Jour 26, jeudi 9 août, 96 km, 442m de dénivelé : A fond les ballons dans les forêts polonaises
Pour ce jour, nous pourrions nous arrêter à cette constatation : aujourd’hui, on a pédalé. Vent dans le dos, longues routes goudronnées dans la forêt et faible dénivelé se sont en effet associés pour nous faire progresser rapidement !
Nous avons tout d’abord à nouveau traversé la forêt de Bialowieza, sans voir plus de bisons que la veille, malgré notre œil désormais exercé et acéré. Nous n’avons cependant eu ni la patiente ni le temps nécessaire pour nous lancer dans de nouvelles investigations dans les bois. Après Bialowieza, nous traversons un nouveau parc national, Narew, qui, à en croire son panneau d’entrée, abriterait aussi des bisons (dont nous ne verrons pas non plus la couleur).
Nous quittons les chemins de cailloux pour de petites routes goudronnées qui vont droit au Nord à travers la forêt et de jolis villages aux maisons de bois. Nous avançons vite grâce à un vent fort qui nous pousse dans le dos, et nous permet d’engranger 70 kms sans effort tels des petits Lance Armstrong. Il n’y a pas grand monde pour témoigner de nos exploits, à part quelques cigognes qui nous regardent nonchalamment du haut de leur nid. Elles sont vraiment partout dans l’Est de la Pologne, mais elles n’ont pas autant la côte qu’en Alsace, puisque c’est le bison qui recueille tous les lauriers. Ici, elles figureraient presque comme une espèce invasive, squattant les toits, les poteaux électriques et les champs.
Au bout d’un moment, le goudron s’arrête et de nouveaux chemins sableux et bien pentus nous rappellent que le vélo en Pologne, ce n’est pas si simple ! Nous nous arrêtons à 15 kms de Bialystok, la grande ville du coin, pour un bivouac dans une forêt de pins un peu étrange, dont nous ne savons toujours pas si elle sert de terrain de motocross ou de carrière d’extraction.
Jour 27, vendredi 10 août, 77 km, 160m de dénivelé : orage et désespoir dans les marais
Le lendemain, la route est moins agréable, puisque nous arrivons dans une grande agglomération, celle de Bialystok, ville sans grand intérêt. Elle nous fait penser aux clichés entretenus depuis la France sur la Pologne, avec de grandes artères parsemées de constructions très carrées qui rappellent l’ère soviétique. Elle ne fait que confirmer les a prioris négatifs que nous entretenions déjà avant notre départ (en préparant l’itinéraire) rien qu’à la résonance de son nom.
Faire du vélo n’y est pas agréable, malgré des pistes cyclables assez pratiques. Il faut dire que c’est la voiture qui domine, avec de grands boulevards jusque dans son centre-ville, incarné seulement par une grande rue pavée, coupée en son centre par la circulation automobile.
Piétons et vélos doivent s’adapter : on ne peut pas traverser, il faut passer sous terre par des escaliers, ce qui, avec de gros vélos chargés, n’est pas des plus évidents.
En sortant de l’agglomération, nos petits cœurs de français palpitent à la vue d’un Décathlon, d’ailleurs, nous y entrons pour acheter un opinel (celui de Victor a disparu lors du pot de soutenance de thèse, si jamais quelqu’un a des informations sur le sujet) et un short rembourré pour mon fessier qui souffre malgré une selle prétendument aussi confortable qu’un coussin de soie.
Malgré une église amusante en forme de lapin, la route qui suit n’est pas très sympathique, et la Green Vélo, jusqu’ici si sauvage, nous fait désormais longer une autoroute jusqu’à ce qu’elle trouve un pont pour nous faire traverser, et nous emmener vers un autre parc national, qui traverse des marais. Nous regrettons un peu de n’avoir pas coupé plus directement vers le Nord, acceptant un détour de plus de 40 kilomètres !
Et là, au détour d’un petit chemin de sable sensé faire office de raccourci, que ne voyons nous pas ? Des bisons ! Oh, pas des sauvages bien sûr, ils sont dans un enclos sous les pins, dans ce qui ne ressemble pas à une réserve ou à un zoo. Peut-être un collectionneur particulier… Nous profitons de la tranquillité des lieux pour mieux les observer, seuls à seuls avec les bestiaux. Il y a même un petit bisonneau, qui ressemble pour l’instant trait pour trait à un veau. Si lui gambade gaiement avant de s’étendre, la plupart des bisons sont couchés et tentent de s’envoyer du sable sur le dos avec leurs pattes, pour se rafraichir. C’est vrai qu’il fait une chaleur à faire cuire un œuf sur le casque d’un cyclotouriste!
Un gros mâle nous observe en train de l’observer, et s’approche de nous assez rapidement. Malgré le gros grillage, nous sommes presque tentés de reculer, mais nous réalisons qu’il n’est pas agressif, simplement curieux. Victor tombe sous son charme et, semblant le confondre avec un caniche, peut être en raison de sa toison bouclée, lui parle comme à un gros toutou. La bête semble l’apprécier en retour, acceptant même les herbes qu’il lui offre ; il est si sympathique que nous sommes désormais prêts à pardonner ses petits camarades de s’être cachés de nous à Bialowieza !
Alors que nous voulons avancer encore, la pluie, que nous avions presque oubliée à force de canicule, commence à tomber. Accompagnée de quelques grondements du tonnerre, elle nous contraint à un arrêt dans un MOR, sorte de station-service de cycloroute, où l’on peut trouver de quoi ancrer son vélo et s’abriter un peu. Celui-ci se situe dans l’enceinte d’une grande baraque abandonnée, où quelques adolescentes en manque d’inspiration squatte un gros préau en mangeant des graines de tournesol.
Alors que les gouttes s’espacent, nous pensons pouvoir repartir vers les marais, mais un orage phénoménal, dont l’épicentre semble être notre MOR, éclate alors. Il est tonitruant « un vrai tonnerre de Brest avec des cris de putois » comme dirait Brassens. Jupiter, sans doute énervé d’avoir dû se retenir en faveur de la chaleur de plomb de ces dernières semaines, donne pèle mêle tout ce qu’il a : éclairs qui déchirent le ciel, tonnerre grondant et pluie diluvienne. Il y ajoute un vent terrible qui pousse la pluie à venir nous chercher jusque sous le préau où nous avons trouvé refuge. Protégés par notre équipement de pluie mais bien rafraichis, il n’y a pas grand-chose à faire d’autre que remonter son col, raidir le dos et attendre. Le ciel a pris une couleur de pétrole qui ne présage rien de bon, et il pleut si longtemps que nous décidons de passer la nuit sous notre préau, qui, s’il est bien glauque, à l’avantage inégalable d’être aussi bien sec. Les marais nous attendrons bien jusqu’à demain et la pluie devrait s’arrêter…
Jour 28, samedi 11 août, 83 km, 160m de dénivelé : Progression en milieux humide
Hé non, le lendemain, c’est la même chose ! Il n’y a plus d’orage, mais il pleut à grand baquets ! Nous nous équipons bien et prenons enfin la route des marais en traversant d’abord une grande forêt dense et moussue. C’est joli, très joli, dommage que la pluie ne donne pas envie de s’arrêter !
Nous traversons cette forêt dans un nouveau parc national : Biebrza. A nouveau parc, nouvel animal fétiche ; ici, c’est l’élan ! Enfin en fait on ne sait pas bien de quel animal il s’agit. Il est appelé Elk en anglais, qu’on peut traduire par wapiti, mais les photos que l’on peut voir le long de la route montrent un animal que l’on rapprocherait plutôt de l’élan. Quoi qu’il en soit, de toutes façons, il est à peu près aussi visible que le bison.
La forêt est magnifique, sans doute plus belle encore que Bialowieza, car plus touffue, plus exubérante et mystérieuse ; plus proche en somme de ce que l’on s’imagine quand on entend « forêt primaire ». La pluie rajoute à cette belle ambiance, mais nous empêche cependant de nous arrêter : quand on est trempés et que l’on a pour tout horizon des rideaux de pluie froide, on n’a pas très envie d’aller courir les sous-bois spongieux. Nous continuons donc sur une route heureusement délaissée par les voitures, et zigzaguons entre les escargots. Ces derniers se jettent en gros escadrons baveux sur le goudron. Ils doivent profiter de ces seaux d’eau de pluie inondant la route pour la traverser, une accalmie pour eux dans cet enfer de sécheresse, afin de rejoindre, qui sait, un ami, un parent, un collègue. Les voitures qui passent les déciment par dizaines, insensibles à leur courageuse quoique périlleuse entreprise. Pour notre part, nous nous montrons attentifs à ne pas transformer leur déplacement en terrible crise migratoire, même si Victor avoue un peu plus tard avoir entendu un ou deux craquements sous ses pneus.
Après quelques quarante kilomètres qui nous ont paru bien longs, nous nous abritons et nous réchauffons au seul restaurant à des lieux à la ronde. Nous y croisons d’autres cyclistes tout dégoulinants, et décidons d’abandonner notre pique-nique au profit de bons et surtout chauds plats polonais. Nous discutons un peu avec des cyclotouristes venus de Varsovie pour tâter de la Green Vélo et qui se sentent un peu trahis par les prévisions météos. L’un d’entre eux tout particulièrement nous inspire de la compassion : il n’a pas prévu autre chose qu’un tee-shirt et un cycliste, et essaie péniblement de se réchauffer avec une serviette de toilette sur les épaules.
Nous dégustons tout particulièrement un goulash épicé accompagné d’orge succulent. L’endroit est assez cool, tout en bois, il fait un peu penser à un biergarten d’intérieur. Nous le squattons un bon moment, puis, par désespoir d’arriver à sécher, nous reprenons la route.
La pluie diluvienne s’arrête enfin en milieu d’après-midi, mais abandonne un ciel morne et gris, aux cigognes détrempées. Nous avançons encore un peu, notamment car nous avons réalisé que nous sommes en retard sur nos échéances. Nous nous disons un peu naïvement que nous allons trouver les routes plus praticables maintenant que le sable est mouillé: mais non, on s’enfonce moins peut être, mais ça colle aux roues.
On joue un peu à qui tombera dans l’eau boueuse en premier, mais en fait on est devenus trop bons : on s’enfonce un peu dans la boue mais on tient bien en selle.
Le paysage commence à changer, et les longues forêts laissent progressivement la place à des plaines agricoles parsemées de fermes, mais nous trouvons quand même un petit bois de pins pour planter la tente. C’est mieux pour bivouaquer que dans la forêt inquiétante de Briebza aux airs de Brocéliande, et c’est très certainement un paysage champêtre qui nous attend le lendemain, alors que nous tenterons le passage d’une nouvelle frontière, la Lituanie.
Jour 29, dimanche 12 août, 101 km, 471m de dénivelé : Arrivée en Lituanie
Après quelques kilomètres ce matin, nous arrivons dans une ville assez touristique, Augustow, porte d’entrée d’un nouveau parc national fait de lacs et lieu de vacances des varsoviens. Nous remontons à contre-courant d’un flot de gens bien habillés : mais où vont-ils donc tous ? Voyons, à la messe bien sûr, nous sommes dimanches, et en Pologne, on ne plaisante pas avec ces choses-là.
Pour notre part, nous passons dans le centre-ville très calme d’Augustow pour faire quelques courses et épuiser nos derniers zlotys, mais tout est fermé, dimanche oblige. Nous nous rabattons sur une pâtisserie et y achetons des kilos de gâteaux, dont des cookies très bons que Victor s’empresse de dévorer. Pas d’inquiétudes pour sa ligne : il a fondu comme neige au soleil ces derniers jours !
Nous rencontrons un vieux monsieur polonais, qui parle français (le premier de notre voyage) et nous invite à sa table pour un thé. Mais ce monsieur est un peu étrange : au lieu de nous parler, il consacre les quelques dizaines de minutes que nous passons avec lui à écrire sur son ordinateur un article sur facebook qui relate notre rencontre. Sans beaucoup nous adresser la parole, il détaille en français son menu et nous prends plusieurs fois en photos sans se soucier de notre droit à l’image.
Nous quittons cet excentrique personnage pour gagner les lacs d’Augustow et une presqu’île très religieuse. Dessus, il y a plusieurs églises, et une messe en extérieur, faute de place dans l’édifice. En athées curieux que nous sommes, nous nous arrêtons un peu pour observer ce moment étrange, fait de prêche et de chants. Nous avons encore quelques zlotys à dépenser, nous nous approchons de petits stands en bois qui ont l’air de vendre des choses : parmi les chapelets, nous finissons par trouver ce que nous voulons, du miel, puis nous reprenons la route.
Nous faisons une pause pique-nique au bord d’un lac pour se restaurer et surtout faire sécher notre tente pendant que de courageux polonais se baignent en slip. Il y a un vent très fort et froid qui rend l’arrêt peu agréable !
Notre chemin continue à travers la forêt puis nous ramène vers une campagne très profonde et isolée, en direction de la frontière lituanienne. Preuve que la route est peu empruntée par les vélos, les vaches qui nous voient sursautent et font des écarts à notre passage. Elles ne peuvent cependant aller bien loin : elles ne sont pas dans des près clôturés comme en France, mais sont attachées par les cornes à des chainettes longues de quelques mètres. Les chevaux pour leur part, ne sont pas non plus enclos, mais leurs déplacements et leurs éventuelles stratégies de fuite sont limités par une corde d’une trentaine de centimètres, qui lie leurs deux pattes avant.
C’est dans ce paysage très rural et qui se vallonne, ou qui ondule plutôt en de toutes petites collines, que nous passons la frontière, sur des routes qui cahotent. Elles ne sont pas tout le temps goudronnées, et quand elles le sont, il s’agit d’un patchwork de multiples couches de goudron de différents âges, qui secoue nos vélos presque encore plus sûrement que les cailloux.
Il est tard et il fait déjà un peu sombre quand nous franchissons notre quatrième frontière, et nous décidons, bien fatigués, de camper un peu après. Comme à chaque passage de frontière, nous sommes traversés de sentiments divers et contradictoires : la joie d’avoir avancé mais aussi un petit pincement au cœur de quitter déjà un pays qui nous plaisait bien. Nous ouvrons grand nos mirettes pour observer ce nouveau pays qui nous accueille, dans l’espoir d’en être acceptés, mais le coin est aussi déserté que du côté polonais.
Sans avoir encore croisé un lituanien, nous trouvons un champ ondulé et humide, et faisons un rapide repas auquel grenouilles et salamandres viennent se mêler (elles viennent sauter près du feu, hein, on ne les mange pas !). Alors qu’il fait presque nuit, un gros chevreuil curieux sort de la forêt et s’approche en bondissant de nous. Il est un peu moins discret que les grenouilles quand il prend tout à coup peur et file à une vitesse impressionnante vers la forêt, où il pénètre à grand bruit et en poussant de sinistres cris qui font penser aux jappements de douleur d’un gros chien. C’est un peu inquiétant, il faut bien le reconnaître ; ah, les joies du camping en pleine nature!
Une réflexion au sujet de « Jours 26 à 29: Cap plein Nord, de la Podlasie à la Lituanie »
Ô rage ! ô désespoir ! … Quand m^me on peut garder la suite pour plus tard (ô viellesse ennemie ! )
Un temps de repos en famille au bout de la route, c’est bien mérité. (Les parents de Cécile trépignent d’impatience)
Merci
Bill & Anne