Après notre tour, quoique très sympathique côté paysages comme compagnons de voyage et apprentissages, nous avons envie d’aventure, de vraie aventure, comme celles que nous vivions à vélo : incertitude, autonomie, rencontres improbables. Nous décidons donc de nous émanciper des auberges de jeunesses et des tours organisés pour tester le voyage indépendant. Comme mes genoux ne sont pas encore bien vaillants, malgré les bons conseils de Brice, un ami de Victor, kiné de son état, nous irons à pied!
Nous voici embarqués dans un épisode des aventures de Victor et Cécile au pays des mongols ! Pour ce faire, après encore un jour de glande passé à Golden Gobi (jour 76), où nous avons le plaisir de retrouver Antoine et Amélie pour une petite bière dans un bar sympa de Youbi (Green zone pour ceux que ça intéresserait) nous faisons nos valises le 29 septembre et nous déménageons chez « le » warmshover d’Oulan Bator, Froit.
Jour 77, samedi 29 septembre : En accueil chez Froit à Oulan Bator
Froit est un hollandais, expatrié depuis plus d’une dizaine d’années à Youbi, il vit dans un quartier populaire de la ville et fait dans la fabrication de yourtes mais aussi de différents chapiteaux destinés à la vente locale (notamment pour des camps de touristes ou des tournages de films) et à l’exportation en Europe. Il est marié avec une mongole et vit avec elle, et souvent avec sa petite fille, Margareth, la petite princesse des lieux.
Nous en apprenons beaucoup avec lui sur la situation économique et géopolitique du pays, sur le cours du charbon et du cuivre, sur le commerce des tipis et des yourtes. Froit est sympa et très accueillant, il a des airs de jean Rochefort avec ses yeux bleus et ses cheveux gris, et il cherche à inventer et réinventer en permanence des manières de vivre plus durables dans Youbi, cette ville qu’il aime malgré ses défauts. Même s’il reste dépendant du charbon, une énergie très abordable et indispensable pour survivre à la rigueur du climat, il a quand même installé des systèmes de récupération de la chaleur du soleil, il a des toilettes sèches à base de papier journal et cherche à isoler sa maison avec des murs en papier journal. Nous dormons dans son atelier au premier étage de sa maison, et ma foi, sans être particulièrement confortable, c’est très accueillant.
Nous préparons notre trip pour les jours suivants, que nous comptons réaliser à une cinquantaine de kilomètres de Youbi, dans le parc national de Gorki Terelj. Comme c’est un peu en altitude et qu’il fait des températures négatives la nuit, nous ne pouvons pas décemment y camper, puisque nous sommes sous équipés, mais nous comptons bien trouver une ger de nomades sympathiques pour réaliser un rêve de petite fille (plutôt pour moi que pour Victor du coup) : faire du cheval au pays des cavaliers !
Si l’incertitude est de mise puisque nous n’avons pas de plans précis, elle n’est pas non plus totale : des français rencontrés dans notre première auberge de jeunesse nous ont donné les coordonnées GPS d’une yourte de nomades qui fait dans l’accueil de touristes. Cela se fait normalement dans le cadre d’un réseau associatif appelé « Ger to ger » qui fait dans le tourisme éco-responsable en mettant en relation nomades et touristes et en dispensant une formation à toutes les parties. Nous ne voulons pas passer par ce réseau par soucis d’économie (et car nous voulons l’aventure !) et que nous pensons avoir acquis grâce à notre guide Tsitskey les basiques du comportement à respecter dans une ger.
Victor est très sûr de lui : il en a assez de l’ambiance « voyageur du monde » des auberges de jeunesse et veut renouer avec le sentiment d’aventure. Moi personnellement, je suis un peu plus dubitative : que se passe-t-il si on ne trouve pas les fameuses yourtes ? Après tout, les nomades sont nomades comme leur nom l’indique, ils ont très bien pu se déplacer, et nous partons sans tente vers des contrées inconnues. Le risque est moins de ne pas trouver quelque part où dormir que de finir dans un des infâmes camps de yourtes très cher qui défigurent la montagne et qui pullulent dans les environs de Terelj où nous nous rendons.
Victor finit par obtenir gain de cause et nous préparons nos sacs pour quelques jours de voyage à Terelj. Froit et sa femme sont tellement gentils qu’ils nous prêtent un sac à dos et qu’ils me donnent même un nouveau remède pour ma tendinite : un tissu enduit de propolis qu’il faut humidifier à la vodka et enrouler autour du genou douloureux.
Allez, il n’y a plus d’excuses pour partir à l’aventure !
Jour 78, dimanche 30 septembre : Les aventures de Cécile et Victor en Mongolie, épisode 1 « trouver la yourte »
Et des aventures, nous allons en avoir ! Elles commencent même avant le commencement, si j’ose dire, puisque nous passons d’abord deux heures à attendre le bus de Terelj qui ne vient pas. Frigorifiés, nous avisons deux étrangers qui attendent au même arrêt et qui, la chose est sûre, vont aussi à Terelj. Nous rencontrons donc Peter et Westley, des américains du Wisconsin, qui voyagent depuis Hong Kong avec l’intention de s’installer en Europe après avoir traversé la Russie, pour fonder une compagnie de software. Nous décidons d’un commun accord d’attendre encore un peu ce satané bus, puis nous tenterons de faire le trajet en taxi : à quatre, cela ne devrait pas faire bien cher.
Alors que nous en sommes là de nos réflexions, nous sommes interrompus par un mongol qui s’avance vers nous l’air mauvais, répandant dans l’atmosphère une lourde odeur de vodka. Son physique de sumo et son air patibulaire n’annoncent rien de bon. Il nous parle d’abord plus ou moins en allemand, demandant si on ne serait pas des germaniques. Alors que Victor répond par la négative, il demande alors en anglais « where do you come from ? ». Victor lui répond, avec un sourire désarmant de gentillesse qui tente de désarmer sa mauvaise humeur « France ». Il y a dans le regard cotonneux du gros homme un petit moment de flottement, puis, sans prévenir, sans raison, sans logique, il lance une grande droite dans le visage de Victor ! Trop alcoolisé il le loupe – fort heureusement vu la carrure de l’agresseur – lui frôlant l’oreille, mais on n’a jamais vu violence plus gratuite et vin plus mauvais !
Un type nous vient en aide et ceinture le gros sumo, dont le petit regard porcin nous lance des éclairs alors que, nom de nom, on ne lui a rien fait à part qu’on a des têtes d’étrangers ! Apparemment, ce sont ici des choses qui arrivent, nous étions prévenus, mais quand même, ça secoue ! Le sumo voulant toujours nous casser la figure, nous battons en retraite avec Peter et Westley, pour attendre le bus un peu plus loin. Alors qu’il devient clair qu’il n’y a pas plus de bus pour Terelj que de cervelle sous le crane du gros mongol, nous optons pour le taxi. Pour une heure de route, cela nous revient à 5 euros par personne, c’est toujours 10 fois plus cher que le bus, mais au moins nous sommes où nous voulions aller.
Nous voilà donc à Terelj, petit village mongol dans les montagnes d’un beau parc naturel à seulement une heure de route de la capitale. Même s’ils sont bien sympathiques, nous quittons les américains car nous avons envie de nous retrouver tous les deux pour nous lancer à la recherche de notre mystérieuse ger. Ils vont à gauche, dans l’espoir de trouver eux aussi un hébergement, et nous prenons à droite, pour longer sur 6km une rivière et trouver grâce au GPS la fameuse yourte.
La balade est plutôt sympathique, mais je suis un peu inquiète : si l’on ne trouve pas la yourte, nous risquons de devoir rebrousser chemin à la tombée de la nuit et, de plus, à chaque fois que nous croisons une habitation nomade, nous avons droit au concert de hurlement de chiens et de babines retroussées. Même si les molosses se calment dès qu’on s’éloigne un peu, c’est assez effrayant et sachant que les vélos les excitent plus que tout autre chose, nous sommes bien contents d’être à pied.
Nous longeons une rivière que nous devons visiblement traverser, mais évidemment il n’y a pas de pont…
Nous cherchons un gué pendant un moment, et puis, par désespoir de cause, Victor enlève ses chaussures et teste la température de l’ondée. Évidemment, quand il fait dix degrés à l’extérieur et qu’on est en montagne, l’eau n’est pas « chaude, chaude ». Elle est même particulièrement glacée, et, pour ajouter au supplice, elle nous monte jusqu’au-dessus des genoux. Victor, qui est passé en premier, a cependant le courage de revenir en arrière me porter secours alors que je glisse sur les rochers. Une petite vidéo prise après la traversée résume bien notre traumatisme…
En même temps, pourquoi les gens se fatigueraient-ils à faire des ponts, quand il leur suffit de traverser à cheval ? Nous continuons notre petite route sur un ou deux petits kilomètres, jusqu’à l’endroit indiqué par le GPS. Oh, surprise, à l’endroit exact, il n’y a rien… Alors que je subis un petit début de découragement, Victor avise une yourte un peu plus loin devant laquelle quelqu’un est occupé à charrier du bois. Nous voudrions bien aller nous renseigner, mais les quatre gros chiens qui encadrent le monsieur en aboyant dans notre direction ont un petit côté dés-incitatif. Alors que, nous armant de courage, nous nous approchons malgré tout, c’est une vraie vision d’épouvante que de voir les chiens s’élancer en hurlant dans notre direction.
Il se passe alors une chose tout à fait surprenante autant que rassurante : dès que nous établissons contact avec le monsieur, les chiens se calment et ils deviennent même d’adorables toutous qui nous sautent dessus pour faire connaissance, manquant de nous renverser, mais avec les meilleures intentions du monde. L’un d’entre eux, visiblement en manque de câlins, se jette même devant les pieds du monsieur dans l’espoir d’avoir des caresses. Le monsieur ne s’arrête pas pour autant, et finit par marcher sur le chien étalé devant lui, sans que celui-ci se plaigne outre mesure. Les chiens mongols font un peu penser au climat mongol, ils ont un changement total d’humeur qui rappelle les fortes amplitudes thermiques de la météo ! Un moment il fait beau, et quelques secondes après, c’est le déluge ; on croit avoir affaire à un terrible molosse, et dans le fond, c’est un gentil caniche.
Nous sommes invités à l’intérieur d’une yourte, où le monsieur, dont malheureusement nous n’avons pas retenu le nom, nous installe sur un des lits et nous sert un thé au lait. Comme nous l’avons expliqué dans notre article précédent, il s’agit d’un rituel nomade : tous les étrangers ou voyageurs qui passent dans la yourte sont invités à boire le thé au lait et à se servir d’un gâteau dans le saladier qui trône sur la table basse de la yourte.
Dans la yourte, il y a aussi une dame (la sœur du monsieur), dont nous apprendrons qu’elle s’appelle Tsitskey, et qui connaît quelques mots d’anglais. Nous sommes bien tombés, c’est elle et son mari, Tchoka, qui accueillent des hôtes en « ger to ger ». Nos coordonnées GSP n’étaient donc pas totalement fausses ! Avec un peu de mime et d’anglais, nous parvenons à lui expliquer que nous cherchons un endroit où dormir et éventuellement faire du cheval. Elle nous indique que c’est tout à fait possible, nous donne les prix, qui sont tout à faits corrects, voire bas pour le coin, et hop l’affaire est conclue. Nous sommes ravis, comme en témoigne cette vidéo, que nous faisons alors que nos hôtes sortent pour discuter :
Tsitskey nous emmène à une centaine de mètres de sa ger, vers la ger des invités, où, grand luxe, nous serons seuls ! L’ensemble est rustique : deux lits, un poêle, une bonbonne plastique d’eau à remplir à la rivière, une table basse hors d’âge et pas mal de petits trous partout, mais nous trouvons cela parfait ! Tsitskey nous accompagne ensuite un peu plus loin dans un champ, où d’autres nomades sont occupés à faucher les herbes pour faire du foin pour l’hiver. Nous rencontrons Tchoka, le mari de Tsitskey, qui gère les relations « ger to ger », un autre frère de Tsitskey, Roïga, et un jeune, qui nous dit en français : « bonjour comme ça va ? ». Victor s’essaye un peu au fauchage, mais sans grand succès, c’est qu’il en faut de la dextérité !
Plus tard, alors que la nuit tombe, nous rentrons dans la ger et nous nous faisons du thé et une petite soupe au cresson, issue de nos dernières réserves de soupes françaises données par Nicole, ma mère, lors de nos retrouvailles en Estonie en août. Nous avons été peu prévoyants: nous avons un peu oublié de faire les courses, et pour trois jours nous avons en tout et pour tout un quignon de pain, une boîte de thon russe (ou d’un autre poisson, on ne sait pas trop), un sachet de soupe, un fond de pâte d’arachide et deux paquets de pâtes chinoises lyophilisées (et pas de papier toilette !). Nous préférons voir les choses sous le bon angle : après une semaine de pitance majoritairement à base nouilles, de gras et de mouton, servie en grande quantité, un petit jeûne nous fera du bien !
Nous sommes aussi équipés un peu légèrement pour passer la nuit par les températures négatives des montagnes, mais heureusement, le monsieur du début passe dans notre yourte, tâte un peu nos sacs de couchages, puis revient avec deux couvertures, oh combien appréciables. Au milieu de la nuit, alors que le feu du poêle s’éteint faute d’entretien, il fait si froid dans notre ger rudimentaire et dont le toit est ouvert, que l’eau gèle dans notre casserole ! Grâce aux couvertures, nous passerons une nuit frisquette mais vivable.
Quand nous sortons la nuit, nous avons le droit à un des plus magnifiques ciels étoilés que nous n’ayons jamais vu. Si la lune est absente, on a l’impression de voir toutes les étoiles de la galaxie, et le spectacle d’une voie lactée particulièrement bien dessinée n’est gâché par aucune pollution lumineuse. Nous observons ce magnifique ciel nocturne, puis nous rentrons nous coucher, il faut être en forme demain pour notre journée de cheval !
Jour 79, lundi 1er octobre : les aventures de Victor et Cécile en Mongolie, épisode 2 « à cheval par monts et par vaux »
Le réveil dans notre petite yourte de Terelj est un peu frais mais grâce à la dextérité de Victor, nous avons un poêle allumé en à peine une demie heure.
Nous faisons donc dégeler notre eau pour un petit thé, puis nous prenons un rapide petit déjeuner, fait d’une banane pour deux et de notre quignon de pain à la pâte d’arachide. A dix heures, comme convenu la veille, nous sommes prêts pour grimper sur nos grands chevaux.
Mais ce n’est pas exactement comme ça que ça fonctionne, déjà parce que les chevaux mongols sont tout petits, mais surtout parce que d’abord, nous sommes conviés à nous asseoir dans la yourte car c’est l’heure du petit déjeuner. Nous avons droit au même traitement que les faucheurs de la veille, qui sont déjà assis dans la yourte : gros bol de soupe de viande et gras de mouton, patates et nouilles, avec un peu de chou. Nous prenons donc notre second petit déjeuner, plus roboratif que le premier, accompagné de thé au lait, mais nous déclinons les os de mouton à ronger, il est un peu trop tôt pour nous. Victor manque d’ailleurs de poser notre sac sur une tête de mouton qui traine au sol, le propriétaire de la viande dont nos hôtes se régalent, sans doute.
Après, c’est l’heure de grimper sur nos montures. Notre guide pour la journée, Roïga, la cinquantaine galopante, bon mime mais mauvais anglophone, nous explique les basiques. Tu tires la rêne à droite pour aller à droite, à gauche pour aller à gauche, vers l’arrière pour freiner… Pour l’instant, on connaît. Il y a cependant une petite subtilité : pour faire avancer les chevaux, la commande est orale. Au lieu de dire « hu » comme un européen ou « yiha » comme un yankee, en Mongolie on dit « tchou ». On peut dire ou crier « tchou » mais lors de la balade notre guide a plutôt tendance à le murmurer ou à le siffler de manière très régulière. Nous pensons que le « tchou » murmuré doit évoquer aux chevaux le son d’une corde qui siffle au vent… Ceci étant dit après expérimentation on peut indiquer que la commande vocale n’est pas d’une grande efficacité sans quelques petits coups de talons. Nous apprendrons aussi qu’il n’y a que deux allures acceptables, le trot et le galop ; le pas, Roïga n’aime pas.
Côté monture, j’ai droit à un cheval (en France on le qualifierait sans doute de poney) blanc, petit mais râblé, doté, oh joie, non pas d’une selle mongole en bois, mais d’une selle russe avec un coussin de cuir. Naïfs que nous sommes à ce moment-là, nous nous extasions sur le confort que ces selles procurent. Je nomme mon petit cheval Parachute, en hommage à mon premier poney, un petit shetland blanc plus large que haut.
Victor se voit confier un cheval couleur café au lait, mais qui semble doté d’un défaut de fabrication. En effet, il ne répond ni à la commande vocale, ni à la commande manuelle et reste planté là, au milieu du chemin.
Un mécanicien intervient et fait descendre Victor, puis prend se place sur le dos du cheval impassible et… part à tout allure au triple galop, presque les mains dans les poches, faisant tourner une corde comme un lasso. Apparemment, nous étions plutôt face à un problème de cavalier peu convaincant que de monture défectueuse. Ce n’est pas grave, il suffit d’attraper un autre cheval plus docile dans le troupeau, de le seller et hop c’est parti. Enfin, plus précisément, Roïga donne sa monture à Victor et enfourche le nouveau cheval gris dont ils viennent de troubler la quiétude et qui manifeste son désaccord par quelques ruades. Et nous voilà partis, accompagnés d’un des chiens de Roïga!
Nous commençons par marcher un peu, puis par traverser un petit bras de rivière. Il n’y a pas à dire, alors que la rivière charrie des blocs de glace, nous sommes bien contents que ce soit au tour des chevaux de se geler les orteils. Nous marchons un petit moment dans la vallée, jusqu’à devoir effectuer une autre traversée, celle de la rivière Tuul, qui nous paraît bien tumultueuse.
Roïga nous montre la méthode : il faut déchausser les étriers et remonter les pieds le plus haut possible pour éviter de se mouiller. Nous ne sommes qu’à moitié rassurés quand nous l’observons passer en premier, et que son cheval, de l’eau jusqu’au milieu du ventre, semble presque emporté par le courant. Parachute a le pied plus sûr et, même s’il glisse un peu sur les cailloux, me mène sèche et sauve sur l’autre rive. Victor n’a pas cette chance, son cheval gîte un peu sur la gauche et plouf, un pied et une jambe de mouillés !
Notre balade, qui s’enfonce de plus en plus dans la vallée, nous permet d’observer de beaux paysages forestiers ainsi que des troupeaux de chevaux et de yaks, ces petites vaches toutes poilues, qui nous regardent de dessous leur frange.
Au bout de deux heures, alors que Roïga nous interroge sur ce que nous voulons faire, Victor fait signe qu’il veut descendre, et prendre le chemin du retour, car après deux heures, le mal de fesses commence à poindre et ses pauvres orteils mouillés sont gelés. Notre guide en profite pour récupérer son cheval, et confier le gris à Victor, qui le nomme alors Mon Petit Père, mais qui aurait pu l’appeler Gros Pépère, vu l’allure à laquelle celui-ci se traine. Malgré tous les encouragements vocaux de Victor, qui doit bien répéter « tchou » 150 000 fois, donnant l’impression qu’il tient un rhume très sévère, Mon Petit Père n’avance qu’au pas, et pas au pas de course ! En même temps, nous disons-nous, les chevaux sont peut-être fatigués, cela fait deux heures qu’ils avancent surtout au trot et un peu au galop, et qu’ils affrontent le courant des rivières.
Roïga pense peut-être la même chose, puisqu’il nous arrête près d’une ger, où nous faisons une pause. Une femme nous invite à nous asseoir et nous sert un thé au lait de yak, avant que son mari, que nous avions vu au loin occupé à déplacer son troupeau de yaks, ne nous rejoigne. Les nomades discutent tandis que nous découvrons le beurre de yak, un beurre crémeux délicieux qu’on étale en paquet sur un bon gâteau de crêpes mongoles. Victor apprécie tellement qu’il se ressert et pense que quand les mongols rient c’est qu’ils se moquent de sa gourmandise. La dame de la yourte nous sert ensuite notre meilleur repas mongol jusqu’ici : ce sont encore des pâtes au mouton, aux patates et au chou, mais celles-ci, relevées à l’oignon et à l’ail, sont délicieuses !
Après cette petite pause fort roborative, nous repartons tout ragaillardis, et nos chevaux aussi, à en juger l’allure dynamique qu’ils adoptent. S’ils avancent aussi bien avec un minimum de « tchou » et de coups de talons, c’est sans doute parce qu’ils savent qu’ils sont sur le chemin du retour, mais Roïga a d’autres projets pour eux comme pour nous. Il nous propose, en faisant un ample geste du bras, de prendre un autre chemin qui contourne une montagne, pour rentrer vers les yourtes.
Séduits par l’idée, nous levons le pouce en signe d’acquiescement. En fait, il semblerait que nous n’ayons pas bien compris Roïga : on ne va pas contourner la montagne, non, non, on va passer tout droit, monter tout en haut, et redescendre tout en bas ! S’ensuit alors une escalade dont nous ne pensions pas les chevaux capables ! Ils forcent notre respect alors que nous montons tout droit à travers la montagne sur des chemins escarpés et encombrés de tronc d’arbres affaissés. Le chien noir qui nous accompagne aussi nous impressionne, voilà bien trois heures qu’il galope et traverse à la nage des rivières, sans manger et la gueule toujours fendue par ce qui ressemble à un sourire béat. Au bout d’un moment, alors que Parachute tient très bien la route et ne bronche jamais, Mon Petit Père donne des signes de fatigue (ou de fainéantise), il ventile comme un ordinateur puis bug et s’arrête en pleine montée. Victor a beau insister de la voix et des talons, rien n’y fait, et c’est Roïga qui doit venir motiver l’animal, en lui giflant les fesses avec une longe.
Nous arrivons tant bien que mal en haut de la montagne, mais nous avons à peine le temps de souffler car Roïga, aussi infatigable que son chien, a entendu des cerfs et nous lance à leur recherche. Nous descendons des chevaux – et ça fait un bien fou aux fesses et aux genoux ! – pour les prendre par la bride et les tirer entre les troncs et les rochers. Nous apercevons enfin les cerfs, petites tâches grises à l’orée de la forêt : il y a un mâle à la grande ramure et trois biches, mais ils prennent rapidement la tangente quand ils perçoivent notre présence.
Tenant toujours les chevaux par la bride, nous redescendons de notre montagne au cours d’une randonnée un peu glissante, puis nous enfourchons à nouveau les chevaux quand la pente se fait plus douce, et nous prenons le chemin du retour.
Il fait presque nuit quand nous arrivons aux yourtes, et nous sommes bien crevés et bien sales !
Roïga s’occupe des chevaux et nous envoie rejoindre Tsitskey et Tchoka dans leur ger, où ils nous offrent un thé au lait et des gâteaux. Génial, eux aussi ils ont du beurre, même s’il est à base de lait de vache et non de yak. Les faucheurs de ce matin et notre guide arrivent aussi dans la tente, et c’est l’heure de la vodka !
Des russes à Irkoutsk nous avaient prévenus : « don’t drink vodka with mongolians », car ils sont difficiles à suivre, mais nous, nous avons bien envie de savoir comment cela se passe. C’est assez rigolo en fait : tout le monde boit dans le même bol, qui tourne autour de la table. C’est Tchoka qui remplit le bol et il y met une bonne dose, l’équivalent de deux ou trois shooters, puis il le tend successivement à chaque personne, qui a pour tâche de boire entièrement le liquide transparent à 38%, avant de lui rendre le bol. Et les tours se succèdent !
Au troisième, je sens déjà que j’ai eu ma dose, mais Tchoka me rassure en mimant : « après, tu vas dormir ». Comme si on avait besoin de somnifère après avoir fait presque sept heures de cheval par tous les terrains. Pendant que nous picolons de la sorte, nous regardons un peu le sport à la télé (on nous félicite d’ailleurs pour la coupe du monde de football) puis on regarde des albums de famille… C’est à cette occasion que nous apprenons les liens familiaux qui lient nos hôtes entre eux, leur âge, et aussi qu’ils ont des enfants plus ou moins grands qui vivent à Oulan Bator. C’est mignon car ils les appellent leurs « bèbès » alors qu’ils sont déjà tous adultes et eux-mêmes parents.
Au quatrième tour du bol de vodka, nous discutons de notre programme du lendemain. Alors que nous expliquons que nous voulons aller marcher et faire du stop pour aller voir la statue de Gengis Khan (une immense représentation du conquérant juchée sur un cheval), nos hôtes s’étonnent : pourquoi ne pas y aller plutôt à cheval ? Nous protestons que c’est trop loin, à presque une cinquantaine de kilomètres, mais Tchoka n’est pas d’accord : à pied peut-être que c’est loin mime-t-il, mais à cheval, en coupant vers la montagne, ça n’est pas loin ! Un peu éméchés, et plutôt ravis de notre première balade à cheval, nous finissons par accepter une nouvelle balade avec Roïga jusqu’à la statue, très mauvaise décision alcoolisée s’il en est !
Un résumé de la soirée en vidéo :
Jour 80, Mardi 2 octobre : les aventures de Victor et Cécile en Mongolie, épisode 3 « sur les traces de Gengis Kahn »
A 10h ce matin, nous sommes prêts pour retenter l’expérience de la balade à cheval vers de nouveaux horizons, pour aller contempler l’immense statue de Gengis Kahn, bâtie non loin de Terelj il y a une dizaine d’années. Comme la veille, nous sommes invités à manger un plat de pâtes patates mouton et constatons que la tête du mouton est toujours au même endroit sur le sol de la yourte : mais pourquoi la gardent-ils ici ?
Dès le début, Mon Petit Père fait des siennes, refusant d’avancer malgré tous les « tchou tchou » poussés par Victor, et Roïga doit constamment lui gifler les fesses avec sa longe. Il fait tout pour éviter d’avoir à prendre le galop et notre moyenne s’en ressent.
Encore une fois, les paysages sont magnifiques, mais après plus de trois heures de route et toujours pas de statue de Gengis Khan en vue, nous commençons à trouver le temps long.
Nous avons mal partout : fesses, mais aussi cuisses et genoux, et nous commençons à appréhender le voyage de retour. Quand nous voyons enfin Gengis Kahn, nous nous sentons un peu désespérés de le voir si petit ! Il doit bien falloir encore au moins une heure pour s’approcher du pied de la statue.
Nous faisons une petite pause et Roïga demande à voir l’heure. Sans démonter, je fouille alors dans le sac qu’il me tend à la recherche de mon portable mais tout à coup, Parachute, qui n’est pas si fatigué que ça apparemment, décide d’aller se promener sans moi au triple galop. Prise au dépourvu et n’ayant que mon sac auquel me raccrocher, je mords la poussière.
Le cheval aura sans doute eu peur de quelque chose, à moins qu’il n’ait fourbement profité du fait que je ne tenais plus les rênes! C’est fou de constater qu’il ait pu s’effrayer d’une chimère alors que quand des chiens de nomades nous grognent dessus en faisant mine d’attaquer, il ne bouge pas une oreille.
La chute est rude sur le sol desséché et pierreux de la steppe, heureusement, comme le dit gentiment Victor, je tombe « bien », avec grâce presque, et du bon côté de la tartine en quelques sortes. En effet, comme je m’aplatis de tout mon long, je répartis bien le choc et je ne me fais véritablement mal nulle part. En me relevant, j’ai un goût de terre dans la bouche et mal aux genoux, mais comme c’est une constante chez moi, difficile de dire si c’est lié à la chute !
Plus de peur que de mal donc, et je remonte illico sur Parachute, au demeurant bien mal nommé, et nous reprenons notre interminable route. Alors que Roïga galère à trouver un passage correct pour traverser une rivière bien trop tumultueuse à notre goût, nous craquons et lui signifions que nous préférons rentrer. Si nous ne prenons pas le chemin du retour dès maintenant, d’un, nos fessiers ne tiendront pas le choc, et de deux, nous risquons de devoir terminer la randonnée de nuit. Roïga a l’air surpris de notre défection, mais il acquiesce, et, pour hâter la manœuvre, nous lance au galop dans la steppe puis nous arrête dans une yourte nomade pour prendre un petit goûter de thé au lait. Tout le monde a enfin le droit de se reposer, les cavaliers comme les chevaux, qu’on se propose ici de renommer Feignant et Poltron, plutôt que Mon Petit Père et Parachute.
Après cette courte pause, nous continuons la route et observons le paysage changer, il n’y a plus de forêts, mais plutôt de gros et jolis pierriers. C’est magnifique, mais cependant plus le temps passe et plus le paysage a du mal à compenser les douleurs qui nous traversent tout le corps.
Deux heures de souffrance plus tard, nous arrivons au rocher de la Tortue, et nous faisons une nouvelle pause chez des potes de Roïga. C’est rigolo car nous découvrons une yourte « coloc de mec » : au fond, où traditionnellement on trouve les photos de famille et les éléments religieux, il y a une console de jeux et des enceintes. Les deux amis de Roïga tiennent un mini market et aussi une yourte magasin de souvenir, et ont d’adorables petits chiots tout patauds.
J’aimerai qu’ils aient plutôt un relai de chevaux comme celui du Poney Express, où l’on pourrait entrer en commandant : « Cowboy, des chevaux frais pour rentrer à Terelj ! Et des culs frais aussi, si tu en as ! ». Après cette pause, nous constatons que le soleil a disparu derrière les montagnes, alors qu’il nous reste encore près de 20km : quelle torture ! S’ensuivent des heures que je classe parmi les plus longues de ma vie : le froid monte, nous avons tellement mal partout qu’on ne peut plus amortir le trot des chevaux, et on y voit de moins en moins bien. Personnellement j’en ai vraiment marre de devoir dire, sussurer ou crier « tchou » toutes les trente secondes ! Victor lui, nourrit des sentiments ambivalents à l’égard de notre guide : parfois il le voit comme notre sauveur, qui va nous ramener à bon port, mais d’autres fois il l’appréhende comme un bourreau, le nôtre et celui des chevaux.
Roïga, pour sa part, a l’air de vivre une journée comme les autres : il siffle, il fait « tchou » et il fume clope sur clope (comme la plupart de nos hôtes). Il nous propose même de faire un détour pour aller visiter un temple construit à flanc de falaise. Alors qu’habituellement c’est un dieu du mime, là, son imitation de la prière est tellement proche de celle de dormir, que nous acceptons le détour en pensant qu’il parle de nous ramener à la ger ! Nous grimpons ensuite une pente tellement accentuée que les chevaux ne marchent plus, mais sautent presque, arcboutés sur leurs pattes arrières. Au sommet, nous voilà enfin dans la plaine de Terelj, mais le village est encore à 5 bons kilomètres, et nos yourtes à plus de dix kilomètres. La pénombre s’épaissit de plus et plus, mais ça n’effraie pas notre guide qui maintient nos chevaux au grand trot. Heureusement, ils voient bien mieux que nous dans le noir et le mien fait moins d’écarts que quand il y voit clair, alors j’y gagne un peu.
Passé Terelj, il fait nuit noire alors que nous devons encore trotter 6km sur des petits chemins qui surplombent la rivière Tuul. Alors que Victor craint que nous finissions par nous crever un œil sur les branches basses, Roïga attache cette feignasse de Mon Petit Pépère à son cheval pour qu’ils avancent ensemble à la lueur de sa frontale, et devinez qui reste en arrière, dans le noir, à devoir s’en remettre entièrement à l’instinct – qu’on sait faillible – de Parachute ? Celui-ci pourtant se montre digne de confiance, et, pas stressé du tout de progresser dans la pénombre la plus totale, se met à exploiter la moindre de mes inattentions pour essayer de boustifailler. Mais non de Dieu Parachute, ce n’est pas le moment !
En croisant d’autres mongols à cheval et équipés de lampes frontales, nous réalisons progressivement qu’en fait, pour eux, il n’y a rien d’inhabituel à chevaucher la nuit… Nous parvenons donc un peu à nous détendre et à prendre toute la mesure de la beauté de notre environnement. Après tout, ne sommes-nous pas là, à chevaucher dans les steppes sous un des plus magnifiques ciels étoilés que nous n’ayons jamais vu ? On est quand même mieux qu’au bureau !
Nous arrivons enfin aux yourtes, et c’est le soulagement. Après être descendus de cheval, nous devons nous soutenir l’un l’autre pour avancer jusqu’à chez Tsitskey et Tchoka, car nous n’arrivons plus à plier les genoux. C’est Roïga, qui, en rigolant, nous dit en français pour la première fois « Hé merci, ça va, hahaha » et nous prend par le bras pour nous aider à marcher.
Notre allure toute bancale et nos grimaces tirent des rires à nos hôtes, qui nous avaient sans doute pris pour des cavaliers un peu plus émérites. Mais nous avons fait une balade de presque 9h pour 70 kilomètres, ce n’est pas humain de n’avoir pas un tant soit peu mal au fessier ! Nous mangeons à peine une bol de pâtes patates, alors que pour une fois ce n’est pas du mouton mais du sanglier, puis boitillons jusqu’à nos yourtes, où l’on nous a gentiment allumé un bon feu, et, où l’on s’écroule.
Jour 81, Mercredi 3 octobre : les aventures de Victor et Cécile, c’est déjà fini, retour à Youbi !
Le lendemain, évidemment, on ne peut échapper à une ribambelle de courbatures, mais je fais une découverte tout à fait intéressante : je n’ai pas mal au genou ! Alors que la douleur me gêne et me tire des grimaces depuis plus de trois semaines, elle semble s’être évanouie, ou tout du moins être oblitérée par d’autres élancements douloureux. Nous mettons cela sur le compte du bandage propolis-vodka, mais aussi et surtout sur la randonnée à cheval qui, en sollicitant beaucoup le muscle de la cuisse, a totalement relâché la pression sur le tendon. Voilà un remède à conseiller aux kinés, même si les conditions sont difficiles à réunir et que les patients risquent de leur en vouloir.
Il fait si bon aujourd’hui que nous prenons notre petit thé la porte de notre yourte grande ouverte, et nous sommes envahis par de mignons invités : un chat, mais aussi la portée de petits chiots. Puis vient l’heure de partir, après un petit thé au lait chez Tsitskey, et nous déclinons l’offre qui nous est faite d’attendre une jeep qui doit aller à Terelj, car marcher nous fera le plus grand bien. Par contre, nous acceptons la seconde offre : passer la rivière en charrette !
Alors que nous prenons la route, nos hôtes nous font des signes de la main : il n’y a pas à dire, mis à part leur rapport problématique aux distances – et le mystère de la conservation de la tête de mouton dans la yourte –, ce sont vraiment des gens très sympathiques. Tchoka nous conseille même de faire deux ou trois « bèbès » puis de revenir en Mongolie et de les lui envoyer.
En longeant le chemin emprunté la veille de nuit, nous réalisons à quel point nos chevaux avaient le pied sûr, puis, à Terelj, nous grimpons dans un bus. Et qui est dans ce bus ? Peter et Westley, les américains rencontrés à l’aller !
De retour à Oulan Bator, nous allons au restaurant indien avec Froit et sa femme, et nous leur racontons nos exploits. Froit se marre pas mal, et explique que les nomades ont l’habitude de faire des plaisanteries sur les distances, mais aussi que nous avons sans doute eu une des expériences les plus authentiques possibles. Et oui, c’est vrai que malgré nos popotins tout rouges et tannés, nous avons vraiment passé un bon séjour !
5 réflexions au sujet de « Jours 76 à 81: Les aventures de Victor et Cécile chez les nomades mongols »
C’est si bien décrit qu’on a presque mal aux fesses en vous lisant…
Quel périple! un bravo pour votre courage à endurer 9h de chevauchée à travers la steppe, à travers l’inconnu et l’inattendu…
On est bienheureux de vous lire et de vous suivre presque « en direct »…
Portez vous bien et bonne chance avec la CHINE !
ps: pas réussi à lire vos vidéos !
Juliette
Juliette
Saperlipopette, effectivement il y a un problème avec les vidéos ! Merci pour ton commentaire, et de nous avoir prévenus ! Des bises de Chine !
Cécile
Parachute, Gros pépère, sont-ce des noms de code pour discuter à distance de la politique française ? A la place du cheval, vous auriez pu utiliser la métaphore de l’âne ou de l’autruche, mais c’était sans doute moins raccord avec votre contexte culturel, j’en conviens… 😉
kevin
Jean Dutour « Quand on a mal aux fesses, la pièce est mauvaise ».
Pourtant le récit de la journée est savoureux et le mal de fesse assuré même sur son siège de bureau après toutes ces péripéties !
Place au bain de siège d’eau glacée pour reprendre des forces.
Anne&Bill
C’est super sympa de vous lire!! De vrais aventuriers!! Ca fait rêver votre périple!! Profitez bien. Bisous
Julie choco