Ah, nous voilà enfin au Vietnam! Et le moins que l’on puisse dire, c’est que cela contraste avec la Chine, et par bien des aspects. Pour profiter des 15 jours auxquels nous avons droit dans le pays sans visa, nous mettons le cap sur la baie d’Halong dans l’idée d’aller découvrir la mer de Chine et de profiter au soleil d’un repos bien mérité…
Jour 130, mercredi 21 novembre, 74km et 467m de dénivelé : Bienvenue au Vietnam, au programme: cagnard, insolation et mousson!
Pour rejoindre notre première étape balnéaire, il nous faut faire 130km jusqu’à la presque île de Cai Rong où un ferry peut nous emmener sur l’île de Quan Lan. C’est Victor qui a entendu parler de cette île qui serait plus ou moins épargnée par les touristes. Et ces derniers, après un mois de Chine et la visite de beaucoup d’attractions touristiques, nous sommes très désireux de les éviter (surtout après avoir observé à la frontière des hordes de bus qui attendent les groupes de touristes chinois pour les emmener vers la baie d’Halong) ! Quan Lan nous paraît donc l’endroit tout désigné pour découvrir la mer et ses fameux pics karstiques, et se reposer un peu. Par contre, nous devons encore fournir quelques bons coups de pédales car le seul ferry qui mène à l’île part tous les jours à 13h: il nous faut donc faire le maximum de kilomètres (idéalement 90km) aujourd’hui pour n’avoir plus beaucoup de distance à couvrir le lendemain et attraper le ferry. Et le problème, c’est que le bord de mer vietnamien, ça n’est pas vraiment plat contrairement à ce que nous annonçait notre GPS!
Quand nous nous levons, nous avons la grande joie de constater que, pour une fois, il ne pleut pas. Mieux encore, le soleil commence à poindre à travers les nuages et le thermomètre a pris quelques degrés, comme si la météo voulait nous dire: « bienvenue au Vietnam! »
Nous prenons donc, pour la première fois depuis longtemps, notre petit déjeuner en dehors de la tente en regardant passer nos voisins les buffles et, sur ces agréables observations, nous prenons la route pour découvrir ce que le Vietnam a à nous offrir.
Et on peut dire que pour un premier jour, le Vietnam va nous en faire voir de toutes les couleurs ! Au départ pourtant, tout se passe bien, nous continuons notre découverte émerveillée du pays, tellement plus tranquille ou « chill » que la Chine, avec ses maisons avec terrasses, ses bars, ses cafés et toutes ces places ombragées. Les gens nous paraissent bien sympathiques ; beaucoup nous saluent en anglais « hello » quand ils nous voient passer ou encore lèvent le pouce dans les montées en signe d’encouragement.
Les vietnamiens, comme les chinois, ont la main lourde sur le klaxon, qui sert à prévenir de sa présence ou à doubler, mais aussi à nous saluer. Habitués à une cacophonie permanente sur la route, nous ne nous en rendons pas compte dans un premier temps, puis nous réalisons que les klaxons des voitures redoublent si nous ne répondons pas au salut de leurs passagers. Heureusement la sonorité de la plupart des véhicules qui nous doublent est plutôt douce. Ça n’est pas un gros « pouêt pouêt » qui fait sursauter, mais plutôt le bruit d’un accordéon qu’on dégonflerait en le tordant dans tous les sens, tout en pianotant en alternance sur les touches du Si et du La (oui, c’est un klaxon doté d’une sonorité très spécifique).
En milieu de matinée, le soleil ne s’est toujours pas caché derrière les nuages. Au contraire, le ciel devient de plus en plus bleu, et la température atteint les 30 degrés. Alors que les montées et les descentes s’alternent sur un rythme plutôt soutenu, nous sommes bien contents d’arriver dans une petite ville pour trouver de l’ombre, de la fraîcheur et un repas. Nous avisons une première terrasse bien sympathique sous les arbres, où quelques groupes d’hommes sont attablés pour leur repas. Nous nous asseyons donc non loin d’eux, et la serveuse, une femme qui jusqu’ici était assise un peu plus loin, sort de sa torpeur et nous sert des bières. Nous saluons le beau réflexe, mais nous, nous voudrions surtout manger, afin de reprendre des forces. Une petite communication par geste nous apprends que le tripot ne sert en réalité pas à manger – on ne mélange pas les torchons et les serviettes –, mais que l’on peut aller chercher sa nourriture ailleurs, « un peu plus haut là-bas sur la gauche » si je comprends bien notre interlocutrice.
Laissant à Victor la garde des vélos et des bières, je m’aventure un peu plus loin, pour découvrir une cantine populaire, dans un petit bâtiment en béton aux murs nus. Les clients, tous des hommes, lèvent un regard surpris quand j’entre dans le bâtiment, mais le cuisinier me donne un plateau en aluminium que je peux remplir à ma convenance : chouette concept ! Cependant j’ai beau tout donner en mime, je n’arrive pas à faire comprendre que je voudrais aller manger un peu plus loin, et Victor doit abandonner notre petite table en terrasse pour me rejoindre.
Après ce bon repas pour un tout petit prix (25 000 dongs, soit un tout petit peu moins d’un euro) nous reprenons la route. Mais ce n’est pas le moment de faire du vélo, ni de mener quelque autre activité que ce soit, car le soleil tape très dur en ce début d’après-midi. Assommés par la chaleur, nous devons quitter la route pour nous abriter à l’ombre de quelques arbres en pleine montée. Nos machines surchauffent et la chaleur nous fait mal à la tête ; elle me laissera d’ailleurs une migraine des plus costaudes.
Malgré les prémisses de ce que nous savons être une insolation, nous reprenons la route car nous ne pouvons décemment rester où nous sommes, et surtout car il nous reste plus de cinquante kilomètres à parcourir pour boucler l’étape de la journée si nous voulons attraper notre ferry le lendemain. Alors courage moussaillon, ce soleil après tout nous l’avons voulu et mérité !
Arrivés dans une ville, nous nous arrêtons pour profiter de son marché et faire des provisions en prévision des petites routes ; ou disons plutôt que je fais les courses en galérant avec mes nouveaux billets vietnamiens tandis que Victor papote et fume avec des vieux qui l’ont invité à s’asseoir avec eux. On note au passage que les vietnamiens ne montrent pas les prix des fruits et légumes avec les doigts comme les chinois, mais sortent le ou les billets correspondant au montant demandé ; c’est à la fois pratique et rigolo. Moins pratique et rigolo par contre pour le cyclotouriste qui a du dénivelé à faire : ils ne conçoivent pas de vendre les fruits ou légumes autrement qu’au kilo…
Nous grimpons donc bien chargés des petites routes quand le temps choisit de passer sans transition du soleil de plomb à la pluie diluvienne. Nous nous abritons comme nous le pouvons sous le feuillage d’arbres que l’ondée ne tarde pas à percer puis, heureusement car la pluie redouble d’intensité, un groupe de trois personnes qui passe sur un scooter nous fait signe de les suivre jusqu’à leur maison, quelques mètres plus loin. Nous pénétrons donc dans notre première maison vietnamienne, une toute petite bicoque en béton dont la pièce principale (et presque unique) contient en tout et pour tout un lit et quelques sièges. On nous fait signe d’y prendre place, puis, pendant une heure, nous allons essentiellement nous regarder dans le blanc des yeux avec nos hôtes, faute d’un vocabulaire commun pour discuter. Ceux-ci sont nombreux, à vue de nez il y a là des parents, des grands parents et de jeunes enfants, à qui nous offrons les caramels que l’on nous a offert la veille à l’occasion d’un autre épisode d’intempérie. Même le petit bébé en reçoit un, mais personne ne lui ôtant l’emballage, il se contente de suçoter le papier d’un air absorbé…
La pluie est une des plus motivée que nous ayons vue, et elle finit par inonder la cour de nos hôtes, créant des petits lacs autour de nos vélos. Le temps passe et il est désormais plus de 16h, la nuit va tomber, et nous n’avons même pas encore fait 60km : rien ne va comme on veut. Et qu’allons nous faire si tout est détrempé ? Devons-nous aller un peu plus loin pour camper dans une mare, ou ferions-nous mieux de rebrousser chemin jusqu’à la ville où nous avons vu un hôtel ?
A la faveur d’une accalmie, qui ne met pas fin à l’ondée mais la tempère, nous décidons de reprendre notre route, en remerciant les paysans vietnamiens qui ont eu la gentillesse de nous accueillir (mais on ne sait même pas encore dire merci !).
Sur les petits chemins recouverts de larges flaques, nous ne mettons pas beaucoup de temps à être entièrement trempés et nos chaussures sont gorgées d’eau boueuses. Personnellement, j’ai désormais froid et très mal à la tête et je dois faire la route en serrant les dents. Heureusement, le paysage que nous découvrons peu à peu vient nous offrir du réconfort. Nous traversons en effet un ensemble de marais en bordure de mer consacrés à l’élevage des poissons, et c’est magnifique !
Dans cette atmosphère humide et bleue de la fin de journée, nous découvrons émerveillés les étangs de pisciculture et les maisons de pêcheurs, puis grimpons sur une très longue digue, qui surplombe une mangrove. Même si la météo ne s’y prête pas, nous nous arrêtons pour prendre quelques photos, en cherchant à saisir cet endormissement progressif du paysage au fur et à mesure que le soleil disparait derrière les montagnes.
Ce faisant, nous avisons des renfoncements sur la digue qui servent de parking, et une idée, qu’avec le recul on ne peut qualifier de bonne, naît dans nos petites têtes : après tout, il fait presque nuit et il est difficile de trouver un endroit sec sur la terre ferme, pourquoi ne pas poser la tente sur la digue ? Nous ne risquons pas d’être dérangés puisqu’il va faire nuit très bientôt et nous aurons droit à un paysage magnifique au réveil…
Fatigués et trouvant l’idée excellente, nous montons rapidement la tente, sans planter les sardines puisqu’il n’y a pas de terre, puis nous nous y abritons. C’est presque guillerets que nous dévorons un repas léger composé de tout ce qui se grignote dans nos sacoches : des arachides, des sortes de saucisses sèches chinoises (étrangement sucrées), des tomates, une bière, et du pain ! Ce dernier, pour notre grande joie, a fait son retour sur les étals des marchés. Ma foi, cela ressemble presque à un apéro français ! Quelques scooters et voitures empruntent de temps en temps la digue, et nous éteignons nos lumières en pouffant comme des gosses quand ils passent à côté de nous. Heureusement, comme il pleut, personne ne s’arrête sur notre campement.
C’est plus tard dans la nuit, quand un vent très fort se lève et agite notre tente dans tous les sens, que nous réalisons que camper sur une digue n’est pas l’idée de génie que nous avions revendiquée.
Jour 131, jeudi 22 novembre, 52km et 350m de dénivelé : De la digue à l’île de Quan Lan ou la découverte de la mer de Chine
Après une nuit presque blanche due au vent qui a malmené notre tente des heures durant malgré les lests posés par Victor, nous nous levons tout groggys sur notre digue. Nous avons mis le réveil à 6h afin de voir le lever du soleil et de partir tôt pour ne pas louper notre ferry de 13h à Cai Rong.
Après un petit déjeuner « dégustation de mangue vietnamienne devant un lever de soleil sur la mangrove », thématique oh combien sympathique, nous voilà à pousser fort sur nos petites pédales malgré la fatigue, pour atteindre notre embarcadère sur la presqu’île de Cai Rong. Nous tenons le coup en nous disant que c’est notre dernier effort avant un bon repos mérité sous les cocotiers.
Dans un premier temps, nous dépassons de nouvelles fermes à poisson et découvrons des emplacements de bivouacs bien plus satisfaisants que le nôtre, puis le trajet devient moins agréable : le paysage se referme, la baie devient moins visible et la circulation s’intensifie. C’est ensuite le retour des montagnes russes et du dénivelé, avant que nous ne quittions la nationale pour une route plus tranquille qui traverse la presqu’île de Cai Rong.
Presque arrivés aux docks, nous découvrons un bord de mer en travaux, complètement chamboulé par la mise en œuvre d’un projet d’infrastructures touristiques d’ampleur. Et moches, très moches. Des touristes, nous n’en voyons pas pour l’instant, mais nous avons été régulièrement doublés par des bus qui font la liaison de Mong Caï (à la frontière chinoise) à Halong, la ville à partir de laquelle partent les croisières pour la baie d’Halong. La baie est un site classé au patrimoine mondial de l’UNESCO, ce qui donne très envie de la voir, mais elle a la réputation d’être envahie par les bateaux de croisières de touristes du monde entier, ce qui donne moins envie…
En choisissant l’alternative « île de Quan Lan », nous évitons les touristes, mais pas nécessairement les arnaqueurs de touristes. Arrivés au port, un hôtelier nous saute dessus alors que nous nous arrêtons pour nous repérer. Il veut nous faire croire qu’il y a trop de vent pour que les bateaux fassent la traversée jusqu’à Quan Lan et propose évidemment une chambre. Mais il est peu convaincant dans la mesure où nous pouvons voir les quais et les bateaux d’où nous sommes, et qu’il n’y a pas la moindre petite brise.
Plus loin, des officiels du port gardant la barrière qui mène au quai, en uniforme et lunettes de soleil, nous indiquent la billetterie puis se ravisent en voyant nos vélos et nous font signe d’aller directement auprès du bateau. Cela nous semble un peu bizarre, serait-ce une nouvelle arnaque, n’avons-nous pas besoin d’acheter des billets pour le ferry ? Rendus un peu paranos par les récits de truandage dans les lieux touristiques, nous obéissons cependant et longeons le quai très anim jusqu’au bateau en destination de Quan Lan. Nous avons la surprise de découvrir qu’il ne s’agit pas d’un ferry comme nous le pensions, mais d’un bateau plus petit, qui est en plein cours de chargement. On nous fait signe de monter nos vélos dans le bateau puis à l’étage et on nous indique les tarifs, qui sont ceux auxquels nous nous attendions. Nous payons mais nous sommes un peu étonnés de voir qu’on ne nous donne pas de tickets ; c’est un peu « à l’arrach’ » dans le coin !
Tout est donc bien qui finit bien, nous sommes à l’heure, nous avons embarqué, les vélos sont casés : il ne nous reste plus qu’à attendre le départ du bateau et profiter du paysage. Ce sera un peu long puisque, nous l’apprenons seulement, le Vietnam n’est pas à la même heure que la Chine. Ce matin nous nous sommes donc levés à 5h, et non à 6 comme nous le pensions, pour attraper un ferry que nous n’avions en réalité pas beaucoup de risques de manquer. Il nous reste donc 2h à attendre le départ !
Qu’à cela ne tienne, Victor s’empresse d’aller au marché à un kilomètre du port pour ramener de quoi déjeuner. Au royaume de motos, un vietnamien s’offusque de le voir utiliser ses gambettes et lui propose de monter derrière lui, ce qu’il accepte illico. Sur la route il assiste à un spectacle assez surprenant. Des ouvriers mènent des travaux d’élagage avec une technique bien particulière : le bucheron armé de sa tronçonneuse est perché en équilibre dans le godet d’une pelleteuse. Celle-ci déplace le travailleur à l’aide de son bras mécanique pour le rapprocher des branches à couper. Pas très sécure, mais efficace !
Cette petite escapade nous permet de manger de bons beignets tout en détaillant les magnifiques bateaux de pêcheurs en bois au dessus desquels pendent d’immenses ampoules. Nous observons la vie du port, les pêcheurs qui ramènent le poisson ou les femmes qui le vendent, et nous nous intéressons au chargement de notre propre bateau, qui nous informe un peu sur l’île que nous allons découvrir. Et elle doit être bien vide cette île, quand on voit tout ce qu’on entasse deux heures durant sur le bateau : des ballots de polystyrène, des vitres, des tiges de métal, des cartons de gâteaux, des fruits, des légumes, et même de gros cochons vivants, qui hurlent tout ce qu’ils peuvent !
Vers 13h, le bateau quitte son lieu d’amarrage. Il passe devant la capitainerie, et là, le capitaine fait signe à tous les passagers de rentrer à l’intérieur du bateau, dans un petit espace recouvert de matelas, qu’on aime bien appeler la « chill zone ». En fait le capitaine n’est pas censé embarquer des passagers directement comme il l’a fait pour nous, alors on doit se planquer. En principe il faut aller à la billetterie du port, acheter son billet et attendre dans une salle d’embarquement que le bateau arrive. Pourtant, ce petit polisson de capitaine a déjà embarqué la grande majorité de ses passagers avant de passer devant le lieu officiel d’embarquement ; cela doit rapporter plus d’argent au capitaine, et coûter moins cher aux passagers.
Passé ce moment-là, nous sommes autorisés à ressortir au grand air tandis que c’est plutôt l’équipage qui va investir la « chill zone » pour y dormir et y jouer aux cartes.
Nous découvrons alors le paysage de la baie d’Halong, et ses impressionnants pains de sucre qui jaillissent de l’eau. C’est fort joli, mais avec la nuit que nous avons passée, le roulis des vagues nous berce et nous devons lutter pour ne pas nous endormir.
Et nous voilà à Quan Lan ! Nous redoutions un peu qu’une nuée d’hôteliers nous sautent dessus à peine le pied posé sur l’île, mais il n’en est rien. En fait, nous réalisons peu à peu que nous avons débarqué sur une île presque déserte, et en tout cas désertée de tous touristes.
Contrairement à d’autres îles, Quan Lan n’attire pas beaucoup les touristes internationaux, mais elle est un lieu de villégiature des vietnamiens d’Hanoï, qui viennent surtout en juillet et en août. Dans la – seule – ville de l’île, la – seule – rue principale se compose de restaurants fermés et d’hôtels vides. C’est un peu tristounet mais au moins nous obtenons sans même avoir à négocier une chambre à petit prix où nous serons tranquilles pour nous reposer. Et ça, c’est un sacré changement vis-à-vis de la Chine où trouver un hôtel pouvait relever du défi.
Nous nous préparons un petit repas sur notre balcon, puis nous nous couchons après avoir déballé absolument toutes nos affaires pour les faire sécher un peu partout dans la chambre.
Jour 132, vendredi 23 novembre : journée de repos à Quan Lan
Aujourd’hui, c’est notre jour de congé. Au programme, repos, repos, et repos, avec un peu de découverte de l’île.
Nous décidons d’aller pique-niquer sur la plage d’une petite salade composée avec les restes de notre repas de la veille, et nous voilà partis à vélo à la recherche du sable chaud. Nous le trouvons quelques centaines de mètres plus loin, Quan Lan étant une très petite île. La plage est presque déserte, si ce n’est quelques personnes au loin qui profitent de la marée basse pour pêcher des crabes, et les crabes eux-mêmes.
Et ce sont des crabes de compétition : les gros se déplacent à une allure folle, et font des pointes de vitesse dressés à la verticale sur leurs pattes latérales. Les petits habitent dans des trous qu’ils décorent avec des boules humides de sables qu’ils passent toute leur journée à façonner entre leurs pattes.
Après un petit pique-nique, seuls au monde, nous pourrions simplement nous étendre au soleil sur le sable et nous laisser envahir par cette douce torpeur propre à la plage… Ce serait compter sans Victor, qui comme un sale gosse en vacances à la mer, ne peut pas rester cinq minutes à faire tranquillement des pâtés. Il insiste tant et si bien que nous revoici sur les vélos, pour aller observer la cueillette des crabes à marée basse, puis pour aller chercher les autres plages de l’île.
L’île, tout en longueur et plate, est un peu monotone, et décidément presque trop vide. Nous réalisons que le fantasme d’une petite bière prise sur la terrasse d’un sympathique bar en bordure de plage ne se réalisera jamais : l’unique paillote de l’île est désertée ! Il n’y a même pas moyen de boire un coup, c’est quand même un comble alors que nous avons vu des bars tout au long de la route depuis que nous sommes entrés au Vietnam !
Nous découvrons une seconde puis une troisième plage, toujours aussi désertes, ce qui m’incite à faire mon bain de mer dans le plus simple appareil. Rectification: en fait il y a quelqu’un, un jeune vietnamien, qui choisit ce moment précis pour venir se planter longuement à côté de nous. Je me retrouve donc coincée dans l’eau, ce qui serait comique si elle n’était pas aussi froide. On pardonnera à ce jeune garçon, car il a tout l’air d’être l’idiot du village, ou de l’île plutôt, son passe-temps favori étant de se lancer son propre bâton puis de courir après.
Après que Victor ait cassé la béquille de son vélo dans le sable mou, perte d’autant plus cruelle que pour une fois le biclou n’est pas chargé, nous rentrons en pédalant sur la plage.
Pour conclure sur cette journée, on peut raisonnablement dire que les plages de Quan Lan c’est bien beau, mais qu’on s’y fait un peu braire. Et comme nous ne sommes pas des adeptes des longues sessions de bronzage sur la plage, nous décidons de quitter Quan Lan le lendemain pour une autre île, plus grande, vallonnée et touristique, la belle Cat Ba, en bordure non plus de la baie de Tu Long mais de la baie de Lan Ha.
Jour 133, samedi 24 novembre, 49km et 304 de dénivelé : Voyage d’île en île, de Quan Lan à Cat Ba
Quitter Quan Lan, c’est un peu plus difficile que d’y accoster : il n’y a qu’un seul bateau qui fait la liaison entre l’île et le reste du monde (ici la ville d’Halong) et il est à 7h du matin. Ça n’est plus un bateau de fret comme celui que nous avions pris l’avant-veille, mais un « speed boat » un bateau rapide et bruyant dédié au transport des passagers et dont les billets coûtent bien plus cher.
Le« speed boat », sur lequel nous calons tant bien que mal les vélos, nous permet de découvrir à nouveau de magnifiques paysages de pics karstiques jaillissant de l’eau un peu partout. Il nous dépose dans le port de Halong, qui est moins beau, avec ses méduses sacs plastiques et ses habitations flottantes un peu taudis, amarrées sous un pont. Après nous être arrêtés pour racheter une béquille à Ruth, le vélo de Victor, nous prenons la direction de la marina d’Halong, qui est éloignée du port d’une vingtaine de kilomètres. Hé oui, on ne mélange pas pêche et plaisance, pauvres et touristes… La route n’est pas bien agréable, la circulation y est dense et nous longeons une suite interminable d’hôtels et de bars/restaurants/karaokés vides qui défigurent le bord de mer. Il y a énormément de complexes touristiques en chantier, et nous découvrons qu’ici aussi on s’est lancé dans la construction d’immenses complexes touristiques à plusieurs étoiles.
Vingt-cinq kilomètres plus tard, nous voilà dans la marina, tickets en main pour le ferry de Cat Ba. Nous remarquons dès le début un changement d’atmosphère : il y a plus de monde, et surtout, beaucoup d’occidentaux, une quinzaine peut-être, dont beaucoup chevauchent des motos sur lesquelles ils ont calé leurs sacs à dos.
Nous sommes surpris de constater qu’il n’y a aucun vacanciers chinois, alors que nous avons vu nombre de cars de touristes faisant la liaison entre la frontière et Halong. Ils doivent aller directement à Halong pour effectuer une croisière dans la baie, alors que les touristes occidentaux préfèrent opter pour l’île de Cat Ba et la baie moins touristique de Lan Ha. L’impression qu’il y a un fort clivage entre tourisme à l’occidental et tourisme à la chinoise au Vietnam ne fera que se renforcer par la suite : ces différents touristes ne fréquentent pas les mêmes lieux, ne mènent pas les mêmes activités, ne cherchent pas les mêmes sources de divertissement…
Le ferry semble s’enfoncer dans une forêt de karsts, que nous découvrons plus impressionnants et vertigineux que ceux que nous avons pu observer jusqu’ici : c’est vraiment dans ces coins plutôt que vers Quan Lan qu’on peut prendre la mesure de ce qui fait la beauté et le renom de la baie d’Halong.
Nous débarquons ensuite à une extrémité de l’île, et il nous faut la traverser pour atteindre, vingt kilomètres plus loin, la ville de Cat Ba, où nous voulons trouver un hôtel. Et l’île de Cat Ba n’est pas plate comme sa voisine de Quan Lan, mais plutôt terriblement vallonnée. Nous sommes très rapidement distancés par les motos et nous nous adonnons aux montées avec un optimisme et une bonne humeur entretenus par la beauté des paysage. Cat Ba a tous les aspects d’une île sauvage recouverte d’une épaisse et luxuriante jungle ; ce n’est d’ailleurs pas par hasard qu’elle abrite une parc national.
En chemin, nous faisons une rencontre inattendue mais oh combien agréable : un cyclotouriste ! Il semble aussi bien content de nous voir, et nous nous ruons les uns vers les autres pour nous saluer. C’est René, un jeune allemand, qui est parti d’Allemagne il y a huit mois. René n’est pas passé par la Russie et le Transsibérien, mais a traversé l’Asie Mineure en pédalant, ce qui explique qu’il ait mis deux fois plus de temps que nous, petits feignants, à arriver au Vietnam. Nous échangeons nos contacts dans l’idée de se retrouver ailleurs sur la route, puisqu’il prend peu ou prou la même direction que nous, mais aussi pour aller boire un verre s’il revient à Cat Ba. Pendant que nous discutons, des scooters nous doublent et des voitures nous klaxonnent. Il faut dire que René s’est arrêté en plein milieu de la route ; il a l’air un peu perché, René, mais c’est sans doute ce qui arrive quand on voyage tout seul pendant 8 mois.
Tout en papotant, nous remarquons avec stupeur que tous les scooters sont chevauchés par des occidentaux, et non par des vietnamiens, à tel point qu’on aurait la sensation, si l’on n’était pas dans un décor de forêt tropicale, d’être dans le sud de l’Europe. Après cette charmante rencontre, nous atteignons Cat Ba, une ville presque exclusivement dédiée au tourisme, où l’on croise autant (voire plus ?) de blancs que d’asiatiques.
Nous nous renseignons sur les tarifs d’une chambre auprès de quelques hôtels en front de mer, mais sans être très chers, ils ne sont pas dans nos budgets. Nous empruntons alors une rue qui remonte du bord de mer vers les hauteurs et nous nous arrêtons devant un hostel dont la terrasse est très animée : la musique pulse et un groupe a déjà commencé à prendre l’apéro. Le gérant de l’hôtel, B, est impressionné de nous voir à vélo (il faut dire que ça grimpe) et nous interpelle. Il est sensible à notre mode de déplacement (ayant lui même traversé le Vietnam du Sud au Nord quelques années plus tôt), nous félicite et nous propose une chambre. C’est à notre tour d’être impressionnés… Par le tarif : 5 dollars (4 euros) la nuit pour une chambre très correcte avec salle de bain et petit déjeuner compris. Ce sont les tarifs les plus bas que nous ayons vu au Vietnam ou en Chine ; il y a une telle offre d’hôtellerie sur l’île que les prix dégringolent.
Nous apprécions la zénitude de notre hôtelier quand nous nous mettons à poser plein de questions sur les potentielles sorties kayak dans la baie : « D’abord les gars, est-ce que vous ne voulez pas vous poser un peu, vous laver, et ensuite vous revenez me voir et je vous offre une bière pour votre peine ? » C’est si gentiment proposé que nous obéissons, en décidant de passer nous aussi en mode « cool Raoul relax Max » et de profiter un peu de la douceur de vivre.
Un peu plus tard, nous allons nous balader sur le front de mer, pour découvrir que celui-ci s’est entièrement adapté à son tourisme occidental : les bars en happy-hours à très petit tarifs et les restaurants proposant des pizzas et des burgers s’alignent les uns après les autres. Il y a aussi des plats vietnamiens, pho (soupe de nouilles) et riz frit, mais ils sont sans saveur et sentent les produits décongelés. La plupart des touristes sont plutôt des jeunes, venus d’Europe ou des États-Unis, attirés par les activités proposées par l’île (plage, bateau, kayak, randonnée, escalade) et par les tarifs avantageux pour faire la fête. La bière coule à flot, et le mot d’ordre des restaurateurs et des hôteliers est de répéter que tout est possible et que tout est « cheap » (pas cher).
Alors que nous rencontrions surtout des français en Mongolie, ou des américains en Chine, le tourisme au Vietnam semble attirer toutes les nationalités. Reconnaître les langues parlées devient notre petit jeu, et nous rencontrons même, pour la première fois et sans doute pour la dernière sachant qu’ils ne sont que 70 000, un bermudéen ! A moins qu’un jour nous ne nous rendions sur l’île des Bermudes, au beau milieu de l’Océan Atlantique, évidemment…
Jours 134 à 136 : « Farniente sur une île », journées de balade, de kayak et de blog à Cat Ba
Quand nous avons réservé pour une nuit dans notre hôtel, B, le gérant des lieux, nous a prévenus : on ne reste jamais une seule nuit à Cat Ba. Et il avait bien raison. Au lieu des deux ou trois nuits que nous devions passer sur l’île, nous nous encroutons quatre jours. Il faut dire que nous avons de la fatigue accumulée, et beaucoup de choses à faire : maintenant que nous avons atteint notre première étape du Vietnam, « voir la mer », nous devons préparer la seconde, « atteindre la frontière ». Elle est d’autant plus importante que notre durée de séjour sans visa au Vietnam est limitée à 15 jours et pas un de plus. Nous ne savons pas ce qu’il adviendrait si nous arrivions à la frontière avec un jour de retard, mais nous avons très peu envie de le découvrir.
Nous réalisons donc que si nous nous sommes mélangés aux vacanciers, qui arpentent la ville de Cat Ba en scooter, shorts et tongs, nous ne sommes pas nous même véritablement en vacances. On ne dirait pas comme ça, mais ça en prend du temps, de raconter des bêtises sur le blog !
En mode vacances et « chill » à Cat Ba : du kayak et des marches
Évidemment, nous profitons quand même des loisirs de l’île, dont les fameuses sorties vers la baie de Lan Ha, qui peuvent se faire en croisière de plusieurs jours, en bateau de tourisme ou en kayak. Soucieux d’économiser nos mollets (et de muscler un peu plus torse et biceps), nous choisissons le kayak, et profitons d’une sortie d’une journée très agréable à la découverte des pics mais aussi de leurs habitants, des milliers de pêcheurs qui vivent sur leurs maisons flottantes.
Les pêcheurs n’ont pas toujours eu des maisons flottantes. Avant qu’ils ne découvrent les propriétés du polystyrène, ils vivaient dans des maisons sur pilotis (ou construites directement sur les pics, nous ne sommes pas d’accord avec Victor sur la traduction des explications de notre guide) mais ça n’était pas bien pratique car le coefficient de marée est très fort. Le polystyrène cependant, se désagrégeant au fil du temps, tend à être remplacé par des barriques en plastique ; on retrouve d’ailleurs plein de petites billes de polystyrène flottant dans toute la baie. Les pêcheurs vivent de la pêche et de l’élevage des huitres à perle et ont créé tout un monde sur l’eau, avec des maisons, des fermes, des magasins, et même des chiens de garde.
C’est une sortie agréable qui concilie l’aspect sportif du kayak à la découverte culturelle (tout en restant à une distance respectueuse des habitations des gens).
Tandis que nous en apprenons plus sur les méthodes de pêche traditionnelles, comme la pêche au lampion qui permet d’attraper les calmars, d’autres touristes préfèrent escalader les pics sans équipement (en mode solo) au dessus de l’eau.
Cannon Fort et le parc national
Nous prenons également un peu de hauteur pour observer la mer depuis les monts de l’île. Nous découvrons ainsi le Fort aux Canons, un fort construit lors de l’occupation française puis lieu de bataille durant la guerre du Vietnam. Il reste peu de ruines du fort en lui-même mais il a une vue imprenable sur la baie.
Nous marchons également dans le parc national jusqu’à un observatoire, au cours d’une randonnée qu’en Chine on aurait qualifiée de « danger mortel de trépas par chute imminente » mais qu’ici tout le monde fait en claquettes.
La retrouvaille surprise des copains!
Alors que nous arpentions la montagne vietnamienne, négociant un chemin à la machette tout en guettant avec inquiétude les singes, nous entendons des voix qui nous paraissent étrangement familières… Et là, au détour d’un pic, qui ne croisons nous pas, fuyant pour échapper à l’attaque d’un tigre? Antoine et Amélie, nos copains nantais, rencontrés en Sibérie et côtoyés en Mongolie: si avec ça on ne peut pas dire que le monde est petit!
Mais non voyons, on plaisante! Nous nous sommes simplement aperçus grâce à la géolocalisation de leur blog que, coïncidence quand même amusante, ils étaient en visite à Cat Ba après leur voyage en Chine et au Laos. Et ce fut l’occasion d’aller prendre un verre pour se raconter nos aventures et partager nos anecdotes sur la Chine!
Découverte d’un tourisme de masse d’un nouveau genre
Nous profitons aussi de notre séjour à Cat Ba pour observer la vie de cette étrange île, symbole pour les uns d’éternelles vacances, et pour les autres d’invasion permanente. Après avoir passé de longs moments à observer le tourisme à la chinoise, tourné vers la consommation des biens culturels comme alimentaires, nous nous confrontons aux réalités du tourisme de masse à l’occidental, celui qui aime faire la fête et « s’éclater » en dépensant le moins possible.
Installés sur la terrasse, le nez sur l’ordinateur, nous assistons à des scènes parfois étranges. Nous avons souhaité en rapporter quelques unes ici car elles donnent à réflexion, et aussi parce qu’on aime bien dire du mal des autres hihihi. Nous l’avons dit plus haut, Cat Ba propose une hostellerie et une restauration dont les prix sont très très bas, tout y est « cheap » et négociable comme on aime à le répéter, et cela semblerait presque faire naître chez les vacanciers une certaine pingrerie. Il y a par exemple ce mec, un type d’une trentaine d’années, européen sans doute, qui passe un temps incroyable à négocier le prix de sa chambre… qui ne coûte déjà que 4 euros! Il tient la jambe de la charmante réceptionniste en réclamant que l’hôtel fasse un effort, droit dans ses bottes, ou devrais-je dire dans ses chaussures de marche hors de prix, chargé de son sac de randonnée de marque…
Il n’est pas le seul à se comporter comme si tout lui était dû, dans une attitude pas très respectueuse des vietnamiens. Il y a cet autre type avec son groupe de potes, à vue d’oreille un espagnol ou un sud américain, qui n’exprime ses demandes au personnel de l’hôtel que par des ordres secs. Un matin, il réclame à grand cris son beurre, mais il le prononce très mal en anglais, disant « batter » au lieu de « butter » si bien que le gérant de l’hôtel, B, ne peut comprendre la demande, d’autant que le beurre n’est pas franchement un produit de consommation courante au Vietnam.
Au delà de la franche impolitesse, son comportement illustre un autre élément d’interrogation sur le sens du tourisme occidental à l’étranger : la difficulté à sortir de sa zone de confort et à changer ses petites habitudes. Nous avons rencontré par exemple une québécoise bien sympathique, qui nous explique qu’après trois jours de nourriture vietnamienne, il lui a fallu une pizza. Et nous la recroisons un jour plus tard avec un ami, occupés à chercher à nouveau la meilleure pizzéria de l’île.
Tout ceci nous pousse à nous interroger sur cette forme de tourisme, dont nous sommes partie prenante, et ses excès, dont nous nous sentons d’une certaine manière complices. Et cela nous rassure aussi sur le choix de notre mode de déplacement, le vélo, qui nous oblige à sortir de ces zones de confort et de situations attendues pour nous projeter au moins un peu dans l’inconnu, et nous permettre des rencontres avec les gens qui ne sont pas liées à des transactions commerciales. Et honnêtement, le beurre et les pizzas ne nous manquent pas… Honnêtement, pas du tout… Par contre, ne nous parlez pas de chocolat ou de fromage, ça nous ferait pleurer! Mais nous tiendrons le coup! Enfin, au moins jusqu’à ce que les parents de Victor nous rejoignent au Laos fin décembre avec les valises chargées de produits de nos terroirs…
Enfin bref, nous aurons tout le temps de nous poser à nouveau toutes ces questions, car nous nous dirigeons sans le savoir vers un autre haut lieu du tourisme à l’occidental, la ville de Ninh Binh, près de laquelle se trouve la baie d’Halong terrestre comme on l’appelle aussi, d’où nous voulons partir à vélo vers la frontière laotienne.
Une réflexion au sujet de « Jours 130 à 136 : En goguette au bord de la mer, de la frontière vietnamienne à la baie d’Halong »
Les photos des piscicultures sont super belles, le récit est prenant et les réflexions sur le tourisme intéressantes. Mais ça ne vous permet pas pour autant d’employer l’expression » cool Raoul relax Max » comme ça, sans nous prévenir ! C’est fini les années 1990 !
Julie Pivot