Jours 92 à 98 (1) : Visite de Pékin

Nous voilà donc à Pékin après une semaine de vélo en Mongolie Intérieure. Changement radical d’ambiance : nous passons d’un désert tout sec, froid et vide à la capitale chinoise, dense, moderne et surpeuplée. Malgré une découverte de nuit qui nous a emballés dans un premier temps, tout n’est pas pour nous plaire dans ce que nous découvrons de Pékin les jours suivants, comme le flux incessant des touristes, le contrôle policier ou l’impressionnante pollution.

La place Tian’anmen, et le duo gagnant tourisme/pollution

Désormais à pied, nous prenons quand même le temps d’apprécier la ville, le charme de ses vieux quartiers, les Hutongs, sa bonne cuisine, et aussi ses attractions touristiques mondialement connues comme la Cité Interdite ou la Grande muraille de Chine.

En mode touristes parmi les touristes à Pékin

Pour ces quelques jours à Pékin, puis pour notre traversée de la Chine nous décidons, la mort dans l’âme, d’abandonner provisoirement nos vélos. Il serait trop compliqué en effet de devoir les trimballer partout avec nous au gré de nos différentes étapes vers le Sud de la Chine, d’où nous comptons reprendre le voyage à vélo. Il est en effet cher et difficile de voyager en train avec des vélos, qui deviennent de véritables boulets dès lors qu’on ne pédale pas. Nous nous arrangeons donc avec la compagnie ferroviaire chinoise pour envoyer nos vélos directement dans une auberge de jeunesse dans la ville de Guilin : ils nous y attendrons sagement tandis que nous ferons plusieurs étapes jusqu’à eux afin de découvrir la Chine. Les voir partir tout seuls nous fait un petit pincement au cœur, et soulève en nous un peu d’inquiétudes; nous espérons très fort les retrouver, et les retrouver en bon état!

Pour nous changer les idées, nous passons en mode touristes! Et c’est parti pour la visite de Pékin.

La Cité Interdite

Et quoi de mieux pour débuter cette visite que de commencer par son extrême centre, la Cité Interdite, l’ancien lieu de pouvoir des empereurs de plusieurs dynasties, le milieu de l’Empire du Milieu ? Oui, c’est une excellent idée, tellement bonne que nous sommes plusieurs milliers à l’avoir eue. Le dimanche, nous découvrons une place Tien’anmen noire de monde, ce qui nous pousse à rebrousser chemin pour choisir un jour de semaine où nous espérons que l’affluence est moindre.

A Tien’anmen, on ne va quand même pas baisser les bras

Nous nous rabattons sur des jardins qui jouxtent la Cité Interdite, et dans lesquels nous observons le plus curieux des marchés qui soit. On y vend rien mais on y expose beaucoup, sur de petites feuilles A4 plastifiées et posées par terre: c’est un marché… matrimonial!

« Il est beau mon fils, il est frais! »

Des parents et des grands parents y exposent  le curriculum vitae simplifié de leur fils ou de leur fille à marier (poids, taille, date de naissance et d’autres informations que nous ne pouvons lire) dans l’espoir d’attirer l’attention et l’intérêt d’autres parents et grands parents. Les photos sont bannies : après tout, ce n’est pas l’apparence qui compte. Les principaux intéressés, pour la plupart des trentenaires et des hommes, sont absents: savent-ils seulement qu’ils sont exposés au marché comme un kilo de patates ou une croute de peintre?

C’est pourtant pas dans les parcs mais dans les labos de recherche qu’on trouve les meilleurs spécimens

Mais nous devons toujours visiter cette fameuse Cité Interdite, alors nous revenons le lendemain, lundi matin. Miracle, il n’y a presque personne. Ah oui, mais c’est parce que c’est fermé. Puisque c’est ainsi nous reviendrons mardi. Mardi matin (l’Empereur, sa femme et le petit Prince), nous sommes de nouveau devant les portes de la Cité Interdite. En même temps que nous découvrons la cité des Empereurs, nous découvrons les affres du tourismes de masse chinois, une foule immense, pressée, bruyante… Angoissante.

Au moins désormais on peut affronter sereinement la rue Sainte Catherine un samedi après midi pendant les soldes
On a beau dire mais ce serait mieux si c’était la Cité Interdite Aux Touristes

Cette masse touristique démesurée contribue à modifier le lieu qu’elle est venue observer ; elle parvient à faire perdre toute son immensité à cette Cité Interdite, et à en gommer toutes les perspectives. Elle change également la manière dont nous avons l’habitude de visiter des monuments historiques : il n’y a plus de temps ni de place pour flâner, lire, observer, on ne peut pas aller à contre-courant, il faut avancer, et avancer vite, avec le flux incessant des visiteurs.

Comme le récit l’aura peut être montré, la visite de la Cité Interdite n’est pas, et de loin, notre expérience préférée du voyage. Après deux heures passées à être ballotés dans les ruelles, les cours et les temples de cette Cité somme toute relativement froide et vide, nous sommes à deux doigts de la crise d’agoraphobie.

C’est dur pour tout le monde
Vraiment tout le monde

Nous sommes en tout cas contents de pouvoir nous extraire du flux et de grimper sur la colline au charbon qui surplombe la Cité Interdite, afin de contempler la ville de haut.

« – Chéri j’ai comme l’impression qu’on a oublié quelque chose à la Cité Interdite. »  « – Oh merde, Mémé! »

Le temple des Lamas et le palais d’été

Très peu convaincus par l’intérêt du tourisme de masse à la chinoise, nous sacrifions quand même aux « immanquables » de la ville, comme le temple des lamas, où se mêlent badauds et croyants, et le Palais d’été, résidence secondaire des empereurs.

Nous visitons le temple des lamas, en réalité vaste ensemble de temples et de lieux de prières, à travers la fumée des encens qu’allument les chinois par paquets de dix (comme si la pollution ne suffisait pas).

L’architecture, quoiqu’un peu répétitive, est très belle, la foule raisonnable, et la dimension touristique du lieu a au moins un avantage: nous n’avons pas l’impression de gêner le recueillement des visiteurs par notre présence.

Et après on s’étonne que Pékin soit toujours recouvert d’un voile nuageux
« Oh grand lapin, apporte nous du chocolat »

Tâchons de nous fondre dans le décor

Nous visitons également le temple adjacent, consacré à Confucius, encore plus calme, joli, mais un peu chiant; il faut dire qu’on ne comprend pas bien les écriteaux.

Le Palais d’Été, situé en dehors du centre ville, est, un peu à l’image de la Cité Interdite, une « épreuve touristique » pour le visiteur non habitué au tourisme à la chinoise. Il y a tellement de monde, dans ce Palais pourtant situé dans un grand parc encerclant un lac, que nous nous sentons à nouveau en proie à l’angoisse de la foule.

Nous grimpons dans les hauteurs du parc pour la fuir, mais elle est là, partout, à prendre des selfies, à cracher et à crier! Pour ces raisons mais aussi pour d’autres (l’aménagement à la Disney, le faux village de pêcheurs, les milliers de pédalos sur le lac), nous sommes plutôt déçus par le Palais d’Été, qui ne nous paraît pas aussi « immanquable » que le clament les guides touristiques.

A la recherche de la zénitude

Les hutongs de Pékin

Quiconque désireux de faire du tourisme dans l’Empire du Milieu doit apprendre ceci : en Chine, il n’y a pas grand chose de gratuit. Le tourisme, presque exclusivement intérieur, est essentiellement articulé autour de la consommation et le touriste tient plus de la vache à lait que de l’aventurier. Cependant à Pékin, pour le moment du moins, il y a une activité gratuite, c’est celle de flâner dans les quartiers traditionnels qu’on appelle les hutongs. Enfin disons plutôt que l’activité reste gratuite tant qu’on ne s’arrête pas dans un des innombrables magasins qui pullulent dans les rues les plus touristiques des hutongs.

Il y a une petite problématique fils électriques

Pour les présenter un peu plus précisément, les hutongs sont les quartiers qui ont survécu à la modernisation galopante de la ville. Ils opposent leur horizontalité (la plupart des maisons sont de plein pieds) à une ville qui s’affiche tout en verticalité, et leurs petites briques grises tranchent avec le déferlement d’acier, de béton et de verre des autres constructions. Ils sont des entrelacs de ruelles et de maisonnettes, dont certains sont très touristiques, avec des enfilades interminables de magasins qui vendent tous les mêmes choses (souvenirs et confiseries notamment), d’autres plutôt « bobo » et abritent cafés, bars et commerce à l’européenne, et d’autres encore sont restés très populaires. Sans eau potable courante ou système d’assainissement, ils semblent renvoyer à une autre époque.

La rue de la bouffe bizarre

Il y a dans Pékin le marché de la rue Wangfujing, mais nous proposons de l’appeler la « rue de la bouffe bizarre pour touristes ». C’est une longue ruelle coincée entre deux séries d’immeubles dans un quartier récent où fleurissent les enseignes que l’on retrouve désormais absolument partout sur cette terre (H&M, Starbuck, Chanel…) Elle est spécialisée dans la vente de nourriture fantasque que personne ne mange dans la vraie vie. On vient ici s’extasier ou s’horrifier devant les brochettes de scorpions (encore vivants), de mygales ou de larves, que certains tentent quand même de manger, avant de se rabattre sur des plats tout aussi étranges à nos yeux, comme les montagnes de tripes ou le poulpe frit.

Du pigeon pour les pigeons!

C’est donc une rue sympa un peu étrange, qui se donne une apparence folklorique sans l’être vraiment, mais comme partout à Pékin, il y a bien trop de monde!

Les hauts et les bas du tourisme pékinois

On l’aura peut être compris à la lecture de notre article, tout ne nous a pas absolument enchanté à Pékin, comme le tourisme de masse, le contrôle permanent de la population, et la très forte pollution.

Tourisme de masse et « agorasinophobisme »

Le pire, sans doute, c’est le tourisme de masse, nous le retrouverons d’ailleurs à chaque étape de notre voyage en Chine, car le secteur est en plein boom. Pour l’instant, il n’est pas accessible à toute la population, mais comme la Chine est le pays le plus peuplé au monde, cela suffit pour que les sites, et notamment ceux qui ont été reconnus au patrimoine de l’UNESCO, soient absolument bondés.

Évidemment, on ne reproche pas aux chinois de visiter leur propre pays, mais on peut déplorer la manière dont le flux touristique est géré, et surtout, exploité. Le tourisme à la chinoise est un tourisme de consommation plutôt que de contemplation, et c’est là qu’il a un côté aliénant. Il faut suivre un chemin tout tracé, prendre des photos, aller à la boutique de souvenirs, consommer, consommer, consommer. Tout est fait pour exploiter la manne touristique, au détriment du côté culturel, et la masse entraine des comportements peu civiques :  certaines personnes n’hésitent ainsi pas à bousculer ou piétiner les autres. De plus ce tourisme transforme les lieux, bétonne les allées, agrandit les sites, reconstruit les sentiers, pour permettre au plus grand monde de circuler et, ce faisant, il contribue à détruire ce qu’il prétendait montrer. Le Palais d’Eté se change en grand Disney Land, le temple des lamas en gigantesque brûleur d’encens, et la Cité Interdite semble privée de sa superbe.

« Mais non je ne suis pas vieille, j’ai 32 ans! Mais un jour j’ai voulu visiter la Cité Interdite durant les vacances nationales chinoises… »

Le voyageur occidental, pourtant touriste lui aussi, s’en retrouve déstabilisé. Il juge d’ailleurs souvent sévèrement la Chine et les chinois : nous l’avons constaté par des récits que nous avions pu lire de cyclotouristes en Chine (avec des articles titrant par exemple « on en a ras le bol de riz »), les témoignages de copains croisés en Russie ou en Mongolie, ou encore par ce que nous ressentons nous-même parfois. Nous proposons d’ailleurs d’appeler ce syndrôme l’agorasinophobisme, c’est à dire la peur, voire la haine, de la foule chinoise. Après tout, il y a bien le « syndrome de Paris« , alors pourquoi pas celui de Pékin.

L’agorasinophobisme se manifeste par un agacement croissant vis à vis des bousculades dans les lieux touristiques, des personnes qui parlent fort dans les trains de nuit, des cracheurs invétérés ou des doubleurs de files d’attente. Les auberges de jeunesse sont d’ailleurs pleines de voyageurs atteints d’agorasinophobisme, dont les formes aggravées finissent par friser le racisme, et qui souhaitent souvent traverser le pays le plus rapidement possible. Pour notre part, évidemment, nous nous sentons aussi agacés par certains comportements, mais nous essayons aussi de les relativiser, et de nous rappeler que nous rencontrons aussi plein de personnes adorables et très gentilles. Pour tout ceux qui vous doublent dans les files d’attentes, il y a tout ceux, bien plus nombreux, qui s’arrêtent dans la rue pour vous aider, qui vous laissent passer dans ces mêmes files, qui vous sourient tout simplement ; il ne faudrait pas les oublier.

De plus, s’agissant du tourisme, nous avons trouvé une parade! Le tourisme de masse est un tourisme feignant, qui se limite le plus souvent aux artères principales des attractions touristiques, et qui prend le bus ou le téléphérique pour éviter de se déplacer. Il suffit donc de marcher un peu plus, de s’éloigner des sentiers balisés, de choisir les escaliers et les randonnées plutôt que les escalators et les téléphériques, et l’on peut retrouver un peu de liberté.

Souriez, vous êtes filmés

Cette liberté, en Chine, est cependant toute relative, dans ce pays qui contrôle de manière permanente ses citoyens, physiquement et numériquement. A Pékin, il faut constamment, dans les gares, les métros et même dans la rue, passer des portiques, soumettre son sac à des scanners, montrer sa carte d’identité ou son passeport… Et internet aussi est contrôlé : en Chine, pas question d’utiliser les géants Google, Facebook ou encore Instagram, mais aussi nombre de petits sites bien utiles dans la vie de tous les jours.

Nous avions déjà remarqué, lorsque nous pédalions, que des portiques sur la route prenaient très régulièrement en photo tous les usagers de la route, mais à Pékin, l’ampleur du contrôle est décuplée. Il faut montrer son passeport pour entrer dans les attractions touristiques (quand on ne prend pas également nos empreintes digitales, comme au Mont Hua, dont nous parlerons plus tard) et parfois même les billets d’entrée sont enregistrés directement sur la carte d’identité. Une seule application, Wechat, permet de tout faire : payer autant ses factures de gaz que son repas au restaurant du coin grâce à un QR code, échanger des messages avec des amis, louer un vélo… Ce faisant, elle permet aussi de tout contrôler, savoir ce que chacun fait, dit, et où il va… Ce goût du contrôle ne date pas d’hier. Deux siècles avant JC, sous le premier empire, les chinois avaient déjà mis en place un système de contrôle de police dans les auberges : tout vagabond qui se faisait attraper à vagabonder était susceptible de devenir esclave d’État.

Même si la politique sécuritaire française nous avait déjà habitués au contrôle des individus, celui-ci nous paraît vraiment très présent en Chine. Parfois c’est quand même amusant quand les vigiles cherchent désespérément la page de notre visa chinois, puis s’arrêtent sur une page au hasard. Ils font alors semblant de déchiffrer notre visa burkinabé d’un précédent voyage ou un quelconque tampon, hochent la tête en signe d’assentiment et nous laissent passer !

Le smog pékinois

A Pékin, il y a une troisième chose assez terrible et qui ne donne pas envie de s’éterniser, c’est la chape de pollution qui recouvre régulièrement la ville. Elle se pose comme un filtre entre la ville et le soleil, créant une certaine opacité, qui donne l’impression d’évoluer dans le brouillard.

Le ciel tout bizarre et opaque de Pékin

Et ce nuage de pollution est immense, puisqu’il nous a accueilli dès Zhangiakou, à 150 km de Pékin! Selon David, le frère de Sophie (notre collègue du labo) que l’on a rencontré autour d’un canard laqué, le smog peut même former un couloir qui s’étend de la capitale jusqu’à Shangaï, qui est quand même à plus de 1000km! A ce qu’il paraît, la Chine a même demandé aux ambassades étrangères ( et notamment à l’ambassade américaine de Pékin)  d’arrêter de publier leurs propres relevés sur la qualité de l’air, tant ils tranchaient avec ceux émis par le gouvernement. Mais il n’y a pas vraiment besoin de relevés pour se rendre compte de la forte pollution de la ville car même si elle ne pique pas les yeux comme à Oulan Bator, elle se ressent quand même dans les bronches et la gorge après quelques jours, et donne des envies de campagne.

Mais voilà, reste t-il encore une campagne en Chine, entre l’urbanisation croissante, l’industrialisation galopante et l’exploitation agricole intensive ? Réponse au prochain épisode, quand nous aurons traversé un bout de Chine et visité les villes de Pingyao, Xi’an et Chengdu, avant d’atteindre Guilin et de récupérer nos vélos!

3 réflexions au sujet de « Jours 92 à 98 (1) : Visite de Pékin »

  1. Après la Mongolie désertique, le tourisme à la chinoise laisse rêveur même si cela nous rappelle la visite des chinois au Louvre en groupe circulant au pas de charge.
    Vivement le retour a la nature

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  2. Pas de brochette de tofu puant si je comprends bien ?! pourtant l’odeur rappelle le munster…

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    1. C’est pas sympa de nous parler de fromage après trois mois d’abstinence ! Malheureusement les brochettes de scorpions ont éclipsé des mets plus subtiles…

      Répondre

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