Jours 192 à 196 : La traversée de l’Isan, balade au fil du Mékong à travers les plantations d’hévéas et les rizières

Cette semaine, nous affrontons les plaines desséchées de l’Isan, la région la plus à l’Est de la Thaïlande, frontalière au Laos, et qui prend en saison sèche des allures de savane. Les petites routes thaïlandaises doivent nous permettre de progresser toujours plus vers le Sud de l’Asie et de retrouver, au bout du chemin, le Laos et la ville de Paksé.

Allez, courage, c’est tout droit

Jour 192, mardi 22 janvier, 74km et 422m de dénivelé : Entre rizières et vaches bizarres, balade au plus sec de l’Isan

Ce jeudi 22 janvier à Sakhon Nakhon, nous commençons encore un peu tard notre étape du jour malgré toutes les promesses que nous nous sommes faites de partir tôt pour profiter au maximum de la fraîcheur toute relative des matinées. Mais quand nous passons plus d’une nuit au même endroit nous avons tendance à étaler beaucoup de notre matériel, transformant la chambre en vrai capharnaüm, que nous sommes un peu longs à ranger… Heureusement, le dieu Mercure est avec nous aujourd’hui, il fait plutôt « frais », avec une maximale de 33°C.

Après avoir quitté Sakhon Nakhon, nous traversons trente kilomètres de rizières souvent desséchées, parfois replantées et irradiant de leur joli vert tendre, puis nous devons abandonner nos paysages plats pour une première grimpette de 200m de dénivelé, en plein soleil, bien sûr. Heureusement la route, désormais vallonnée, est assez jolie, et très tranquille.

Dix kilomètres plus loin, nous faisons notre pause pique-nique et sieste à l’ombre d’un arbre et dans une rizière abandonnée, dévorant nos restes de plat de pâtes carbonara qui ont miraculeusement survécu à la chaleur.

Nous continuons ensuite notre route dans un décor de petites montagnes, et nous enfonçons de plus en plus dans une vallée assez isolée, traversée par une seule et unique route. Les villages paraissent moins cossus que ceux qui bordent le Mékong, voire assez pauvres, et les gens ne nous interpellent plus ; l’air surpris de nous voir, ils ignorent même nos salutations.

Nous ne nous en formalisons pas (c’est vrai qu’il n’y a pas beaucoup d’étrangers qui doivent passer dans cette petite vallée) et admirons leurs très étranges vaches dotées d’immenses oreilles qu’elles ont dû emprunter aux éléphants.

« Attention à ne pas te brouter une oreille, Dumbo! »

 Comme souvent quand il n’y a qu’une seule route sur plusieurs dizaines de kilomètres, nous avons des difficultés, le soir venu, à trouver un bivouac correct, c’est-à-dire plat et assez caché de la population. Après plusieurs essais, nous finissons par demander à des paysans qui discutent devant leur maison, et ceux-ci nous montrent de la main un endroit où nous avons déjà fait des repérages, un peu plus loin au bout d’une étendue de rizières déjà récoltées. Nous nous installons donc dans ce qui ressemble à un champ abandonné, en bord de rivière. Je dois dire que le bivouac ne me plaît pas trop, car il n’est pas assez caché, que ce soit de la route, ou d’un petit pont qui traverse la rivière non loin, et que les gens empruntent malgré son aspect tout décatit. Je crains qu’on vienne nous déranger durant la nuit, alors que nous sommes vulnérables, ce qui souvent ne m’aide pas à bien dormir. Mais c’est comme ça en voyage à vélo quand on choisit de bivouaquer, il faut s’attendre à ne pas trouver tous les soirs un petit coin de paradis. Et il faut surtout apprendre à relativiser des appréhensions, le plus souvent largement infondées, ou des inquiétudes qui naissent de la fatigue et de l’obscurité.

Nous nous couchons rapidement après avoir absorbé notre petite soupe de nouilles chinoises, et nous nous promettons de trouver un meilleur endroit le lendemain.

Jour 193, mercredi 23 janvier, 81km, 370m de dénivelé : Progression  en territoire canin ou la journée qui a du mordant

Le jour se lève sur notre tente et, sans – extrême – surprise, nous sommes encore vivants. Nous avons même plutôt bien dormi près de cette rivière, malgré une nuit très claire due à la pleine lune. Nous ne nous attardons pas dans le coin, nous petit-déjeunons, nous plions, et nous partons, sous les regards un peu surpris des gens qui passent sur le pont à moitié détruit qui nous surplombe. Alors que nous lui trouvions du charme hier, nous sommes déjà lassés aujourd’hui de cette vallée trop isolée, où les habitants ne sont pas tous très accueillants.

Un peu plus loin, une belle côte ensoleillée nous attend, cumulant presque tout le dénivelé de la journée. Parvenus en haut, nous sommes déjà affamés, car notre petit-déjeuner était de plus légers ce matin, faute d’avoir pu se ravitailler hier dans la vallée. Nous faisons donc une pause durant laquelle nous prenons le temps de nous faire un thé et raclons les fonds de sacoches pour nous mettre quelque chose sous la dent.

Un scooter chargé d’un couple arrive à ce moment-là et investit le bois muni d’une longue perche terminée par un filet. Il rejoint un troisième larron que nous n’avions pas vu et qui, lui, est venu avec un singe domestiqué. Ils envoient le macaque dans les arbres, puis montent à leur tour avec leur grande perche. Impossible, de loin, de savoir ce qu’ils cherchent : fruits ? Nid ? Insectes ? Et comme ils sont plutôt du genre taiseux, nous renonçons à le leur demander, et notre curiosité devra en rester là.

Est-ce que ce ne serait pas du miel?

Nous continuons à monter et nous sortons enfin de la vallée, puis nous retrouvons le Mékong un peu plus loin, en même temps que nous atteignons les faubourgs de Moukdahan, une ville frontière avec le Laos. On peut passer chez les voisins grâce à un grand pont, le Pont de l’Amitié, mais pour notre part, nous préférons rester du côté thaïlandais encore un peu. Le Laos ne nous manque pas déjà, et surtout, nous préférons la multitude des petits chemins thaïlandais à l’unique route 13 laotienne, encombrée de camions et livrée à la poussière (enfin supposons-le).

Le pont de l’Amitié entre la Thaïlande et le Laos

Nous nous arrêtons dans un restaurant près du pont mais dans lequel, à la suite d’une incompréhension mutuelle avec la serveuse, nous commandons de la salade de haricots verts crus au piments, pour notre plus grand déplaisir. C’est pourtant un fait reconnu, toute la gastronomie de l’Asie du Sud-Est est délicieuse… Toute ? Non, une irréductible recette résiste encore et toujours à nos papilles : la fameuse salade de crudités (concombre, papaye verte, tomate ou chou) ! Pourquoi ? Parce que d’abord elle est affreusement pimentée et arrosé du jus acide d’un citron vert, mais surtout parce qu’elle est assaisonnée à la sauce poisson, une espèce de pâte immonde obtenue par la fermentation de résidus de poiscaille diverses, et qui donne à n’importe quelle crudité un goût indéfinissable de… Eh bien de résidus de poisson fermenté au soleil.

Nous entrons ensuite dans Moukdahan, qui a l’air d’une ville un peu touristique, à en juger par les échoppes de souvenirs et de tee-shirt multicolores à l’effigie du pont qu’on y trouve. C’est plutôt du tourisme intérieur, car les occidentaux sont davantage de l’autre côté du pont, dans cette partie du Laos où il y a beaucoup plus de choses à voir et à faire qu’en Isan. Nous faisons nos provisions au magnifique marché de Moukdahan, constitué d’échoppes variées et colorées réunies sous une halle aérée. Nous y découvrons la recette de la fameuse boisson de rue vendue dans des petites chariotes tirées par des scooters, toujours décorés par une publicité pour la conserve de lait concentré. Il s’agit d’un assemblage de liquides : soda, lait concentré, lait de soja, dans lequel on peut avoir des petites billes de gélatine (ou de tapioca ?), voire des poudres colorées. Près du marché, le vendeur en prépare à tour de bras pour satisfaire à la demande, et en fait même à emporter, dans des petits sachets plastiques munis d’une paille. La boisson a tellement de succès que l’on en trouve absolument partout le long de la route, sous tous les aspects, du stand branché à la minuscule table de bois surmontée de trois pots de poudre. Nous nous promettons d’y goûter un jour mais reportons toujours au lendemain : c’est une mixture qui nous paraît toujours trop sucrée quand nous avons soif, et pas assez appétissante quand nous avons faim.

Et il y a une piste cyclable!

L’après-midi, nous roulons à courte distance du Mékong, et ce sont encore de folles courses poursuites avec les chiens. Nous les voyons de loin, souvent somnoler à plusieurs au bord de la route. Nous passons alors entre eux sur la pointe des pieds, le plus silencieusement possible, pour ne pas les réveiller, un peu comme dans les Cartoons. Mais comme dans les Cartoons, malheureusement, un bruit ou un mouvement finit immanquablement par éveiller l’attention de l’un d’entre eux, qui réveille les autres afin que tous puissent se lancer dans le sillage de nos roues.

Ce que nous détestons le plus, ce sont les chiens qui arrivent sur nous non pas par derrière mais en latéral, car ils sont bien trop près alors de nos mollets. Et certains sont si moches, avec leurs yeux jaunes, leur poil sale et éparse et leur bouche mauve baveuse, que nous avons peur qu’en nous mordant ils nous refilent la peste bubonique en même temps que la rage et le choléra.

Tous les animaux de Thaïlande semblent nous trouver étranges, nous craindre et nous exécrer, car les vaches s’enfuient au galop devant nous, tandis que les chats eux-mêmes nous jettent de longs regards mauvais. Cependant, plus économes en énergie que les chiens, ils ne se lancent pas à notre poursuite en miaulant, ce qui serait pourtant à la fois bien moins effrayant et beaucoup plus amusant.

Un petit effort de catégorisation des chiens agressifs thaïlandais

A force de poursuites canines tout au long de la journée, nous pouvons même distinguer plusieurs types de chiens, qu’on se propose ici de présenter, dans le souci de contribuer à la science éthologique sur ce prétendu meilleur ami de l’homme. Ainsi, il y a la catégorie du chien « bon gardien ». C’est celui qui se lance à la poursuite de l’innocent cycliste quand il passe devant chez lui, par soucis de bien faire son travail de gardien de maison, par une loyauté bête qui le lie à son maître, qui pourtant, nous l’avons dit dans un article précédent, le nourrit mais se montre avare en signes d’affection. Ce chien « bon gardien » n’a donc rien contre nous, il fait simplement son job, et, une fois qu’il nous a coursé quelques mètres, il s’en retourne chez lui, fier de la besogne accomplie ; il n’est donc dangereux que par sa bêtise et sa loyauté au principe de propriété, mais pas vraiment méchant.

Il y a aussi la catégorie du chien « opportunisto-conformiste » ; c’est un chien qui nous regarde passer d’un air étonné, avec frayeur, avant de se mettre à nous courser, en ayant l’air de hurler « mais qu’est-ce que c’est ça ? Pourquoi c’est là ? A quoi ça sert ? C’est méchant ? J’aime pas, j’aime pas, j’aime pas, dégage ! » Souvent, c’est aussi un chien poltron, qui attend que nous soyons passés pour nous poursuivre, mais ne nous attaque pas frontalement. Nous le soupçonnons même de ne pas être souvent à l’origine du premier mouvement de la poursuite, mais de n’être qu’un suiveur des chiens des autres catégories. Pour être dans le coup et ne pas passer pour un chat, il faut faire comme les autres, et aboyer de concert, même si on n’a rien compris à la situation ; et puis avouons-le, ça fait une petite distraction.

Enfin, troisièmement, nous avons le chien « haineux ». Celui-là, on ne sait pas trop ce qui lui est arrivé dans sa vie, si un cycliste lui a un jour roulé sur la queue, ou si un tandem a renversé sa mère, ou s’il est tout simplement bête et méchant, mais il nous voue sans nous connaître une haine intense et farouche. C’est le pire chien de sa catégorie, surtout quand malheureusement, il se trouve être grand, costaud, rapide, et entouré de copains. C’est le chien qui se lance de loin et en hurlant, tous crocs dehors, à votre poursuite, entrainant parfois dans son sillage les chiens « opportunisto-conformistes » et les chiens « bons gardiens », et qui ne lâchera pas facilement, malgré nos cris, ceux de ses propriétaires, ou encore nos pointes de vitesses. C’est qu’au fond de lui, il aime faire ça, il se laisse griser par sa propre vitesse, sa propre puissance, il se sent un chef de meute, un conquérant, un lévrier.

Cette effort de catégorisation manque sans doute d’exhaustivité ; nous l’étofferons à force d’expérimentation et de recherche empirique…

***

Toujours est-il, que c’est dans ce climat de poursuite et d’aboiements que nous passons notre après-midi. Fatigués de devoir crier, menacer ou s’arrêter brusquement, Victor propose une feinte : comme les chiens ne réagissent pas aux scooters, et que ce qui nous différencie d’eux est le bruit de pétarade qu’ils font, il suffit d’imiter un bruit de pot d’échappement. Nous voilà donc à passer parmi les chiens en leur criant de gros « vroum-vroum » ce qui les laisse relativement surpris, et qui en dissuade certains de nous donner la chasse. Et s’ils avaient un peu d’humour, ça les ferait bien rigoler !

En fin de journée, nous parvenons fatigués dans le village où nous attend une petite guesthouse. Nous sommes bien contents d’arriver car le soir tombe et les chiens sont de plus en plus agressifs, ne se laissant plus avoir à nos imitations de scooters, qui du reste ne nous amusent plus. Les aboiements des chiens se répercutent dans le village et ils s’excitent les uns les autres, si bien que nous sommes soulagés d’arriver à notre hôtel, et nous n’avons pas la force d’en repartir quand on nous annonce le prix. Il faut compter en effet 500 bahts, soit près de 14 euros, ce qui est notre hébergement le plus cher en Asie du Sud-Est jusqu’à présent, surtout au regard de la prestation, un bungalow mignon mais tout de guingois. On doit bien reconnaître cependant que le coin est charmant, très tranquille et avec une vue magnifique sur le Mékong.

Jour 194, jeudi 24 janvier, 94km, 368m de dénivelé : nouvelle journée de chaleur, bivouac tranquille près du Mékong

Aujourd’hui, malgré un réveil matinal, plusieurs bonnes raisons se conjuguent pour nous inciter à nous attarder un peu sur notre terrasse pour profiter du panorama en déjeunant. Tout d’abord nous savons que les chiens sont plus agressifs de bon matin, et puis nous craignons moins la chaleur de la journée ; nous pensons que, comme la nuit a été fraîche, il devrait faire une température convenable pour rouler. Il est vrai que la veille, la température maximum s’était limitée à une trentaine de degrés, mais pour aujourd’hui nous avons tort, il fera encore 35 degrés à l’ombre.

Nous enfourchons les vélos à 9h30, et à 9h35 nous nous faisons agresser par notre premier chien de la journée. Il est en laisse pourtant, mais celle-ci n’étant accrochée à rien, son efficacité est limitée. Cette fois-ci, c’en est trop, fini d’être conciliants, il est temps de contre-attaquer ! Nous nous arrêtons donc pour ramasser quelques gros cailloux, et si l’on entend un aboiement plus haut que l’autre, ce sera l’intifada, ras-le-bol à la fin de se faire courser toute la journée.

Ainsi armés (sans la certitude cependant de pouvoir bien tirer tout en pédalant) nous reprenons notre chemin, une agréable route bétonnée et presque déserte qui longe le Mékong au plus près. C’est si sympathique que nous la quittons à regret quand elle se termine, pour continuer à progresser un peu plus dans les terres. Nous pédalons en bavardant beaucoup, grâce à la faible circulation, ce qui fait passer le temps plus vite, surtout quand nous arrivons sur de plus grands axes un peu monotones. Au bord d’un de ceux-ci, nous voyons une forme quadrupède se découper dans la chaleur. Encore un chien ? Ah non, c’est un singe, un petit macaque, qui semble un peu perdu et longe le goudron.  Un peu plus loin, un autre élément sur le bord de la route attire notre attention : c’est un panneau de signalisation pour les vélos, là, tout seul, au milieu de nulle part.

Attention, traversée de vélocipèdes sauvages !

Comme nous avons beaucoup de kilomètres à faire dans cette journée, nous roulons jusqu’à 13h, afin de mettre au moins 50km derrière nous avant le déjeuner. Mais après 13h, il devient impératif de s’arrêter pour trouver un peu d’ombre, sinon, c’est l’insolation assurée, tant le soleil cogne dur. Victor d’ailleurs, commençait à se sentir mal, dans la chaleur du soleil répercutée sur le goudron, et nous sommes contents de trouver un peu d’ombre dans une rizière asséchée. A 14h30 même s’il fait encore bien trop chaud pour rouler agréablement, nous devons repartir, si nous voulons boucler notre étape avant la nuit, et celle-ci tombe vite.

Nous continuons à suivre de larges axes, qui sont sans danger pour les vélos grâce à leur bas-côté, puis nous revenons près du Mékong et retrouvons de petites rues où même les chiens semblent pépères. Ça n’est pas aujourd’hui que nous épuiserons nos munitions de cailloux. Nous nous détendons donc et trouvons particulièrement agréable de pédaler sans être poursuivis de la constante menace de se faire happer les mollets.

Après 90km, nous avons atteint un environnement moins construit, plus rural, et observons en passant dans un village une grande compétition de volley-ball. Nos recherches d’un coin pour bivouaquer s’avèrent longues, et nous regrettons de n’avoir pas demandé aux volleyeurs un coin pour planter la tente. Nous finissons cependant par trouver l’endroit parfait : c’est un champ arboré assez profond pour qu’il ne soit visible de la route (la route étant elle-même un petit chemin de pierres en cul de sac) et doté d’une belle vue sur le Mékong en contrebas, et, derrière lui, sur le Laos.

Après une douche à la gourde et une petite soupe, nous nous couchons et nous laissons bercer par les chants de moines, probablement occupés à célébrer une messe de l’autre côté du Mékong.

Jour 195, vendredi 25 janvier, 104km, 773m de dénivelé : Du Mékong au Mékong, promenade sous la chaleur

Nous nous réveillons avec un beau lever de soleil sur le Mékong, puis déjeunons et plions la tente. Il est tôt et pourtant nous avons le temps de voir passer successivement deux vieux à scooters, qui se garent non loin de nous puis empruntent un sentier pour descendre vers le Mékong. S’ils sont surpris de nous voir là, ils ne le montrent pas et nous saluent en souriant. Le premier d’entre eux nous fait même un peu la causette, et c’est bien dommage qu’on ne puisse comprendre ce qu’il dit, car il a l’air très sympathique.

Nous repartons ensuite sur nos petits chemins caillouteux avant de retrouver un grand axe, une de ces longues pistes goudronnées presque désertes, avec un bas-côté assez vaste pour y pédaler à deux de front en toute sécurité. Par contre, elle a le gros défaut de nous proposer de sérieuses montées, qui se révèlent toujours épuisantes sous la chaleur accablante de l’Isan. Sur l’heure du midi, nous ressentons le besoin de nous arrêter et de nous abriter, mais il nous faut continuer encore un peu car les environs sont si déserts que nous n’avons pas encore trouvé de ravitaillement !

Alors que nous commençons à désespérer, nous trouvons enfin une petite gargote. Nous voudrions acheter des concombres à la cuisinière pour composer notre pique-nique, mais elle ne comprend pas ce que nous lui demandons, et propose plutôt de nous les faire cuire avec du riz, ce qui nous semble finalement une bien meilleure idée. Comme elle est un des seuls restaurants des environs, elle fait beaucoup de plats à emporter, et nous voilà avec une petite barquette en polystyrène de riz au concombre poêlé et à l’œuf. Plus loin, nous trouvons un nouveau restaurant auprès duquel nous commandons un autre plat de riz, cette fois-ci à la viande et au piment, à emporter, ainsi qu’une vendeuse de pastèques. Tout cela est bien moins zéro déchet que nos habituelles salades tomates et concombre, mais ça nous change de l’ordinaire. Nous nous promettons pour la prochaine fois d’avoir un de nos Tupperware à portée de main, et de parvenir à faire comprendre que nous désirons que le plat y soit directement versé.

Nous avons donc le premier élément nécessaire au pique-nique : la nourriture. Maintenant, il faut trouver le second, pas toujours si évident : un coin tranquille et ombragé. Nous finissons par jeter notre dévolu sur un coin tout sec et faiblement abrité sous d’un gros arbre au feuillage sec et éparse, mais qui fera bien l’affaire. Il était temps car mon compteur affiche 42 degrés et je commençais à avoir des difficultés à faire une phrase complète, signe que le soleil et les montées m’avaient mise dans un état second. C’est mon tour de subir les dégâts de la chaleur, alors que la veille, c’était Victor ; curieusement, nous ne sommes jamais malades ou affaiblis en même temps, sensibles sans doute différemment à notre environnement et à ce que nous ingérons. C’est plutôt une bonne chose car cela signifie qu’il y a toujours quelqu’un pour prendre les devants et s’occuper de celui qui ne va pas bien.

Après une pause trop courte, nous repartons, car il nous reste 50km à faire pour boucler notre étape du soir, une arrivée dans la ville de Khong Chiam. Cela paraît bien loin alors qu’il fait encore très chaud, mais nous nous motivons à l’idée d’atteindre une guesthouse et de profiter d’une bonne douche fraîche. L’étape, toute en montagnes russes et pauvre en ombre, dans ce qui ressemble beaucoup à un décor de savane africaine, est bien longue. Heureusement, nous trouvons à nous occuper en causant, Victor se mettant à me narrer par le menu ses aventures de lycéen chaumontais puis d’étudiant dijonnais trois heures durant. Quand nous arrivons enfin, le soir tombé, à Khong Chiam, nous sommes presque un peu frustrés car nous n’avons pas tout à fait terminé notre discussion. Nous découvrons de nuit la promenade de Khong Chiam, où on vient observer la réunion de deux rivières aux couleurs différentes (sur un point de vue qu’on appelle le Two Colors River) et découvrons une petite ville, touristique mais absolument déserte. Dans ces cas-là il nous est facile de trouver un hébergement à la fois sympathique et pas cher, puis un restaurant flottant.

Le Mékong, fleuve de plus en plus large au fur et à mesure que nous allons vers le Sud

Dans ce fameux restaurant, assez tristement vide, nous découvrons une manie thaïlandaise du service, que nous retrouverons plusieurs fois. Quand le serveur, ou plutôt dans ce cas-là, la serveuse vous installe, elle reste ensuite à côté de vous jusqu’à ce que vous lui ayez dit la commande ! Pour nous qui sommes lents à décrypter le menu et à nous décider, c’est un peu gênant. Dans ce restaurant un peu guindé, la toute jeune serveuse passe aussi toutes les minutes vérifier si le niveau de nos verres de bières descend, et si c’est le cas, elle se saisit de la bouteille de 66cl que nous avons commandée, et ajuste le niveau dans les verres, qui sont d’ailleurs toujours remplis à ras bord de glaçons (mais ça on aime bien, puisque ça donne l’impression d’avoir plus de boisson). Un peu gênés par ce service très poli mais un peu intrusif, et nous sentant capables de nous servir nous même un verre sans avoir à mobiliser quelqu’un, nous finissons d’ailleurs par récupérer la bouteille !

Jour 196, samedi 26 janvier, 72km et 343m de dénivelé : De Khong Chiam au Laos, retour en territoire connu

Aujourd’hui, c’est notre dernier jour de vélo avant notre pause à Paksé, au Laos. Et c’est tant mieux car à force d’enchaîner les longues étapes sous le soleil, nous sommes tout fatigués et desséchés, la peau tannée et les lèvres craquelées.

Même de jour ça n’est pas si flagrant, cette histoire des deux couleurs qui se rejoignent au niveau de Khong Chiam

Après 25km sur une large route goudronnée et vallonnée, nous arrivons au poste frontière. Nous y découvrons que sortir de la Thaïlande, c’est aussi simple que d’y rentrer. Après avoir fait le plein de provisions au petit marché qui jouxte le poste frontière, nous passons devant un guichet, montrons nos passeports et c’est fini : « au revoir et à la prochaine fois ».

Au revoir routes bien goudronnées de la Thaïlande, vous nous manquerez
Le poste de contrôle côté Thaïlande, au revoir et à bientôt!

Côté Laos, ça n’est pas beaucoup plus compliqué, et vraiment pas stressant, même s’il y a un peu plus de monde que la première fois où nous sommes entrés dans le pays, à Na Méo près du Vietnam. Il y a devant nous des touristes occidentaux qui font la queue, ce qui nous surprend car nous n’en avons pas vu un seul depuis une semaine ! Mais où étaient-ils donc ? Nous remplissons un petit formulaire, nous donnons une photo, puis on nous demande 30 euros chacun. Tiens, tiens, 30 euros ? C’est étrange ça, pour notre premier visa, nous avions dû payer plus… Doit-on supposer que nous avons été victimes d’un petit peu de corruption à Na Méo ? Non mais oh, c’est fou ça !

Nous sommes accueillis au Laos par les buffles, ces fiers animaux aux oreilles de taille normale, tartinés de leur crème solaire en boue

Bref, les procédures sont efficaces et rapides, et, en une demi-heure nous avons nos visas, et traversons le No Man’s Land entre les deux pays, afin de passer la frontière laotienne. Nous nous déportons prudemment du côté gauche au côté droit de la chaussée, puisqu’au Laos, on roule à nouveau du bon côté de la route, et cherchons le poste de contrôle laotien et la barrière annonçant la frontière… Mais il n’y en a pas, nous nous retrouvons directement au Laos, à rouler vers la ville de Paksé. Il faut donc savoir qu’on peut se retrouver, si l’on est pas bien attentif, au milieu du Laos et sans visa, car personne ne vous demande ni ne contrôle quoi que ce soit (mais on ne le conseille pas, car ça doit causer des problèmes pour sortir du pays).

Contrairement à nos craintes, la route laotienne, même si elle est moins belle que la route thaïlandaise et qu’elle n’a pas de grand bas-côté, est tout à fait correcte, sèche et plate, mais décorée de montagnes en arrière-plan. Nous roulons donc tout droit sous le soleil, avec, malheureusement, un vent fort qui se met à souffler contre nous. L’étape est donc un peu dure, surtout car nous sommes déjà fatigués des jours précédents et de la continuelle sécheresse. Nous longeons de plus une agglomération villageoise continue, qui nous permet de retrouver les « sabaïdi » laotiens mais laisse peu de place pour faire des pauses ou pique-niquer dans un endroit tranquille.

En fin de journée, un léger voile nuageux s’installe dans le ciel et vient nous protéger un peu du soleil, tandis que nous traversons une nouvelle fois le Mékong, sur le seul pont du Sud Laos, construit par les japonais dans les années 1970. Et ce pont, là où le Mékong commence à bien faire ses 1km de largeur, nous paraît interminable ! Nous arrivons ensuite dans la grande ville de Paksé, où nous jetons notre dévolu sur la première guesthouse validée par le Guide du Routard que nous trouvons (et qui ne vend pas vraiment du rêve, mais c’est un détail). Nous découvrons ensuite une ville pas très belle mais assez touristique, puisque carrefour entre le Laos, le Cambodge et la Thaïlande, et point de départ d’excursions vers le plateau des Bolavens (où l’on produit, dit-on, de l’excellent café). Nous trouvons facilement un restaurant qui nous permet de renouer avec les plaisirs de la gastronomie laotienne après une semaine d’Isan et avec la bonne – et très abordable – Beerlao (LA bière du Laos, si peu chère en comparaison des bières de Thaïlande). Ah le Laos, c’est que tu nous avais un peu manqué !

Nous en avons enfin fini avec la sécheresse de l’Isan et les longues étapes à vélo. Dans les jours qui suivront nous profiterons un peu des attractions de la ville de Paksé, avant de reprendre la route vers les 4000 îles, près de la frontière cambodgienne.

Une réflexion au sujet de « Jours 192 à 196 : La traversée de l’Isan, balade au fil du Mékong à travers les plantations d’hévéas et les rizières »

  1. Avec tous les commentaires de ce périple nous avons l’impression de transpirer autant que vous sous cette canicule. Merci
    Le paysage n’est-il pas trop monotone à la longue ?

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