Cette semaine dans le Sud du Cambodge, est aussi notre dernière semaine de voyage à vélo en Asie du Sud-Est car nous abandonnons bientôt nos montures pour nous consacrer à un peu de tourisme en Thaïlande et en famille, avant de partir vers un nouveau continent, l’Océanie… Nous quittons donc la trop encombrée Phnom Penh pour gagner le bord de mer, puis nous nous baladons dans un arrière pays toujours aussi sec et inondé de soleil, avant de remonter vers la capitale.
Jour 215 à 217 : en route vers Kampot pour trois jours de pause dans la région
En nous réveillant à Phnom Penh ce matin, nous n’avons pas changé d’avis : nous avons envie de fuir cette ville un peu trop polluée et bruyante à note goût, pour gagner le bord de mer. Et nous n’irons pas à pied, car entre Phnom Penh et Kampot la route a réputation d’être très mauvaise et pas du tout adaptée au cyclisme. Pas de problèmes, nous trouverons donc un bus, c’était plus que facile la dernière fois !
Après avoir papoté en petit déjeunant avec notre hôte Colin, nous nous rendons auprès d’une compagnie de transport située pas très loin de notre logement. Au Cambodge, il n’y a pas de une gare routière principale, mais plusieurs dizaines, selon les compagnies et les endroits où l’on se rend. Celle que nous choisissons semble dans un premier temps accepter facilement nos vélos, mais nous réalisons vite que c’est parce que nous ne nous sommes pas bien faits comprendre. S’ensuit alors un moment de négociations au cours duquel on nous propose tout un tas de différents arrangements, car le bus n’est a priori pas assez grand pour prendre deux vélos : nous prenons un bus et les vélos suivent dans un autre, ou alors nous prenons chacun un bus différent avec chacun un vélo… Finalement, grâce à ses grands talents de joueur de Tétris, Victor parvient à prouver qu’on peut bien loger deux vélos dans les soutes du bus (avec des bagages sous nos pieds, sur nos genoux, et même un peu derrière les oreilles) et nous partons après avoir mis le bus un peu en retard.
La route jusqu’à Kampot est loin d’être agréable, c’est même tout le contraire : alors que c’est un axe très emprunté, il est aussi complètement défoncé. Cela n’empêche pas notre conducteur d’y rouler comme un malade mental : il appuie à fond sur le champignon, pile parfois et frôle de très près les pauvres malheureux qui font la route en scooter. Nous ne sommes donc pas fâchés d’arriver, et très contents de notre choix d’avoir fait le trajet en bus plutôt qu’en vélo !
A peine nos vélos remontés (car nous avons dû enlever les roues et les pédales pour les faxer dans la soute) mon compteur fait des siennes. Il a trop pris le soleil durant nos pérégrinations et le plastique qui le maintenait au cadre de mon vélo s’est distendu : il saute donc intempestivement et répand sa pile par terre. On ne verra donc peut être jamais s’afficher sur son cadran un beau 10 000km à l’issue de notre voyage… La terrible fournaise du Cambodge, qui nous pèse un peu sur le moral dernièrement, fait aussi des victimes parmi nos instruments électroniques : le portable de Victor bugue et son GPS perd un peu la boule, donnant parfois lors de ses bouffées de chaleur des informations fantasques du style « faîtes demi-tour et prenez l’ascenseur ».
Et ça n’est que le début de nos déconvenues, car la quête d’une chambre d’hôtel sympa ou d’un petit bungalow pas trop cher se révèle particulièrement ardue. Nous nous renseignons d’abord auprès de guesthouses en bord de rivières, pas chères, mais qui proposent des chambres miteuses ou des lits sales au confort très sommaire. Victor refuse tout catégoriquement, et nous écumons ensuite pendant plusieurs heures toutes les adresses du Routard, sans trouver rien qui ne soit pas complet ou glauque. Il aurait fallu le savoir : dans ces coins très touristiques, il faut réserver, ce que nous n’avons pas eu à faire depuis… depuis le début du voyage, non ?
Fatigués et agacés par cette recherche infructueuse, et obligés de renoncer à camper car tout est bien trop construit, nous décidons d’aller nous restaurer, et profiter de la connexion wifi pour réserver quelque chose. C’est le meilleur moment de la journée, car nous trouvons un petit restaurant khmer pas cher et très bon (rare, donc), qui propose notamment, pour environ 4 dollars, de délicieux poissons grillés.
Tout à la joie de nous rassasier, nous rencontrons un couple de français, attirés par la vue de nos vélos tout arnachés. Eux aussi sont cyclotouristes, mais la compagnie aérienne auprès de laquelle ils avaient pris leurs billets réclamait tellement cher pour transporter les vélos (1000 euros/vélo) qu’ils ont dû les laisser en France. Ils ont donc embarqué avec seulement leurs sacoches, pensant acheter des vélos sur place, mais on fait choux blanc, car on ne trouve pas beaucoup de vélos de trekking au Cambodge. Ils voyagent donc plutôt en mode sac à dos, mais nous échangeons quand même un certain nombre d’anecdotes sur le voyage à vélo.
Nous trouvons aussi une chambre pas trop chère dans un campement de bungalow et de tentes, la Plantation, situé à la sortie de la ville, avec un grand espace en intérieur, alors nous y filons. Nous y sommes accueillis par un très sympathique « attention ne roulez pas sur la pelouse ! » et un français blasé et pas très affable, co-gérant du lieu avec deux acolytes occupés à fumer des pétards (La Plantation de cannabis, donc), nous montre ce que nous avons réservé, un bungalow tout moche et tout petit. Ah, mais c’est qu’on aime de plus en plus Kampot, nous ! Et surtout les hôteliers occidentaux venus faire fortune ou glander au Cambodge !
C’est loin d’être parfait, alors pour se consoler de cette journée relativement décevante, nous retournons profiter de l’animation de la ville, et surtout dévorer sans complexe une succulente tarte à la banane.
Jour 216 : La journée nulle à Kampot
Ce matin, pendant que je fais le blog, Victor s’en va au marché : c’est un vrai comme on les aime, avec de l’animation partout, des odeurs plein le nez, des flaques suspectes dans lesquelles on patauge en tongs. Le marché de Kampot est un dédale de petites allées encastrées anarchiquement les unes dans les autres, doté d’une organisation qui ne paraît pas logique de prime abord… Mais Victor parvient à dénicher, au fond du marché, de succulentes gaufres, qui accompagneront parfaitement notre salade de fruit quotidienne.
Revenant tout fier à la Plantation il me déballe son butin alors que je travaille assise à la terrasse du restaurant, et là, c’est le drame. A peine a-t-elle vu Victor exhiber une banane qu’une des gérantes de la Plantation se rue sur nous pour nous avertir : « il est interdit de manger autre chose que ce que nous vendons, c’est écrit ici, sur ce petit panneau ! »
Nous lui expliquons que nous comprenons évidemment qu’on ne peut pas manger près du bar qui fait aussi restaurant, que Victor me montre juste ses achats et que nous allons nous éloigner pour petit-déjeuner, mais ça ne lui suffit pas. « Ah non, reprend-elle sous nos yeux ébahis, c’est interdit de manger PARTOUT ici, il faut sortir de l’établissement ». « Mais voyons, lui répondons nous, atterrés, en regardant tout autour de nous, c’est un camping ! Il y a de l’herbe et des petites tables partout ». « C’est pas une raison, réplique t-elle très irritée, on ne mange pas ici, sauf ce que sert le restaurant ». « Bon, hé bien nous irons devant notre bungalow, proposons-nous », « non plus ! s’écrit-elle »« DANS notre bungalow, alors ? » « VOUS N’OSERIEZ PAS !»
Bref, après cette discussion stupide, nous décidons de plier les gaules et d’aller trouver un hébergement plus tolérant. C’est bien triste mais beaucoup d’établissements tenus par des français, au contraire de ceux tenus par des cambodgiens, ont cette règle sur la nourriture qui vient de l’extérieur : elle est interdite, et il faut se cantonner à manger la nourriture occidentalisée, souvent chère et pas très originale, qu’ils vendent. Ce qui est dingue, c’est que la plupart des touristes (surtout les jeunes en fait) s’en contentent, et n’ont pas la curiosité d’aller au marché s’acheter un des innombrables beignets qui s’y vend, de tester un joli (mais certes parfois un peu risqué) plat cuisiné, ou de goûter un fruit exotique inédit…
Le marché est un des endroits les plus sympathiques et intéressants de Kampot, et l’on n’y croise presque pas d’étrangers, car ils sont tous dans leurs hôtels pour occidentaux, qui fournit tout ce dont ils ont besoin, la nourriture mais aussi les activités (scooter, hamacs, mais aussi pour certains élégants, un gros bateau avec de la bière et de la musique techno dedans). Nous avons parfois la sensation que le tourisme backpackers (sac à dos) d’aujourd’hui (en Asie du Sud Est en tout cas) est un tourisme qui vient de loin, va loin mais ne sort pas pour autant de sa zone de confort. Il est plutôt là pour profiter du soleil et de la vie peu chère, que pour découvrir un pays et sa culture ; ça n’est pas un crime, mais c’est un peu dommage.
Pour notre part, nous nous sentons très captifs dans ces cas-là, et, agacés par la règle imposée par notre campement et surtout par la manière dont elle est énoncée par la co-gérante, nous déménageons dans un hôtel tenu par un cambodgien, qui, s’il ne vend pas du rêve, est très correct. Et notre nouvel hôtelier, à l’instar de ses compatriotes, ne voit aucun problème à ce que nous mangions notre salade de fruit dans ses locaux. Au Cambodge mais aussi partout en Asie du Sud-Est, il n’est pas rare et totalement accepté de prendre un verre dans un bar ou un restaurant, tout en allant à côté se chercher quelque chose à manger, ou vice-versa.
Ce changement imprévu d’hôtel nous a fait perdre du temps, et nous faisons simplement un petit tour à vélo, travaillons le blog, puis nous nous installons sur un bar en pilotis surplombant la rivière pour admirer le coucher de soleil, avec la sensation désagréable d’avoir perdu notre journée. Nous faisons alors des plans de tour à scooter vers le Phnom Bokor, le mont qui surplombe Kampot, pour le lendemain.
Un peu grégaires, le soir nous retournons au même restaurant que la veille déguster leurs succulents poissons, les tilapias, et je fais à ce moment-là notre première chute à vélo du voyage. Elle doit compter parmi les plus ridicules du monde, car elle se fait sans chargement, sans vitesse, et en descendant un petit trottoir de rien du tout. Mais ça fait mal quand même, au genou autant qu’à l’âme !
Jour 217 : balade en scooter au mont Bokor
En cette belle journée de février, nous louons un scooter à notre hôte et prenons la route du Mont Bokor, soit : tout là-haut là-haut !
C’est Victor qui, en ancien co-propriétaire d’un scooter à Chaumont, prend le volant et nous monte jusqu’au sommet. Lors de notre ascension, nous re-découvrons une sensation bien oubliée : le froid, car nous montons en altitude, et quelques nuages voilent le soleil. Mais les paysages, plus verts que ce à quoi nous sommes habitués, et plus arborés, sont très beaux. Au sommet, nous découvrons par contre un bien triste spectacle : on a construit un immense et affreux hôtel jaunâtre dans l’idée saugrenue de décorer le mont, et qui, en grosse et sinistre verrue, vient passablement l’enlaidir.
Mais il y a aussi un grand parking, où j’en profite pour apprendre à conduire le scooter, avec un certain don pour ça, s’il vous plaît, comme peut en témoigner mon professeur ! En fait, comme, il s’agit d’un scooter automatique, ça n’est pas bien compliqué, mais quand même, c’est plus lourd qu’un vélo, surtout quand il faut prendre en croupe le gros Totor. Nous nous baladons un peu sur le Phnom Bokor, admirons la vue, puis redescendons vers la mer.
Arrivés à destination, nous découvrons un bord de mer plutôt construit, et a priori privatisé, mais nous faisons comme si nous étions de la maison et pouvons accéder à un joli ponton.
Sur le chemin du retour, je m’exerce, avec un succès tout relatif, à la conduite du scooter sur route encombrée, puis sur piste de terre. Nous faisons quelques détours pour observer le paysage, puis rentrons sagement à l’hôtel. Nous le quittons rapidement pour retourner au restaurant où nous avons nos habitudes, mais, horreur, ils n’ont plus de poissons, alors même que nous venions de le conseiller à nos voisins ! Nous rencontrons là-bas un nouveau couple de cyclotouristes, qui fait ses premiers tours de roues au Cambodge, et qui est pour l’instant bien déçu des routes du bord de mer. Grands seigneurs, nous leur donnons quelques conseils et bons plans, mais nous avons un peu du mal à leur vendre le Cambodge, quand nous avons largement préféré pédaler dans les autres pays d’Asie du Sud-Est.
Jour 218, dimanche 17 février, 55km, 114m de dénivelé : « En route vers Kep ! »
Insatisfaits pour l’instant par le bord de mer cambodgien, nous prenons la route de Kep, une station balnéaire bien connue, située un peu à l’Est de notre position. Et nous nous rendons à Kep par les petites routes, histoire de profiter de l’arrière-pays, et des nombreuses grottes qu’il compte.
Dans la première, vide de toutes personnes mais équipée de voies d’escalades, nous observons d’impressionnantes formations rocheuses et non moins impressionnantes colonies de chauves-souris. Devant la seconde, nous sommes accueillis par un groupe d’enfants, aspirants guides de leur état, qui nous proposent une visite. Les deux militaires qui « gardent » le site, confortablement installés sur leurs hamacs, lèvent à peine la tête quand ils nous voient arriver, se contentant de nous délivrer des tickets, et de préciser qu’il faut payer les enfants-guides, mais aussi « le petit là, parce qu’il est orphelin ». Les guides sont plus efficaces, deux jeunes filles annoncent leurs tarifs, 1 dollar la visite guidée, et nous n’avons pas le cœur à solliciter l’une plutôt que l’autre. Ce sera donc 2 dollars, ha non, 3, car il faut aussi donner de l’argent à ce petit garçon tout timide, qui n’ose pas parler mais dont le statut d’orphelin réclame qu’il soit également rémunéré.
Nos trois jeunes guides, accompagnés d’une demi-douzaine de copains, nous entrainent donc dans les grottes, et nous impressionnent par leur niveau de langue. En anglais ou en français, ils nous montrent les différentes salles de la grotte, les formes d’animaux qu’il est possible d’y distinguer, ou encore font des blagues du style « attention, un serpent ! », tandis qu’un gosse nous saisit le pied. La grotte est petite, mais la visite sympathique, même si l’on se demande un peu si c’est l’imagination des enfants qui voit partout des formes d’éléphants, ou si elles ont fait l’objet d’une homologation quelconque. Parce que des éléphants, il y en a beaucoup dans cette petite grotte !
Après cette sympathique halte, nous repartons toujours plus vers l’Est, et décidons de nous arrêter près d’un lac dit « secret lake » (parce qu’il était éphémère et disparaissait en saison sèche). Près de ce lac il y a une plantation de poivre dont on nous a conseillé la visite, et comme elle s’intégrait bien à notre itinéraire, nous nous sommes dit, « pourquoi pas ». Pourtant, une fois sur place, nous nous demandons plutôt « pourquoiiii ? », car pour accéder à cette plantation, il faut suivre une piste poussiéreuse interminable et très empruntée, sur laquelle nous cuisons comme des saucisses sur un barbecue. Alors que je manque de peu l’insolation sévère, nous trouvons enfin un petit coin d’ombre sous des manguiers, bien isolé de la route.
Après une sieste réparatrice, nous repartons vers la plantation, où l’on nous accueille par un « vous êtes français ? Parfait, la visite commence dans 10 minutes ! ». Décidément, c’est fou ce qu’il y a de français dans les parages. La visite de cette plantation bio et biodynamique, qui se fait sous d’élégants chapeaux de paille, est très intéressante, et elle est suivie par une sympathique mais piquante dégustation de différents poivres.
Tout est si délicieux que malgré notre retenue habituelle nous achetons beaucoup de souvenirs, et que, surtout, nous mépriserons à l’avenir tous les poivres moulus de table, si insipides (surtout le gris, attention, c’est un résidu de résidus!) Nous nous offrons même, plus par curiosité que par gourmandise évidemment, une glace vanille/poivre. Et c’est un vrai régal ! Nous prenons donc la résolution de mettre désormais du poivre dans tous nos desserts, ça n’en est que plus goûtu !
Mais voilà, la nuit tombe et il nous faut bien aller jusqu’à Kep, d’autant plus que, « chat échaudé craignant l’eau froide », pour la première fois, nous avons réservé un hébergement.
Nous arrivons dans les abords de Kep-sur-mer au moment d’un magnifique coucher de soleil, qui nous immobilise dans une attitude contemplative (et créative) un certain temps, avant de gagner la ville en elle-même. Celle-ci, que nous découvrons de nuit, ne manque quand même pas de nous séduire avec son bord de mer parfois animé parfois calme, joli dans les dernières lueurs du jour.
Il nous semble d’abord passer par le « coin des cambodgiens », où l’on profite de la soirée en mangeant des fruits de mer sur des hamacs ou des transats loués à de dynamiques rabatteuses, puis le « coin des français » où toutes les infrastructures touristiques ou presque sont tenues par des compatriotes, et squattées par des occidentaux. Notre hébergement, de sympathiques bungalows, n’échappe pas à la règle, et c’est Sven, un français, qui nous accueille. Pour manger, c’est un peu mort de ce côté, et nous sommes trop fatigués pour refaire les 5km qui nous séparent des coins animés, alors nous suivons les conseils de notre hôtelier, et nous rendons dans un « petit restaurant sympa » pas très loin sur une petite jetée. Nous y sommes accueillis par deux français aux vêtements et dents blanches sur une peau bronzée qui nous donnent l’impression de nous retrouver sur la côté d’Azur. Ils ont ouvert depuis peu cet élégant restaurant, une maison de pêcheurs retapée et repeinte avec goût, mais où l’on mange les traditionnels plats khmers ou thaï pour bien plus cher qu’ailleurs. C’est très bon, mais nous ne sommes pas très à l’aise dans ce micro-monde d’expatriés, où de vieux français qui ont l’air de tous se connaître viennent manger avec leurs amis et leurs jeunes conquêtes cambodgiennes qui les appellent « daddy ».
Jour 219 et 220, petit pause au bord de la mer, entre baignade, repos et dégustation de crabes
Le lendemain et le surlendemain, alors que nous avons décidé de nous arrêter un peu à Kep, nous faisons du tourisme. Et l’activité principale à Kep, c’est le marché aux crabes bleus ! Elle consiste à aller au marché pour choisir ses victimes et les dévorer goulument accompagnés du délicieux poivre vert frais de la région. On y trouve aussi toute une farandole de mets appétissants, que les pêcheurs/vendeurs font cuire sur leurs étales : calamars, poissons de toutes tailles, crevettes, bigorneaux…
Nous profitons aussi du bord de mer pour nous baigner dans une eau presque excessivement chaude. Alors que nous nous amusons un peu, nous sommes rejoints par deux jeunes garçons, qui n’ont peut-être pas l’habitude de voir des occidentaux faire les idiots dans l’eau. Leur principal objet de préoccupation est le suivant : « why you brown and white ? » (Pourquoi vous êtes marrons et blancs ?), nous demandent-ils en montrant nos (un peu ridicules) bronzages cyclistes, puis en les comparant à leurs magnifiques peaux « all brown ».
En faisant un peu de vélo dans les environs de Kep, nous découvrons un grand nombre de belles propriétés en ruines ou qui semble depuis longtemps abandonnées. Elles ont été construites notamment par des français durant la colonisation, puis saccagées lors du régime des Khmers Rouges. Depuis, elles sont demeurées en l’état : des parcelles entières recouvertes par la végétation, et dans lesquelles parfois on fait paître les vaches. Les séquelles de cette période destructrice, qui a vu disparaître, on l’a dit, entre un et deux millions de personnes (à cause des épurations mais aussi des famines et du travail forcé) sont toujours assez visibles, même si le temps a passé, mais l’on n’en entend jamais parler.
Nous découvrons aussi les impressionnantes « fermes à hirondelles », hauts bâtiments aveugles qui diffusent toute la journée le babillement typique des oiseaux pour les attirer et les encourager à y nidifier. Les nids, de ce qui n’est en réalité pas des hirondelles mais une sorte de martinet, quand ils sont faits exclusivement en bave (ou plutôt en mucus mucilagineux), sont un met des plus raffinés de la gastronomie chinoise, car ils seraient bons pour la longévité. Les nids d’hirondelles sont consommés en soupe depuis la dynastie Tang au 7ème siècle, et, avant les fermes, il fallait aux cueilleurs de nids escalader d’abruptes parois rocheuses pour accéder aux grottes où les hirondelles nidifiaient face à la mer. La récolte n’étant pas sans risques et le met étant rare malgré l’existence des fermes, il est aussi particulièrement cher, entre 3000 et 5000 dollars le kilo!
Jour 221, mercredi 20, 98km et 88m de dénivelé : A vélo jusqu’à Takeo
Après deux jours de pause à Kep, il est déjà temps de repartir vers de nouvelles aventures, et une nouvelle destination, en l’occurrence : Takeo. La ville est à mi-chemin entre Kep et Phnom Penh, ce qui nous paraît idéal, et elle est, à ce que l’on a pu en lire dans notre guide, située dans un coin plutôt agréable.
La route qui y mène d’ailleurs, est, elle aussi, plutôt sympathique, car, pour une fois, nous voyons un peu de relief. Et ce relief, ô chose particulièrement bénéfique, nous apporte aussi un peu d’ombre.
Sinon, l’étape ressemble un peu à toutes celles que nous avons faites précédemment : il fait chaud à liquéfier un bonhomme de neige en cinq minutes, on nous dit « hello », on répond « hello », on déjeune à l’ombre d’un manguier, on descend des litres et des litres d’eau qui s’évacuent presque aussitôt par tous les pores de notre peau… La routine, quoi.
Nous arrivons à Takeo et découvrons une ville de province plutôt agréable, entourée de jolies rizières toutes vertes. Nous en apprécions le côté plus simple et authentique que les stations balnéaires à touristes qu’étaient Kampot et Kep, et trouvons un hôtel ni trop cher ni trop bien, avec une vue (du couloir) sur les rizières.
Depuis cette ville, on peut aller découvrir un fleuve et ses villages de pêcheurs, mais la saison sèche, qui en a drastiquement réduit le débit, ne s’y prête pas. Reste une autre activité réputée : la dégustation de grosses langoustes, mais celles-ci valent leur pesant de cacahuètes, 40 dollars environ le kilo, et nous avons déjà fait le plein de poiscaille à Kep.
Bien fatigués par une journée encore très ensoleillée, nous mangeons à l’hôtel la popote que Victor nous prépare sur la terrasse de main de maître, et nous nous couchons au doux son des conversations des cambodgiens qui picolent non loin sur les terrasses.
Jour 222, jeudi 21 février, 28km et 19m de dénivelé : Petite étape jusqu’aux ruines khmer de Phnom Chisor
Aujourd’hui nous avons une petite journée, puisque nous avons décidé de nous arrêter une trentaine de kilomètres après Takeo pour aller visiter les ruines de Phnom Chisor, chaudement recommandées par le guide du routard.
Nous passons par des plaines qui se partagent entre rizières et bassins d’irrigation des rizières, verdissant ainsi notre parcours. Parfois ces bassins sont aussi utilisés pour l’élevage des canards, et répandent dans l’atmosphère une puanteur presque insupportable. Les pauvres gallinacés, entassés par paquets de cent dans de petits enclos en plein soleil, se battent constamment en cancanant pour se ménager une petite place à l’ombre d’un frêle arbuste ou pour plonger dans l’eau des bassins, à peine plus fraîche que l’air sans doute.
Après ce triste et malodorant spectacle, nous voilà au pied du Phnom Chisor, à aller se renseigner s’il reste une chambre de libre à la seule guesthouse du coin. Et à vrai dire, elles sont toutes libres, les chambre : nous sommes les seuls clients (la plupart des gens doivent faire l’aller-retour depuis Phnom Penh). Elles sont aussi chères ces chambres, car elles sont dotées de la climatisation. Nous qui y sommes peu habitués la trouvons agréable, car il fait encore une chaleur à faire faner une fleur de cactus, et nous ne le savons pas encore, mais à partir de ce moment, nous n’aurons plus que des logements avec climatisation.
Après nous être un peu reposés et rafraichis, nous partons à l’assaut de Phnom Chisor. Et comme « phnom » signifie « montagne », il nous faut d’abord grimper un interminable escalier. Au bout de celui-ci, il nous faut payer quelques dollars à un monsieur assis à l’ombre d’une tonnelle et muni d’une grosse caisse rouge, puis nous découvrons les ruines de Phnom Chisor. Celles-ci nous font un effet relativement mitigé : ça n’est pas très grand, ça n’est pas très conservé, et il n’y a pas d’explications… On a du mal à comprendre les recommandations du Guide du Routard, quand on sait quels magnifiques temples on peut trouver ailleurs au Cambodge.
Il n’y a d’ailleurs pas beaucoup de visiteurs dans ce temple, en dehors de quelques occidentaux et des groupes de scolaires, des lycéens notamment. Un groupe de trois garçons d’ailleurs nous salue puis, une fois que nous nous sommes éloignés, s’amusent à pousser dans notre dos des gémissements explicites (quoi que pas tant que ça, puisque je crois pour ma part au début que l’un d’eux s’est fait mal au pied).
Après notre visite, alors que nous redescendons de la montagne-temple, nous passons à nouveau devant les trois adolescents, et l’un d’entre eux commence à vouloir recommencer ces stupides gémissements. C’est sans compter Victor qui, habituellement si calme, réagit au quart de tour : il le rabroue vivement et lui cloue le bec ; on a certainement frôlé l’incident diplomatique, mais bon, en même temps un peu de respect pour les aînés, ça n’est pas trop demandé !
Après notre petite sortie, nous nous arrêtons auprès d’un stand pour profiter des rafraichissements locaux. Le plus répandu est la coco : elles sont cueillies en grappes vertes dans les arbres (et pèsent un âne mort), et le vendeur les découpe à la machette jusqu’à en fendre la coque, puis glisse une paille dans le trou qu’il a fait. La boisson, une eau de coco un peu amère, est bonne, mais le contenant est un peu encombrant. Nous prenons aussi un jus de canne à sucre, très répandu lui aussi au Cambodge, et 100% naturel, quoique 100% sucre et pas bon pour les caries : un bâton de canne à sucre est passé plusieurs fois dans un pressoir, jusqu’à ce qu’il ait délivré tout son jus.
Le soir c’est mon tour de cuisiner, ce que je fais devant notre guesthouse, sous le regard curieux et amusé de nos hôteliers. Comme à chaque fois que l’on cuisine, les gens sont très intéressés, me tenant compagnie pendant tout le temps de la popote, mais malheureusement on ne peut pas s’échanger grand-chose, à part quelques mots d’anglais : « Soupe ? Yes », « chicken ? No, noodle » et c’est à peu près tout. Ce qui me gêne à chaque fois c’est que j’ai l’impression qu’ils s’attendent à en découvrir un peu plus sur la cuisine française alors que j’improvise, souvent avec les moyens du bord et ce qu’on a trouvé sur la route, une pitance pas toujours très appétissante. Ça paraît un peu ridicule, par rapport aux magnifiques plats qu’ils font si facilement et en quelques minutes !
Jour 223, vendredi 22 février, 67km et 25m de dénivelé : Retour à Phnom Penh
Aujourd’hui, c’est officiellement notre dernier jour de voyage à vélo en Asie du Sud Est, car dans quelques jours à peine, nous aurons rejoint ma sœur Claire et sa pote Aurore à Siem Reap, puis nous passerons 15 jours de vacances avec elles, avant d’en passer quinze autres avec mes parents, puis de prendre un avion afin de quitter l’Asie pour l’Océanie.
C’est donc avec une certaine nostalgie que nous admirons nos dernières rizières, nos derniers troupeaux de vaches maigres, que nous disons nos derniers « hellos » aux enfants, que nous suons nos derniers litres d’eau.
Nous pédalons d’abord sur de petites routes, où nous croisons ce qui nous semble être le convoi du gang de la literie : de nombreuses grandes charrettes conduites par des scooters et sur lesquelles sont entassés jusqu’à très haut vers le ciel des matelas de toutes les couleurs. Puis nous empruntons une route plus chargée, moins agréable, et sur laquelle nous inhalons des kilos de poussières.
Après avoir fait une petite pause pour immortaliser notre dernier jour de vélo au Cambodge (et beaucoup intrigué les adolescents qui passaient à scooter), nous prenons notre courage à deux mains et nous nous préparons à entrer dans Phnom Penh.
Peut-être est-ce parce que nous nous sommes déjà réhabitués à la conduite en milieu urbain saturé de scooters, mais notre trajet dans Phnom Penh se passe plutôt bien. Nous faisons un arrêt à l’Office International des Migrations, afin d’y prendre un rendez-vous pour faire une radio des poumons. Cette radio est obligatoire si nous voulons prétendre à entrer en Océanie, car les services de santé veulent vérifier que nous n’avons pas la tuberculose. Nous entrons donc dans un bâtiment dont la modernité tranche de manière vraiment curieuse avec le début de notre journée dans la campagne phnompenhoise, et prenons rendez-vous auprès de secrétaires adorables. Nous nous acheminons ensuite vers notre auberge de jeunesse, que nous avons pris avec piscine, en prévision de journées chaudes et paresseuses. Cependant, nous sommes un peu surpris, et un peu déçus, par l’ambiance très festive de l’auberge de jeunesse et par l’animation de ladite piscine : elle est squattée par de grands mecs bodybuildés et de jolies filles en string qui font une partie de volley à grand renforts de virils hurlements… Pas exactement de quoi nous avions rêvé pour nous reposer et buller tranquillement, mais nous finissons par trouver un peu de charme à Phnom Penh le soir, quand nous découvrons un sympathique quartiers de restaurants et de bars.
Jours 223 et 224 : Une découverte plus approfondie de Phnom Penh
Nous avons rendez-vous dans deux jours avec Claire et Aurore, qui sont pour leur part déjà arrivées mais visitent un peu le Nord de la Thaïlande, mais nous ne pouvons pas encore prendre la direction du Nord-Ouest du Cambodge car il nous faut encore faire nos radios des poumons.
En attendant, nous décidons de découvrir un peu Phnom Penh, et de faire un peu de rattrapage au niveau du blog. Nos velléités de travail et de tourisme sont cependant un peu remises en question par notre rencontre avec un couple de rennais, internes en médecine, venus visiter le Cambodge pour un mois, et avec qui nous passons une soirée très sympathique mais aussi très fatigante. Nous prenons quand même le temps de visiter le camp de Tuol Sleng, appelé aussi S21, un camp d’internement installé dans un lycée pendant le régime des Khmers Rouges (c’est ici qu’a péri Bophana dont on parlait dans l’article précédent). On y a « interrogé », torturé et tué, ici ou un peu à l’extérieur de la ville dans les Killing Fields (champs de la mort), plus de 20 000 personnes, hommes, femmes et enfants. Les tortionnaires, qui étaient très jeunes (principalement des adolescents) y interrogeaient les gens, persuadés de l’existence de conspirations, et finissaient souvent eux-mêmes par être convaincus de trahison et emprisonnés. La visite est particulièrement triste et saisissante, et le cadre, le jardin d’un lycée où les arbres n’ont pas cessé de fleurir, propose un contraste particulièrement déstabilisant avec les horreurs qu’on peut entendre, lire ou voir en photos et en peintures.
Un des panneaux retient particulièrement l’attention des occidentaux, car on peut plus facilement, sans doute, s’y identifier : c’est celui qui raconte l’histoire d’un néo-zélandais, Kerry Hamill. Celui-ci, à 26 ans, faisait le tour du monde en voilier avec des amis, mais ils furent arrêtés à leur arrivée au Cambodge et enfermés au S21. Ils y furent longuement interrogés, les Khmers Rouges étant persuadés qu’ils étaient des espions impérialistes, avant d’être exécutés et leurs corps brûlés. Lors du procès de Duch, un officier Khmer Rouge responsable du camp, le frère de Kerry Hamill, qui a eu accès aux archives du S21, revient sur les aveux obtenus sous la torture. Quand on lui demandait un code, Kerry donnait le numéro de téléphone de ses parents, quand on lui demandait des noms, il parlait d’un Sergent Pepper (en référence à l’album des Beattles), ou d’un S-star (qui serait un dérivé du nom de sa mère Esther). Le frère du pauvre malheureux, optimiste, préfère voir dans ces références à la pop culture des traits d’humour, îlots d’humanité au cœur d’un enfer de barbarie, et des messages d’amour destinés à sa famille, plutôt des divagations obtenues sous la torture ou le début d’une juste folie.
Après cette sinistre et révoltante visite, qui nous laisse pantelants, nous allons faire nos radios des poumons, qui attestent du fait que nous n’avons pas la tuberculose, ce dont nous nous doutions un petit peu, sachant que nos vaccins sont à jour.
Puis, il est temps de quitter Phnom Penh, nous montons donc dans un bus en direction de Siem Reap, afin de retrouver Claire et Aurore et de nous lancer à la découverte d’une des merveilles du Cambodge : les temples d’Angkor!
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