Après une traversée en terre thaïlandaise desséchée, nous revoilà au Laos. Le rythme s’annonce moins soutenu : après une petite pause dans la ville de Paksé, nous prenons le chemin des 4000 îles, un ensemble d’îles flottant tranquillement sur le Mékong, à l’extrême Sud du Laos (voir sur notre carte). C’est de là que nous franchirons une nouvelle frontière afin de nous en aller découvrir le Cambodge.
Jours 197 et 198, 27 et 28 janvier : Petite pause à Paksé, ou l’abandon des vélos au profit d’un scooter pour découvrir le plateau des Bolavens
Pour nos deux premiers jours au Laos, nous prenons le temps de nous reposer et de recharger nos batteries, après une traversée de l’Isan (Nord Est de la Thaïlande) assez intense et pour le moins ensoleillée.
Paksé n’est pas une ville très jolie (surtout quand on la visite après la magnifique Luang Prabang), elle manque un peu d’animation et n’a pas un intérêt phénoménal, à une exception près : son marché. Elle dispose en effet d’un immense marché couvert qui regorge d’étals de fruits, de légumes, de viande, de poissons frais, de poissons séchés, de condiments, etc. Il est aussi très animé, et c’est très intéressant de s’y promener, à condition d’éviter l’endroit où l’on fait macérer dans des cuves une espèce de magma de bouts de poissons pourris dont l’odeur donnerait envie de vomir aux estomacs les mieux constitués et aux narines les moins sensibles.
Nous préférons, et de loin, le côté restauration du marché, avec ses longues tables où l’on déguste de généreux plats de riz ou de pâtes aux légumes pour trois fois rien, et où l’on peut faire le plein de plats cuisinés, de gâteaux ou de gaufres pour les petits creux de la journée. Mais rendons à César ce qui est à César, si nous avons tout compris, ces délicieux plats sont plutôt le fait de cuisiniers vietnamiens que laotiens.
Pour notre deuxième jour à Paksé, nous nous motivons pour faire une sortie touristique, afin de profiter de la proximité de la ville avec le plateau des Bolavens, où l’on produit un café très réputé et où se trouvent moult cascades. Mais vu la distance et le dénivelé (et aussi parce qu’on a un peu la flemme, reconnaissons-le) nous abandonnons nos montures à pédales pour un sympathique scooter, fourni avec deux casques que Victor pioche au hasard dans un carton. Et nous voilà partis à l’assaut du plateau des Bolavens !
A l’occasion d’une première pause près d’une cascade, j’enlève mon casque, y jette un œil et, ô surprise, y découvre un autocollant du CRIL (la Communauté Révolutionnaire Indépendantiste Limousine) : mais le monde est petit dites donc !
Bref, après ce petit rappel nostalgique de mes racines limousines, nous voilà partis à la découverte de la plus haute cascade du Laos, celle de Tad Fane.
Et comme on ne peut rien faire comme tout le monde et se contenter de la vue depuis l’observatoire (au demeurant envahi de touristes), Victor nous lance dans une randonnée épique, car pas du tout balisée, jusqu’en haut des cascades. Après s’être un peu perdus, nous voilà au bord d’une rivière, en amont des cascades, où nous faisons un petit pique-nique avec nos sympathiques achats du marché de Paksé.
Et puis nous revoilà partis à grimper toujours plus haut pour rejoindre par la voie de la jungle une nouvelle cascade, mais, face à la difficulté de l’ascension, nous renonçons. Il faut préciser que la pente empruntée est si accentuée que l’on ne peut progresser qu’en se projetant d’arbre en arbre, en s’y accrochant et en s’y tractant à la force des bras. Je dois avouer que c’est moi qui en ait le plus rapidement assez de cette drôle de grimpette, et puis j’ai aussi peur qu’en empruntant un chemin non balisé nous finissions par marcher sur une mine, dans un pays sur lequel il a plu des tonnes de bombes pendant la guerre du Vietnam. Et cette crainte n’est pas si irrationnelle : quand nous étions plus au Nord à Nong Khiaw nous en avons entendu une exploser (activée par l’association de déminage chargée de nettoyer le Laos) et ça fait un bruit de tonnerre qui ne donne pas envie de se trouver à côté.
En redescendant un peu, c’est le drame. Pas une bombe oubliée de la guerre des américains (c’est comme ça qu’on l’appelle ici), non, mais presque pire : nous nous apercevons que nous avons perdu la tête de Cricri, le Saint Patron des Cyclotouristes ! Et nous réalisons, à présent qu’il est trop tard, que nous ne vous avions jamais présenté notre mascotte Cricri… Alors le voilà :
Cricri est né en Chine, à Pékin, quand j’ai eu « l’excellente » idée de vouloir créer une poupée à l’effigie de mon père, auprès d’un stand spécialisé dans la fabrication de petites têtes de personnes en pâte fimo, sur la base de photographies. Sur le coup, l’idée m’a paru absolument géniale : offrir à mon père pour ses soixante ans une petite figurine à son effigie, qui trônerait fièrement sur son bureau et impressionnerait ses collègues.
Nonobstant quand, le soir, nous avons pu déballer la statuette pour en admirer le résultat, nous avons eu un des plus longs et intenses fou-rire de notre existence. Jusqu’ici, nous pensions qu’« écroulé de rire » n’était qu’un expression… La statuette se révélait à la fois peu ressemblante et plutôt flippante, avec un regrettable côté poupée vaudou, et ce n’est qu’à ce moment-là que j’ai réalisé qu’avoir une figurine à sa propre effigie n’était peut-être pas le fantasme de tout le monde. Moi qui m’apprêtait à en faire une avec la tête de tous les gens que je connaissais pour leur anniversaire (voire à exporter le concept), vous ne savez pas à quoi vous avez échappé !
N’osant évidemment pas montrer cette version effrayante et vieillie d’un lui-même déformé à mon pauvre et innocent père, Christian, nous décidâmes de garder la statuette. Elle deviendrait Saint-Cricri, le Saint Patron des Cyclotouristes (après tout, les voyageurs ont bien leur Saint-Christophe) et nous accompagnerait désormais dans notre voyage, comme une tête de proue sur nos fringants vélos.
Mais voilà, Cricri supportant assez mal le voyage, il commençait à perdre la tête, et la randonnée dans la jungle de Bolavens lui fut fatale : malgré toutes nos recherches, ne subsistait de lui que son buste, quand sa tête était irrémédiablement perdue…
Après cette terrible perte, c’est le moral en berne que nous visitons une seconde cascade, Tad Yuang, qui ne nous séduit pas. Le coin est très touristique et les alentours de la cascade un peu trop aménagés. Dans l’ensemble, nous ne sommes que moyennement convaincus par cette sortie vers le plateau des Bolavens. C’est sans doute un peu plus attrayant pour les gens qui voyagent en sac à dos et bus, car cela leur permet de voir un peu de pays par leurs propres moyens, mais pour nous qui sommes à vélo au Laos depuis plus d’un mois, il y a dans l’ensemble moins d’intérêt (ou alors il faut aller bien plus loin que nous ne l’avons fait).
Et puis, peut-être trop habitués au vélo, nous trouvons rapidement le scooter à la fois trop rapide – on n’a pas le temps d’observer le paysage – et bien trop bruyant ; sans compter qu’il fait bien plus mal au fessier que la selle de nos vélos !
Pour conclure ce procès à charge contre le scooter, on peut enfin dire que c’est une monture plus imprévisible que le vélo : sur le chemin du retour, à 9 kilomètres de Paksé, voilà que notre roue arrière choisit de crever et se vider de son air en un temps record. Cet évènement alimente notre réquisitoire anti-scooter : « ça, ça ne serait pas arrivé avec nos vélo et leurs pneus increvables! » Mais, au fond de nous-mêmes, nous ne pouvons nous empêcher de nous interroger : serait-ce arrivé si nous n’avions pas perdu notre Saint-Cricri?
Heureusement, comme souvent dans ces cas-là, un petit problème se transforme en quelque chose de positif, ici une sympathique et agréable rencontre. C’est tout d’abord un gentil monsieur qui, nous voyant bien embêtés au bord de la route, fait demi-tour pour nous indiquer un garage, heureusement situé à 50 mètres à peine. C’est ensuite un jeune garagiste qui nous prend en charge et répare la chambre à air pour la modique somme de 10 000 kips (un euro) et c’est surtout sa famille, avec laquelle nous faisons connaissance. L’un d’entre eux parle même quelques mots de français, et nous comprenons au bout d’un moment qu’il nous dit « comment t’appelles-tu ? » depuis le début. Les présentations faîtes, il nous invite à goûter la production familiale du lao-lao (l’alcool de riz laotien), ainsi que de la couenne de porc ou de buffle qui cuit dans un petit feu. L’un et l’autre sont coriaces ; le premier, excessivement fort, agit comme du Destop dans nos canalisations internes tandis que le second nous colle au dent et résiste à toute ingestion.
Après cette halte sympathique et rigolote, nous repartons avec un pneu arrière qui a fait peau-neuve et un degré d’alcoolémie sans doute un peu au-dessus de la moyenne tolérée en France. Nous n’avons bu qu’un ou deux verres, mais le lao-lao de derrière les fagots, ça arrache !
Nous concluons donc tout à fait agréablement une journée pourtant marquée par la cruelle et terrible perte de notre mascotte, et nous nous sentons parés à repartir toujours plus au Sud, en direction du Cambodge.
Jour 199, mardi 29 janvier, 45km et 78m de dénivelé : sur la route des ruines de Wat Phu
Mardi 29 janvier, nous reprenons notre route vers le Sud du Laos et les 4000 îles. Nous ne pouvons évidemment pas partir sans passer au marché de Paksé pour y remplir nos sacoches à ras-bord de ses denrées si alléchantes : madeleines à la noix de coco, gaufres à la banane, saucisses vietnamiennes, rouleaux de printemps, Parmentier de coco et toute la farandole de fruits exotiques qui colore nos salades de fruits matinales depuis désormais plusieurs mois (banane, mangue, ananas, fruit de la passion notamment). Le matin les gens sont un peu étranges, comme notre voisin qui propose à Victor de picoler du lao-lao rose vif pour le petit-déjeuner, ou comme ce vieillard aux yeux blancs qui veut nous vendre des machettes en disant « coupe-coupe ! »
Plus lourds de quelques kilogrammes, mais tout réjouis à l’idée des bons repas à venir, nous prenons la route du Wat Phu, le plus grand site archéologique du Laos, un ensemble de ruines de temples datant de l’époque khmer, qui sera notre première étape de cette reprise vélo au Laos. Celle-ci s’avère simple et courte, mais cela ne nous empêche pas de nous égarer en sortant de Paksé, et de devoir couper à travers des rizières toutes sèches, sous l’œil relativement surpris d’un troupeau de buffles.
Après une quarantaine de kilomètres, nous passons par Champassak, un joli bourg coloré posé le long du Mékong et dont le nom pourrait nous faire penser à un petit village du Sud-Ouest (on parie combien qu’il y a un Champassac dans le Lot ?)
Même si Champassak a l’air très agréable et qu’il est une base pratique pour découvrir le site archéologique du Wat Phu, nous le dépassons pour nous rapprocher au maximum des ruines, histoire d’éviter de faire des détours et des kilomètres en plus sous une chaleur de plomb. Arrivés presque devant le site, nous trouvons une petit guesthouse pas chère devant laquelle s’est installée ce qui semble être une fête foraine miniature. Super, nous disons-nous, une nouvelle ambiance à découvrir !
Après une courte pause déjeuner et récupération, nous nous lançons à la découverte du site archéologique du Wat Phu, le plus grand du Laos, témoignage du passé khmer et… Oh bah, heu…Ben… Disons qu’il n’y a en fait pas grand-chose à apprendre et pas grand-chose à voir, en dehors de très jolis frangipaniers, et de quelques grosses pierres sculptées.
Le petit musée que l’on peut visiter en arrivant comporte peu d’explications en anglais, ou en tout cas nous n’avons pas trouvé les bons panneaux, et le site en lui-même, sans être désagréable, n’est pas particulièrement impressionnant ou intéressant (la faute, encore une fois, à la quasi absence de panneaux informatifs). Nous sommes donc un peu déçus par la visite, qui doit se faire, de plus, en plein soleil, et ne la conseillons pas à ceux qui seraient déjà passés par le Cambodge et les temples d’Angkor ; ça n’a absolument rien à voir !
Le soir nous passons par la petite « fête foraine » qui s’est installée devant notre guesthouse mais sommes un peu déçus par le quasi-monopole des stands de vêtements. A part pour y écouter de la musique techno crachée par de gros amplis, ou pour y manger des nouilles et des brochettes, il n’y a pas grand-chose à y faire. Après avoir grignoté, nous rentrons donc sagement nous coucher, en prévision d’une longue journée pour le lendemain.
Jour 200, mercredi 30 janvier, 68km et 46m de dénivelé : 200ème jour et 6000ème kilomètre sur les pistes laotiennes
Aujourd’hui est une journée particulière : non seulement c’est notre 200ème jour de voyage, mais c’est aussi le jour où nous pédalons notre 6000ème kilomètre. Comme souvent dans ce cas là, nous nous creusons un peu le ciboulot pour marquer l’évènement, mais parfois, il faut bien l’avouer, nous manquons un peu d’imagination…
Après avoir perdu pas mal de temps à faire les idiots au bord de la route, nous nous arrêtons à nouveau, mais c’est pour une bonne raison : nous venons de voir d’autres cyclotouristes ! Nous en sommes tout réjouis car cela fait un bon moment que nous n’en avions pas vus, et en plus ils sont français, ce qui est quand même pratique pour discuter. Emilie et Alexis, qui voyagent en tandem « assis-couché », sont partis de Lille et ont parcouru un peu le même chemin que nous : Europe du Nord, Russie, Mongolie, Chine… Cependant, arrivés en Asie du Sud-Est, ils ont pris un autre itinéraire et remontent du Cambodge pour aller vers le Nord Laos. Chose amusante, en dehors de leur tandem original (mais à les en croire, assez fragile), ils trimballaient aussi dans une remorque 20 kilos de lunettes, qu’ils ont amenées à une association au Cambodge. Comme d’habitude quand on croise des cyclovoyageurs, nous passons un petit moment à discuter du voyage, on partage les anecdotes amusantes et les galères, on échange les bons plans, on se conseille sur l’itinéraire et on donne des nouvelles des autres si on en a.
Une heure plus tard, nous repartons donc, en en sachant un peu plus sur ce qui nous attend sur la route : à priori, beaucoup de piste et de poussière, mais un vent dans le dos ! N’allons pas plus loin car, en passant devant une maison, je pile tout à coup sous le coup de la surprise, et appelle Victor à grands cris. C’est que je viens de voir une chose bien étrange, garée innocemment sous un porche : un vélo en libre-service de Strasbourg, le Vel’hop !
Entre cette mystérieuse apparition d’un vélo alsacien sur notre chemin, et l’autocollant du CRIL limougeaud retrouvé sur un de nos casques à Paksé, on finit par se dire que le hasard veut nous envoyer un message… Celui de rentrer ? Pas question !
Nous multiplions les conjectures pour imaginer comment cette brave mais lourde monture urbaine alsacienne a pu se retrouver là… Un courageux cycliste aurait-il ramené un vél’hop en souvenir de son passage dans le Bas-Rhin, parcourant au bas mot 10 000 km avec un vélo sans plateaux ? Ou existe-il un réseau de grand banditisme faisant du recel et de la revente de Vel’hop entre la France et l’Asie ? Ou encore les Vel’hop seraient-ils en fait fabriqués au Laos et envoyés user les pistes cyclables alsaciennes par avion ?
La vérité, nous l’apprendrons un peu plus tard, est moins palpitante mais tout aussi surprenante : de vieux Vel’hop sont récupérés par une association strasbourgeoise qui les retape, les entasse dans des conteneurs et les envoie ensuite là où elle s’est aperçue que des enfants manquent de moyens de locomotion pour aller à l’école.
Nous reprenons notre route vers les 4000 îles et, pour cela, nous abandonnons la confortable route goudronnée pour des petites pistes de terre et de poussière toutes bosselées. Les cyclos lillois nous l’avaient bien dit : il faut prévoir un net déclin de la moyenne de vitesse. C’est donc sans surprise mais avec une désagréable sensation de perte d’équilibre que nous pédalons nos premiers kilomètres sur des pistes déformées à la terre si dure qu’elles nous font régulièrement perdre l’équilibre, et nous épuisent les bras.
Le chemin cependant, est très agréable, car il s’est un peu ombragé et passe par de jolis villages construits le long du Mékong. Les gens y sont accueillants et les enfants très excités de nous voir. Dès qu’ils nous aperçoivent, ils lancent de grands « sabaïdis » et nous font de longs coucous de la main, quand ils ne se précipitent pas sur la route pour nous taper dans la paume. Quand nous tressautons de partout sur la route inégale, il est parfois difficile de répondre à leurs « coucous » sans risquer de finir le nez dans la poussière, mais nous nous sentons aussi encouragés par ces tout jeunes fans !
Pour notre pause du midi, nous avons des difficultés à trouver un endroit calme et isolé car, comme souvent au bord du Mékong, tout est très construit. Il n’y a pas de village à proprement parler, mais une agglomération continue tout le long du fleuve. Quand nous finissons par trouver quelques mètres non construits et un peu tranquilles, nous décidons de nous installer pour pique-niquer et souffler un peu. C’est très sympa de passer dans les villages, mais à la longue, c’est un peu fatiguant d’être interpellé toutes les deux minutes. Ici, pas d’enfants qui crient, saluent ou rigolent, par contre, il y a une fille, une douzaine d’années peut-être qui vient et se met à nous fixer silencieusement, le visage fermé. Malgré nos tentatives de communication, nous n’arrivons à lui arracher ni un mot ni un sourire, et c’est sous son regard un peu pesant que nous finissons par nous installer, déjeuner, et même siester un peu. Elle, elle reste debout un long moment à nous regarder, puis s’assoit contre un arbre et continue sa silencieuse observation, jusqu’à ce que nous partions ; nous nous demandons encore aujourd’hui si elle était venue nous surveiller ou veiller sur nous, mais ce fut un peu étrange.
Un petit peu plus loin, nous arrivons à un premier embarcadère, qui doit nous permettre de franchir un petit bras du Mékong, et un batelier arrive bien vite avec son frêle esquif pour nous faire traverser.
Il ne rame pas mais fait glisser le bateau le long d’une corde, à la force des bras. Nous continuons ensuite notre route toujours le long du Mékong, toujours sous les « sabaïdi » qui fusent depuis les maisons, et toujours dans la poussière. Nous nous demandons encore une fois quelles sont les horaires de l’école pour les enfants, puisque nous en voyons toute la journée le long de la route, puis constatons, en passant devant une cour de récré, qu’ils sont aussi nombreux à l’intérieur qu’à l’extérieur des établissements scolaires.
Quand nous passons devant l’école d’ailleurs, toute une équipe de jeunes garçons et filles se rue vers nous pour nous taper dans les mains, ce que nous faisons avec un grand sourire, et la sensation d’être des coureurs cyclistes parvenus en haut du col du Tourmalet et traversant une haie d’honneur. Nous arrivons ensuite dans un bourg un peu plus grand que les autres qui dispose d’une guesthouse où nous passerons la nuit. Nous n’y sommes pas seuls très longtemps et, alors que nous déchargeons nos vélos, nous voyons arriver deux cyclotouristes. Anthony et Joséphine sont français, ils se baladent en Océanie et en Asie du Sud-Est depuis plus de six mois et remontent actuellement du Cambodge pour gagner le Nord Laos. Nous passerons avec eux une sympathique soirée, dans un village autrement excessivement calme, et qui nous paraît même désert à peine la nuit tombée.
Jour 201, jeudi 31 janvier, 62km et 45m de dénivelé : balade sur les pistes jusqu’aux 4000 îles
Ce matin, nous déjeunons entre cyclotouristes devant notre guesthouse. Nous nous sentons quelques affinités avec Anthony et Joséphine, rencontrés la veille : ni eux ni nous ne sommes des lève-tôt, et nous partirons tous ensemble vers 9h30, chacun dans des directions opposées.
Par contre, niveau nourriture, nous sommes bien plus équipés : pour le repas de la veille comme pour le petit-déjeuner, nous avons déballé moult denrées et fait longuement la cuisine (petite poilée de haricots du jardin aux oignons et tomates, s’il vous plait !), quand nos compagnons d’une soirée se contentaient de nouilles chinoises, de thé et de quelques fruits. Nous réalisons alors que la nourriture occupe chez nous presque deux sacoches entières, ce qui fait dire à Victor que nous sommes un peu les « Caradoc et Perceval » du voyage à vélo.
Après le petit-déjeuner, chacun reprend sa route, eux vers le Nord, nous vers le Sud, et, de notre côté, nous nous rapprochons toujours plus du Cambodge. Nous prenons une embarcation pour traverser un bras du Mékong, et nous voilà sur la plus grosse île des 4000 îles, Don Khong. Il nous faudra la traverser puis traverser Don Som, une autre île majeure, pour atteindre Don Khon, où nous comptons nous arrêter quelques jours pour profiter du coin.
Cette première île, assez sèche, dispose d’une route un peu goudronnée, si l’on exclut les nids de poule, que l’on devrait d’ailleurs à ce stade appeler des nids d’autruche obèse. Il nous faut constamment négocier nos trajectoires et serpenter entre les trous de la route, le nez sur le goudron, sous peine d’être bien secoués. Cette vigilance constante associée à un fort vent de face rend notre progression lente et malaisée. Et nous sommes désagréablement surpris par le sens du vent : les deux couples de cyclos rencontrés s’étant plaint d’avoir le vent de face, nous nous disions donc qu’en venant dans l’autre sens, nous aurions logiquement pour notre part le vent de dos… Mais que nenni, le vent laotien semble être toujours contre les cyclistes!
Après avoir quand même réussi à traverser Don Khong, nous prenons un second bateau, qui nous amène sur une nouvelle île, Don Som, adieu le goudron, et c’est reparti pour la progression sur une piste bien cabossée. Nous traversons de petits villages très tranquilles, entourés de belles rizières vertes fraichement replantées.
Revers de la médaille : la route est régulièrement barrée pour éviter que les buffles ne viennent boulotter les jeunes pousses. Il nous faut donc nous arrêter régulièrement, démonter la barrière de bambou, passer les vélos, remonter la barrière en bambou, taper dans les mains des gosses venus observer l’opération, et remonter sur nos vélos. Quand ça n’est pas le vent, ce sont les obstacles de la route qui se conjuguent pour nous ralentir et nous fatiguer.
La route de l’île se resserre de plus en plus, jusqu’à n’être plus qu’un petit chemin entre les rizières, où l’on ne peut que circuler à la queue-leu-leu. Je commence un peu à m’en inquiéter : la possibilité d’un embarcadère me semble s’éloigner de plus en plus, ne serions-nous pas en train de nous acheminer vers un cul-de-sac ? Et pourtant non, au bout du petit chemin nous nous retrouvons dans un village – où les gosses sont particulièrement déchaînés, l’un d’entre eux tentant même d’immobiliser Victor pour avoir des bonbons -, et au bout du village, voilà l’embarcadère.
Enfin, ça n’est pas vraiment un embarcadère, disons qu’on peut descendre au bord de l’eau, et amarrer un bateau, mais de bateau il n’y a point. Il y a bien une planche avec un numéro de téléphone qui doit servir à appeler le batelier, mais nous n’avons pas de téléphone local, et de toutes façons, nous ne parlons pas la langue. Nous observons avec un peu de désespoir l’île que nous cherchions à atteindre de l’autre côté du Mékong, si proche, si tentante, avec son petit port et ses cafés que l’on distingue très bien. Nous y étions presque !
Heureusement, au bout d’un moment, un type sur son bateau finit par nous apercevoir, et arrive à notre hauteur. Ça n’a pas l’air d’être « le » batelier officiel, si tant est qu’il y en ait un, mais c’est un batelier qui fait des tours en bateau pour les touristes, et qui nous propose donc de faire la traversée. Il demande un peu plus que ce que nous payons d’habitude, mais nous ne sommes vraiment pas en position de négocier, puisque nous n’avons pas vraiment envie qu’il nous plante là, les pieds dans l’eau, condamnés à faire demi-tour ou à transformer nos vélos en pédalos.
Nous embarquons donc nos vélos dans sa jonque, et là, celui de Victor décide d’aller faire trempette, basculant violemment sur le côté. Nous le rattrapons in extremis avant qu’il ne fasse le grand saut, mais malheureusement, son rétroviseur (tout neuf) se casse sous le choc, et tombe à l’eau.Nous semblons affectés par la loi des doubles : quand nous cassons ou perdons quelque chose, cela arrive souvent deux fois : nous avons perdu deux fois les savons et boîtes à savon, deux fois le sac de linge sale, j’ai perdu coup sur coup deux culottes et nous avons cassé deux fois la même béquille. Sans compter que désormais, nous n’avons plus Saint-Crici pour nous protéger !
Bref, le batelier, après avoir repêché le rétroviseur de Victor, nous dépose sur l’île de Don Det, et nous découvrons alors un autre monde. Bien que nous soyons à quelques centaines de mètres à peine de l’autre île, l’ambiance est totalement différente. Les simples maisons de bois sur pilotis ont laissé place à un nombre incalculable de guesthouses, de cafés et de bars, entre lesquels circulent en short et tongs des touristes occidentaux, alors que nous n’en avons pas vu un seul depuis Paksé. Deux mondes semblent ainsi se côtoyer, à une rive d’écart, et sans jamais se croiser. Nous traversons l’île doucement, en nous renseignant sur les guesthouses, mais la plupart sont complètes, et l’ambiance ne plaît pas trop à Victor, « trop festive ». Nous passons sur l’île voisine, Don Khon , grâce à un pont cette fois-ci (construits par les français à l’époque de l’Indochine), et nous trouvons une chambre dans une guesthouse en bois sur pilotis, posée au-dessus du Mékong. L’ambiance de cette seconde île est réputée plus calme, et nous nous apercevons que c’est notamment parce qu’elle est peuplée par les têtes grises. Et surtout, chose assez impressionnante, le tourisme y est presque exclusivement français. C’est en tout cas le cas à notre guesthouse, où tous nos voisins parlent français, comme si tout le monde s’était donné le mot pour envahir Don Khon et laisser Don Det aux anglophones !
Pas fâchés d’être arrivés et d’en avoir fini avec les petites pistes de terre séchées des îles, nous décidons de nous installer pour quelques jours, et de profiter du coin, qui a l’air particulièrement tranquille et propice au repos, avant de prendre la route du Cambodge, distant d’à peine une cinquantaine de kilomètres.
3 réflexions au sujet de « Jours 197 à 201 : De Paksé aux 4000 îles, voyage à vélo dans un Laos plat »
Perdu, pas de Champassac ni dans le Lot ni ailleurs.
Mais que cela ne vous décourage pas de continuer le blog… Quel plaisir de vous retrouver !
Bisous de Mimi et Jiji
Michèle
Saint Cricri veillera toujours sur vous, son air bienveillant et affable, son regard inquiet et réfléchi, et sa tête dure comme de la pâte fimo sont éternels. N’ayez craintes les enfants, poursuivez votre voyage!
Saint Cricri Depuis Là Où il Est
Aujourd’hui références cinématographiques avec Amélie Poulain et Khamelott . Une bonne séance ciné doit vous manquer… a moins que ce ne soit que les popcorns et autres douceurs chimiques.
Merci pour ce voyage
Bill & Anne