviennent de plus en plus nombreux et observent nos échanges, qu’elle se met à traduire. Les enfants s’enhardissent alors, sous les encouragements très bienveillants de Rose (le nom anglais de notre interlocutrice) et posent des questions même si la  plupart, un peu timides, se contentent de sourire ou de tripoter nos affaires du bout des doigts.

Ils nous demandent ainsi d’où nous venons, où nous allons, quel âge nous avons (mais 29 ans, ça leur paraît si vieux !) et si nous aimons la Chine. Une petite trop mignonne me fait savoir par Rose que nous avons raison d’aller à Pékin, parce que là-bas, il y a plein d’étrangers, elle le sait, elle les a vus.

Alors que nous nous apprêtons à sortir pour reprendre notre route, nous sommes entourés d’une sacrée troupe d’enfants. Victor va payer, et verse une somme ridicule : nous les soupçonnons de nous avoir offert les brochettes, en plus de deux glaces roses fluo au drôle de goût. Rose nous propose de rester, c’est tentant, mais nous avons encore beaucoup de route. Nous prenons quelques photos avec notre petit groupe de gosses, et c’est un peu la bousculade quand chacun veut voir la photo sur l’écran de Victor. Nous repartons en faisant de grands coucous et en répondant aux nombreux « goodbye », tout guillerets. C’était vraiment un interlude sympathique et notre GPS fonctionne à nouveau.

Une fois sortis de Zhangbei, nous devons à nouveau monter de petites côtés, mais après, Victor le garantit, ce sera 30 kilomètres de descente pour quitter le plateau et rallier Zhangiakou puisqu’il faut faire un dénivelé négatif de près de 600 mètres.

Nous arrivons enfin à la fin du plateau, et découvrons un joli panorama de montagnes, qui nous change enfin du paysage de ces derniers jours.

Et voilà la descente, mais ce n’est pas, comme nous l’avons si fortement espéré, une longue route goudronnée qui descend en pente douce. Non, non, c’est plutôt un chemin caillouteux, qui nous fait tressauter sur nos selles et manger de la poussière quand un gros camion nous double !

Alors que nous rejoignons une route partiellement goudronnée, nous passons dans des coins bien paumés, des petits villages de briques assez pauvres, avec des toits en tuile.

La route est si peu empruntée qu’elle sert à faire le tri du grain. Un paysan lance les grains en l’air tandis que sa femme balaye, sous l’œil avisé de ce qu’on se propose ici d’appeler un inspecteur des travaux finis. C’est un homme en uniforme, qui semble vérifier que tout se passe bien, et qui dégaine son portable alors que nous passons.

Peu à peu la vallée se resserre et le trafic s’intensifie. Nous avalons beaucoup de poussière tout en observant un joli paysage de montagnes. Elles sont un peu pelées, mais de loin on voit que des trous ont été creusés pour y planter des arbres. Et tout au bout de cette route, voilà Zhangiakou et la muraille de Chine. Enfin, un petit bout de muraille de Chine, à côté de ce qui ressemble à un décor de carton-pâte. C’est un peu moche, mais on s’en fiche nous, tout ce qu’on se dit c’est que, ça y est, on l’a fait, on a rallié la frontière à la muraille de Chine!

L’ambiance de la ville change radicalement de ce que l’on a connu jusqu’ici, elle fait assez moderne, il y a des panneaux qui interdisent de cracher, et même de faire ce qu’on veut avec son chien !

            N’y aurait-il pas une petite erreur de traduction?

Nous nous disons que dans cette ville, plus grande et plus touristique que les précédentes, il va être aisé de trouver un hôtel nous acceptant… Hé bien pas du tout. Déjà, comme nous arrivons à l’heure de pointe, le trafic est dense, et pas très agréable, et puis, le portable de Victor s’éteint à nouveau, ce qui fait que nous n’avons plus de GPS.

Nous faisons plusieurs demandes infructueuses à des hôtels, nous nous perdons un peu dans la ville, nous râlons beaucoup, et nous finissons quand même par trouver quelque chose. Cela nous aura rajouté 20 bornes, au bas mot. Si nous avions su, nous serions restés avec les enfants de Zhangbei!

Tout a changé depuis quelques heures, certaines choses en négatif, d’autres en positif. Par exemple, à l’hôtel, les gens ne semblent plus ni amusés ni contents de nous voir, mais plutôt un peu embêtés d’avoir à accueillir des étrangers. C’est plus reposant car il n’y a pas à passer par la case shooting photo, mais c’est aussi un peu plus impersonnel. Par contre, la chambre est très confortable, et se rapproche des standards européens. C’est-à-dire qu’elle ne sent pas la cigarette, qu’il y a de l’eau chaude et un débit correcte, un WIFI qui fonctionne et surtout un lit immmmmmmense !

Jour 91, samedi 13 octobre : 20km, 92m de dénivelé :  « En route en bus vers Pékin! »

Le matin à Zhangiakou nous trouve un peu feignants : on reste dans notre immense lit, si immense qu’on peut y dormir indifféremment dans la longueur ou la largeur, si immense qu’il est difficile de le quitter.

Laissez-moi rester ici pour toujouuuuurs
                                Toujouuuuuuuuurs
Curieusement, le mur entre la chambre et les toilettes est vitré, histoire que l’on ne manque pas la vue de l’autre sur le trône. Ah, les mystères de la culture chinoise

C’est sans compter sur le personnel de l’hôtel qui ne nous a pas oubliés. Nous recevons un coup de téléphone vers 10h30, alors que nous avons bien lu que le dernier délai pour quitter la chambre est à 12h. Une interlocutrice qui parle anglais, luxe inhabituel dont nous aurions eu bien besoin hier, s’inquiète de savoir si nous allons partir. En bon substitut de la police chinoise, elle veut aussi savoir où nous allons : hé bien ma bonne dame, nous mettons les voiles pour Pékin.

Stimulés par cet appel qui met un terme à nos cotonneux prélassements dans notre gigantesque plumard, nous rangeons nos affaires et nous mettons le nez dehors. Ah, ce n’est plus le même climat ; il fait bien chaud, et si le ciel est couvert, on dirait que c’est davantage à cause de la pollution qu’à cause de quelques cumulo nimbus. Il nous faut faire 7 kilomètres pour aller à la gare routière, sur la même route ou presque que celles que nous avons fait la veille, quand nous pensions bêtement que la gare routière se situerait en contrebas de la ville et non dans les hauteurs.

Arrivés à la gare, c’est Victor qui va négocier nos billets, et il se débrouille bien puisqu’il ne se voit pas opposer de refus. La guichetière, avec qui il communique efficacement par gestes, propose de faire entrer les vélos dans la gare et de s’en remettre à l’avis du chauffeur, des bus pour Pékin partant toutes les 20 minutes.

Après notre repas, plusieurs jeunes femmes préposées au service client de la gare nous font signe de les suivre et nous amènent, tout sourire et avec beaucoup de gentillesse, sur les quais. Le chauffeur n’est pas dans d’aussi bonnes dispositions, loin s’en faut, et dès qu’il voit les vélos, il se met à hurler tout ce qu’il peut. On ne sait pas ce qu’il raconte puisqu’il s’égosille en chinois, pourtant, on comprend très bien ce qu’il dit : « non mais ça va pas, vous avez vu la taille des bestiaux, ça ne va jamais loger ! Et puis, ils vont me mettre en retard ces deux couillons, non c’est non… Et patati et patata. »

Nous n’avons même pas à dire quelque chose pour notre défense, ce sont les trois ou quatre jeunes filles qui se mettent à négocier, à batailler, à tenir tête au chauffeur sans s’effrayer un tant soit peu de sa mauvaise humeur. « Popopop, mais si ça loge, regardez ils sont en train de les démonter, ils vont les plier, ce sera parfait ». Tandis qu’effectivement nous désossons nos vélos, sous le regard de chauffeurs et de voyageurs curieux, un anglophone chinois vient lui aussi aider à la situation. Il nous explique que là, ça ne va pas le faire, comme nous nous en serions doutés. Il propose que nous prenions deux bus différents, à intervalle de 20 minutes, ce que nous acceptons. Mais le chauffeur n’est pas de cet avis, il ne veut plus de nous, et démarre son bus ; nous attendrons donc les deux suivants.

Victor doit ensuite prononcer, par erreur, le mot magique, « extra » comme dans « nous pouvons payer un extra ». Et curieusement, le chauffeur suivant accepte avec un grand sourire tous les vélos qu’on voudra bien lui donner. Nous avons à peine le temps de nous retourner que les employées de la gare se saisissent qui des roues, qui des sacoches, et pouf, en deux temps, trois mouvements, les vélos sont montés dans le bus, dont les soutes sont bien plus grand que le bus Russie/Mongolie que nous avions déjà pris. Quand j’arrive un peu après avec le reste des affaires, je fais un « wouaw » de surprise, auquel une des jeunes femmes répond avec l’air de dire « hé oui, t’as vu ? Et sans tasser en plus. » C’est drôle comme des fois on se comprend bien, alors qu’à d’autre moments la barrière de la langue paraît insurmontable. Bref, nous remercions vivement ces jeunes filles aussi adorables qu’efficaces mais nous remercions un peu moins le chauffeur, qui nous taxe de 200 yuans pour les vélos, soit plus que le prix de nos deux places, alors qu’il n’a pas bougé le petit doigt et que les soutes du bus sont presque vides. C’est bon à savoir : on ne propose pas un « extra » si on ne nous en demande pas un ! Ou alors on se met d’abord d’accord sur le montant.

Le trajet jusqu’à Pékin est un peu long et demande plus de cinq heures, notamment car nous sommes souvent coincés dans les bouchons. La vue du nuage de pollution dès l’approche de Pékin (voire depuis Zhangiakou) et de la circulation intense nous confirme dans notre choix d’avoir pris le bus plutôt que d’avoir pédalé.

Alors que le bus se rapproche du centre ville et de notre auberge de jeunesse, nous sommes ravis, mais il dévie ensuite pour nous déposer à l’autre bout de la ville. Nous devons donc pédaler 12km dans Pékin, avec un genou en compote et très douloureux. Nous sommes un peu inquiets au départ de devoir traverser cette immense ville de plus de 20 millions d’habitants, et pourtant, il est en fait très facile, et plutôt agréable d’y circuler. Même s’il faut rester attentif et apprendre quelles sont les règles de priorités ( c’est-à-dire que le plus gros passe en premier, dans la plupart des cas), il est assez facile de se déplacer à vélo, puisque la ville est adaptée aux deux roues de tout gabarits, et qu’il y a pas mal de cyclistes. Curieusement, alors même que nous sommes samedi soir, la ville est assez calme, et nous voyons plusieurs groupes de personnes danser ou faire de la gym dans les parcs ou sur les trottoirs.

Arrivées dans notre auberge de jeunesse, nous sommes tout contents : nous voilà à Pékin !

2 réflexions au sujet de « Jours 84 à 91 : Retour en selle pour traverser un petit bout de Chine, de la frontière mongole à Pékin »

  1. C’est vraiment un plaisir de vous lire et on peine, on sue, on grelotte ou on rit avec vous! Je me sens tout à coup très nostalgique de ma jeunesse et si notre petite escapade à Lamalou nous à permis de vous rejoindre et de vous soutenir en pensées sur nos petits vélos électriques( mais oui mais oui! on a aussi des photos à l’appui), je reste très admirative de votre choix de voyage et vous adresse tous mes encouragements et des grosses bises!

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  2. Super on est loin des clichés habituels.
    Les énormes betteraves blanches sont probablement des betteraves à sucre comme nous les subissons ici (14 000 tonnes sont livrées à la sucrerie tous les jours… soit un camion à la minutes 90 jours par an durant 20h00 par jour)
    Bonne visite de Pekin

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